Success Story – Romain Ternaux & Zarca

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À paraître le 21 février aux éditions de La Goutte d’or, un feel good book totalement amoral qui, à défaut de vous livrer la recette du bonheur éternel, risque de vous tirer quelques bons gros rires. Nous connaissions Zarca pour son impertinence, couronnée par le Prix de Flore avec Paname Underground, le voilà qui s’associe à son copain Romain Ternaux. Au programme, le portrait d’une prof, revêche à souhait, Anna Jocelin. Derrière ses lunettes, elle fusille le monde, ses élèves, ses collègues, d’un regard acéré et quelque peu amer/acide. Sept ans sans homme, sans amour ni tendresse, ça peut, effectivement, laisser des marques pour l’orpheline qui s’autorise à peine quelques soupirs et bafouillages en croisant le beau Julien. Mais dans sa tour d’ivoire, Anna caresse un rêve : écrire un roman. Quand la vie, facétieuse, la remet en présence d’une ancienne copine d’école, la délurée Carine, nous sommes prêts à parier que la tristoune Bry-sur-Marne va en voir de toutes les couleurs.

Ce jour est à la fois le pire et le meilleur moment de l’année scolaire. Le meilleur car il ne me reste que quelques heures à tirer avant de retrouver un semblant de tranquillité pendant deux mois, loin de mes collègues, du personnel de l’établissement et de mes élèves. La paix. Le pire moment car il se clôt sur les conseils de classe du troisième trimestre, un épisode souvent éprouvant pour moi.

Autour d’une table ronde délibèrent les enseignants, le directeur du collège Henri Cahn et son adjoint, les deux délégués de classe – comme d’habitude, élus par leurs camarades en fonction de leur aptitude à emmerder le monde – ainsi que le surveillant chef, M. Ribetault. Nous abordons tout juste le cas de Samy et je bouillonne déjà, gratte la table avec mes ongles. À chaque phrase lâchée par M. Bertin – professeur principal des cinquièmes B -, je me raidis davantage sur ma chaise. Cet homme m’insupporte. Il s’écoute parler, se croit en représentation et joue le chevalier blanc comme si le lieu s’y prêtait. Il devrait faire du théâtre plutôt que de polluer ce conseil.

Il n’aura fallu qu’une étincelle, psychédélique, pour mettre le feu aux poudres à notre frustrée psychorigide. Hier encore abstinente, la voilà le nez dans le pochon, le pèt’ à la main, s’envoyant en l’air dans tous les paradis artificiels imaginables. Nous ne pouvons que jubiler en l’imaginant, notre archétype de vieille fille, lâcher ses cheveux, monter sur la table pour danser. Une certaine idée d’un certain lâcher-prise, et – c’est amoral, je vous le disais – le pire est que la vie semble lui donner raison. Là où elle perdait son temps à reprendre et reprendre sans cesse son brouillon, cokée à mort c’est en une semaine qu’elle rend sa copie. Première étape d’un road-trip sur les sentiers de la gloire. Au sommet de sa créativité, apprenant à jongler avec les molécules pour mieux gérer ses angoisses, Anna Jocelin pétille, exulte, et vit, enfin, bordel. Le tout s’enchaîne dans une joyeuseté foutraque, si la chance sourit aux audacieuses, notre héroïne (euphémisme) remporte la palme. Success assuré pour la jeune femme et pour ses compères, jolie story, je vous le dis.

« Madame, vous auriez pas une petite pièce pour manger, s’il vous plaît ?

– Non !

Ce clochard me fatigue. Sa phrase répétée en boucle « vous auriez pas une petite pièce ? », « vous auriez pas une petite pièce ? », « vous auriez pas une petite pièce ? », sonne comme un disque rayé et je dois supporter l’entêtement de ce sans-abri tous les jours depuis trois ans que j’habite la rue de Mazagran. Pourtant, je ne lui donne jamais le moindre centime. Ce n’est pas de la radinerie mais je paye mes impôts pour que l’État prenne en charge les gens démunis et leur permette de subvenir à leurs besoins vitaux. Par-dessus le marché, je suspecte fortement cet homme de boire ou de se droguer, et je refuse de participer à sa déchéance.

Je m’engouffre dans mon immeuble, jette un coup d’œil dans ma boîte aux lettres – vide – et monte au quatrième. Je rentre chez moi, range ma mallette dans la penderie et troque mes derbies en toile contre mes charentaises, me poste devant le miroir accroché dans le couloir de l’entrée. Avec mon jean détendu et mon tee-shirt plus blanc que blanc, j’ai parfois l’impression de renvoyer l’image d’une vieille fille. Je traîne la même coupe de cheveux depuis des lustres – une frange, des cheveux châtain clair attachés avec une pince croco -, les mêmes lunettes à monture marron. Je me maquille à peine, toujours de la même manière : un brin d’anticernes et du mascara marron. De manière générale, je n’aime pas trop perdre de temps pour les choses futiles. Hormis mon look sans doute trop classique, je me trouve plutôt potable, pour ne pas dire baisable, malgré mon ventre flasque. J’ai beau courir trois fois par semaine le long des bords de Marne, rien n’y fait, ce surplus de chair ne veut pas disparaître.

Grincheux, passez votre tour. Si vous vous savez sensibles aux provocations potaches, Success Story n’est pas pour vous. Nul besoin de brandir haut la morale alambiquée et contraignante, nulle envie d’entendre dire qu’il s’agit d’une incitation à la débauche. Sans prétention littéraire, cette caricature des manuels et autres pseudo-romans de développement personnel qui envahissent nos rayons, se prend pour ce qu’elle est, un temps de loisirs et de déconnade, une farce qui se prête à s’amuser des dessous du monde de l’édition (on en reconnaît certains, on ne citera personne), de celui des médias (toujours pas de noms) et – c’est inédit – de celui des hospices. Ça se bouquine comme se déguste un space cake, sans rien attendre d’autre que quelques heures de liberté, un peu d’oxygène dans un univers qui semble de plus en plus avoir de mal à s’autoriser à rire, gentiment. Quelques contre-indications, donc, mais aucun effet secondaire à craindre de ce sympathique roman (mais l’abus de premier degré, rappelons-le, est dangereux pour la santé).

Éditions La Goutte d’or – ISBN 9791096906123