Récit d’une naufragée qui se rattrape à son coup de cœur, M, l’élu, M, en manque. Loulou Robert conte un de ces amours si excessifs qu’ils n’en méritent même plus le nom, incompréhension pour qui découvre cette totale obsession, ce total abandon d’une femme entre les bras d’un homme qui – au passage – n’en demandait pas tant. Alors oui l’enfant reléguée, l’enfant négligée, alors oui l’ado transparente, l’étudiante qui tourbillonne, percute trois petits boutons et décide de s’y raccrocher. Aimer à en crever, drôle d’oxymore, fascination en diable pour celle qui veut donner de force ce dont elle a toujours manqué. Mais quand on n’a pas les codes, les règles, l’équilibre, tout s’exagère et part en vrille. Récit d’une passion bien décidée à ne jamais s’interrompre, et Loulou Robert joue le jeu, filant son histoire jusqu’aux dernières années d’une vie de femme, butée, excessive, dérangée – et dérangeante.
Je le rencontre l’année de mes dix-huit ans.
Je loue un studio près de la fac. J’ai choisi d’étudier l’histoire. Sans but ni passion. L’histoire car à dix-huit ans, je regarde déjà en arrière. L’histoire car ce n’est pas risqué. Tout le monde prend histoire. J’ai de bonnes notes au lycée. Un professeur sympa qui me donne à penser que je pourrais un jour être à sa place. Sans passion. Surtout sans passion. C’est ce qu’il faut retenir de moi.
J’ai quelques amis. Je les compte sur les doigts d’une main. Je ne suis pas malheureuse ; je ne suis pas heureuse. J’accepte mon sort. Une léthargie du cœur. Bouclier à ma mélancolie originelle. Celle qu’on m’a collée à la naissance. À la peau. Aux yeux. Je pleure souvent enfant. Mes pleurs n’attristent personne. Ma mère ne me regarde pas. J’arrête alors de pleurer. Je tombe de vélo. Ma mère me panse mais ne s’intéresse pas à moi. J’accumule les pneumonies, gastros et crises d’urticaire. Ma mère me soigne mais ne caresse pas ma joue. Elle a déjà un mari, quelqu’un à aimer. Je suis de trop. Nourrie, logée, éduquée ; abandonnée, terriblement seule. Je manque d’amour ; je ne nomme pas ce manque, je ne le connais pas. Ma mère ne me regarde pas. C’est ce qu’il faut retenir de moi.
L’ambition de Loulou Robert était grande, trop grande sans doute, comme elle l’aurait été pour bon nombre de ses pairs. Résumer un amour, flamboyant, dévorant, et qui brûle, brûle, brûle, résumer une vie – à la vue – d’une femme, en 260 pages. Car il faut les attiser, le feu, la flamme, pour que ne s’éteigne l’œil de la lectrice. Et pourtant, dans les faits, tout est là. Une histoire qui s’étiole mais une histoire, surtout une écriture qui joue des répétitions, oppositions, déclinaisons. Un style, c’est sûr, actuel, c’est certain, phrase au plus court, du sujet au complément, compliment, c’est cohérent. Percussion qui tend ou détend, lasse ou délasse, chacun son rythme, celui-ci mérite au moins qu’on s’y arrête, même si on ne s’y attarde pas. Car pour une telle histoire, une telle ambition, il en faut du souffle, et celui de la jeune Loulou Robert, 26 ans, quatre romans, reste encore un peu court. Parfait roman de rentrée, qui n’aurait pourtant pas dépareillé sur les plages estivales, Je l’aime est – espérons – une promesse.
Il fait la queue au bureau des admissions. Je suis derrière lui, à côté, autour. Partout. Il ne me voit pas. Je ne vois que lui.
Il porte une chemise beige en lin, ouverte de trois boutons. Je compte trois boutons. C’est précis. Foudroyant. Je suis foudroyée par ses trois boutons. Les colliers qu’ils me laissent entrevoir. La peau derrière ses trois boutons. L’odeur. Je ne suis pas assez proche mais j’imagine son odeur. De l’encens et la peau d’un homme. Puis sa nuque. Les cheveux qui caressent cette nuque. Longs, légèrement ondulés, ils tombent sous ses oreilles. Ses oreilles. L’une avec un anneau en or. Les hommes de mon monde n’avaient pas de boucles d’oreille. Je change alors de monde.
Ne peux m’empêcher de penser à une autre auteure au prénom de baby-doll qui a fait son retour en ce début d’année, dix-sept ans après, sous couverture bleue, retour à peine remarqué. Qu’il est cruel ce monde pour les jeunes filles en fleur à qui l’on promet amour et gloire en récompense de leur beauté. Pour autant, il serait stupide de réduire la bonne volonté et l’envie d’écrire de Loulou Robert à son joli sourire. Si sa fraicheur l’empêche encore de mettre en mots la peau qui se tire sur le ventre qui s’arrondit, la peau qui flétrit, la peau qui se froisse, le sein qui se fait plein et le sein qui se fait creux, les couples qui s’éloignent et le fossé creusé par le poids des années, la fraicheur de celle qui au fil de ses romans s’est attaquée à des sujets pour le moins douloureux ne s’émousse pas, et sous son stylet se décortique une langue qu’elle a fait sienne. Tendresse de grande à petite sœur, et la patience d’attendre le cinquième – un essai, se dit-il – que l’auteure passe la vitesse supérieure.
Éditions Julliard – ISBN 9782260052975
À paraître le 22 août 2019