Tout tourne dans la tête de Mimì, tout tourne, boucle, où s’envenime le passé, les passés, l’éternelle litanie des yeux qui ne se regardent pas, des yeux qui se ferment sur les bouches qui s’ouvrent. Tuer, entasser enterrer les cadavres les uns sur les autres, tuer, s’affirmer affirmer la Sacra, la mafia, comme on dit. Patriarche Mimì, fin de lignée, vieille pulpe des vieilles guerres intestines utérines. Tuer, et profaner, souiller, porter le germe, le transfuser, le voir éclater comme un fruit trop mûr trop vite s’éclate sur le bitume. Alors Mimì, dans sa tête, ça n’en finit plus de palpiter. Et de ressasser, le fils mort, le fils suicidé, le cercueil troué. Fuir les miroirs, trouver une coupable, adorable enfante infante, adorable vierge, presque, dit-elle, l’œil qui s’allume, la bouche qui provoque, provocation mi fille mi femme, même kidnappée emprisonnée la sève ne s’arrête pas de couler. Et le geôlier alors, l’autre gamin, l’autre puni… alors. De quel non crime est-il coupable, qui lui impose, que lui impose, un rôle qui n’est pas le sien ? Deux enfants emprisonnés pour leurs amours, Mimì il dit ça, personne ne doit s’aimer, lui seul décide de qui doit vivre, de qui doit mourir, et de qui doit s’aimer. Bulle enchantée, parenthèse infernale, deux gamins autour d’un livre dont aucun n’arrive à faire lecture, Belle et Bête, les pensées absorbées digérées volées par le passé intenable insaisissable, par l’avenir qui se fuit, se tait, s’oublie. La trame la transe se resserre, Je suis la bête est de ces livres qui sentent le drame, la peur et l’humeur. Enfance adolescence dérobée, premiers baisers refusés, gronde le cœur du monde, frémit l’âge charnière, se fige le maigre paysage au-delà du carreau embué, et dans sa poitrine, Mimì, tonne encore trop fort, trop irrégulier, valse infernale, rythme décadanse cliquetante comme gigue de squelettes. Ça va mal finir, dès la première ligne on le sent pressent, ça va mal finir mais c’est trop tard, à la première ligne on s’assied, sous le coup, d’une langue, de langues, qui s’enroulent déroulent les pensées bouffées morcelées de Mimì, le déni abandon de Nicole, l’incompréhension chagrin de Veli, la froideur douleur d’Arianna. Quatre fois il faudrait chroniquer Je suis la bête, quatre fois il faudrait relire Je suis la bête, quatre fois il faudrait étudier, se pencher, contempler ce drôle de roman, le premier, doigts de fées, doigts de velours, se cache la main qui de métal s’ingénue. Ouais, rien que pour ça, il faut encore tenter les rentrées, pour ces drôles de bouquins qui désarçonnent, encore, alors les nœuds sont parfois épais, aurait besoin qui sait de débroussailler dégoiser les hasards malencontreux le malheur qui s’acharne la caricature qui se frôle, et pourtant, la vie n’offre-t-elle pas aussi de ces répercussions percussions qui font penser que quand le diable se complait là, sis, il peaufine son décor ? Passons alors la vraisemblance, on s’en tape, quand l’écriture s’innove s’invente tente et ose, quand l’écriture fait mouche et frappe attrape, le reste, à vrai dire, n’est que littérature. Ne se destine pas qu’aux seuls, les puristes, qui aime les sombres histoires, qui aime les mafias, trouvera place sous la couverture bleue et jaune, de ces livres que l’on attend impatiemment de faire tourner, dont on attend impatiemment la parution, car difficiles, peut-être et certes, et deux fois, mais d’éclat, unique.
Et Mimì pense qu’il va les tuer tous. Tous, s’ils ne partent pas, s’ils ne partent pas d’ici, s’ils ne le laissent pas seul, dans ce salon, Mimì va faire un carnage, il va les tuer tous. Dans ce salon, où il y a eu de bons moments, rien que des bons moments, des soirées à jouer aux cartes, du vin, des amis, des parents, des discussions, des projets, des rires, les femmes à côté en train de dormir, dans ce salon, qu’on n’ouvrait que pour ça, pour les soirées. Et maintenant, tout est humide, tout suinte, avec un cercueil, fermé, entouré de chaises, des chaises partout. Les femmes, assises, qui se donnent de l’air avec leurs éventails, les hommes, debout, qui vont et viennent, les vêtements, la peau, tout est humide, tout suinte, même les meubles, tout. Les personnes, les tasses, les thermos, les cafetières. Tout. Et il y a une odeur dans ce salon, une odeur insupportable qui se dépose partout, de café corretto à l’anis. Seuls les hommes le boivent, tandis qu’ils vont et viennent, échangent des signes, des regards. Les femmes, non. Certaines pleurent, certaines fixent le sol, toutes agitées sur leur chaise, muettes. Les hommes sortent fumer, rentrent, s’observent, des signes, des regards. Il y a une espèce d’odeur dans ce salon, et des fleurs, des couronnes de fleurs, autour du cercueil.
Tout est humide, tout suinte.
Et puis il y a une bannière, à côté du cercueil. Une bannière énorme, avec un Christ imprimé, un Christ qui semble te regarder, le visage un peu tourné vers la gauche. Le visage du Christ, dans ce salon. Un cercueil au centre, un cercueil fermé, plein, plein d’un corps. Un corps de quinze ans, un mètre soixante à peine, centre trente kilos, cheveux noirs, bouclés, yeux noirs, petits, joues rouges. Mais on ne le voit pas, on ne le voit pas, on ne voit rien, le cercueil est fermé, il est plein, mais il est fermé, le cercueil. Et le Christ, sur la bannière, le visage un peu tourné vers la gauche, qui semble te regarder.
Éditions Cambourakis – Traduction (italien) de Lise Caillat – ISBN 9782366245165
À paraître le 2 septembre 2020