Parfaite lecture de rentrée pour prolonger l’été, prolonger le frisson. Léonard assiste à la mort d’un adolescent, une nuit. N’intervient pas. Décide d’enterrer au creux de la dune le cadavre. Pourquoi ? L’alcool, la chaleur, l’ennui, la revanche. Dans ce camping landais dans lequel il traine ses 17 ans depuis deux interminables semaines, mal dans sa peau, mal dans ses os, Léonard est de ceux qui ne participent pas, ne s’amusent pas, restant dans l’ombre et dans le silence. L’alcôve de sa tente, refuge précaire, pour s’offrir des branlettes tristes, il n’est pas de ceux qui draguent, mais de ceux qui matent, en sourdine, ne sachant comment aborder, ou même répondre, ou même regarder dans les yeux, Luce qui l’attire et que le cadavre – lui – avait embrassée. Et puis il y a toute cette musique qui entête, de l’aube au crépuscule, qui le noie et l’éloigne du classique auquel il se destine. Mal géré, mal ficelé, Léonard est de ces adolescents qui virent inquiétants.
C’est dans un détour, cette dernière nuit, que je suis tombé sur Oscar. Je suis passé devant le parc de jeux et je l’ai trouvé sur la balançoire. Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d’abord ce qu’il faisait là. Je l’avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j’avais failli vomir, je m’en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l’ai observé désormais seul sur sa balançoire et j’ai compris qu’il mourait. Les cordes l’étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d’avis. Je n’ai pas bougé. Rien ne bougeait dans ce parc isolé. Les pins montaient haut et voilaient la lune. Soudain, Oscar m’a vu : ses yeux se sont fichés dans les miens et ne m’ont plus lâché. Il a ouvert la bouche mais rien n’est sorti. Il a remué les pieds mais son corps n’a pas suivi. Nous nous sommes regardés ainsi. J’avais voulu parfois qu’il disparaisse, c’est vrai, les autres jours, en le voyant sourire dans son maillot bleu. La musique persistait de l’autre côté de la dune, je reconnaissais le refrain : Blow a kiss, fire a gun… We need someone to lean on… Cela a pris du temps. C’est long, de mourir étranglé. L’instant de sa mort s’est lui-même étiré et m’a échappé. Je me suis simplement senti de plus en plus seul. À un moment sa tête a basculé en avant, ce qi a dû donner un élan aux cordes, car elles sont reparties dans l’autre sens, se sont démêlées de plus en plus vite et l’ont libéré. Il est tombé comme une loque sur le sol souple du parc.
Coup de chaud mais pas de coup de sang. Si La Chaleur lui monte à la tête, que ses yeux changent de couleur au gré de ses humeurs, même dans la bataille Léonard reste froid comme la glace. Qu’au fil des pages, subtile, la tension se resserre, qu’on se laisse prendre à la gorge, étouffant sur ce je bien embarrassant, le jeune homme est difficile à saisir, a bien du mal à se lier. On s’y voit et revoit dans ces campings qui puent la merguez et gavent les bienheureux de divertissements ringards et de lourde drague au bord de la piscine, on comprend l’absence et l’absentéisme volontaire, la foutue volonté d’être ailleurs même si ailleurs personne ne nous réclame, la honte de voir son père en slip, rougi par le soleil et le verre de trop, croyant bien faire en mettant sur la table du dîner les pulsions sexuelles qui, c’est normal, devraient animer son ainé, quand le cadet, lui, semble être né avec le mode d’emploi. Trop sage, Léonard, trop sensible, tout ça l’incommode et réveille en lui comme une envie de meurtre, comme une envie de tomber amoureux. Le feu qui couve sous la glace, éros, pathos et thanatos qui comptent leurs grains de sable, le mal-être de ces sales années au corps trop maigre, un peu de tout ça dans ce premier roman.
J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
Ni addictif, ni étonnant, ni original, mais il y a un truc. Si on s’accorde à partager un certain ennui avec Léonard qui se traine désœuvré et définitivement hors de ce monde, La Chaleur se lit pourtant d’une traite et avec un certain plaisir mêlé d’une certaine angoisse. Tout est dans la subtilité, et dans la nostalgie de nos jeunes années. Les dernières vacances passées avec les parents, là où l’on freine encore à renter dans la vraie vie, car on n’a pas les codes et qu’on se sent aussi absurde qu’une coquille vide. Verre à la main, regard fixé sur l’horizon (ou sur le smartphone, certaines choses ont changé), cherchant la contenance qui nous fera nous sentir à notre place dans cette fête estivale où tout le monde semble éprouver du plaisir. La soif folle d’exister et d’être remarqué qui se dispute à celle insensée de vouloir s’enfoncer dans le sable. Victor Jestin accorde tout ça parfaitement aux bizarreries d’un personnage qui commence sérieusement à vriller, lui qui cherchait l’ombre et se soumet désormais aux rayons d’un soleil carnassier, semblant chercher la fièvre qui lui fera oublier sa paranoïa naissante et ses envies qui deviennent désirs impétueux. Étrange été chantait Bashung, étrange roman.
Éditions Flammarion – ISBN 9782081478961
À paraître le 28 août 2019