Quelques heures auparavant je prônais le dix-huitième degré et me voilà fort dépitée devant un bouquin, censément drôle (c’est une question), qui ne m’arrache pas un sourire. Vaste délire que cette cave aux grands crus, nichée dans d’anciens bunkers de la baie de Hong-Kong, où d’adorables fillettes (parler nantais) hors de prix sont prises en otage par trois hystériques déguisées, qui adepte des explosifs, qui adepte d’architecture, qui adepte de tout ce qui brille. Une Blonde, une Brune et une Clown, (joyeux) trio débonnaire ayant pris possession des lieux, avec l’aide d’un rat, et bien décidé à… n’en disons pas trop, 106 pages se tournent vite (heureusement). Mister Coetzer, propriétaire, ancien diplomate, tout autant dépité que je le suis, surtout de ne pas pouvoir organiser le dîner chic et cher qu’il escomptait, secondé par une fliquette brutale (Jackie Thran), épié par les caméras du monde entier, ne comprend pas tout, tout vraiment bien, et frissonne à chaque nouvelle bouteille brisée. Ah, détail, un typhon est en approche.
Personne ne bouge devant le bunker alpha.
La brume matinale se dissipe lentement, elle monte et s’accroche aux frondaisons avant de s’évanouir. Il est un peu moins de six heures du matin, le vent d’est fait bruire la végétation basse.
Il n’y a plus un seul uniforme dans le paysage
Les hommes armés se sont regroupés dans l’ancienne maison du gardien qui leur sert de QG depuis cinquante-neuf heures. Ils ont les yeux rivés sur la porte d’acier qui devrait s’ouvrir dans quelques minutes pour la troisième fois consécutive depuis le début des opérations. Ils ne tenteront pas ce matin un nouvel assaut. Ils attendent les ordres. Le négociateur est arrivé au milieu de la nuit, il a besoin d’un contact direct avant de décider d’une méthode d’action. Il a lu et mémorisé les rapports des deux derniers jours, il est concentré sur les sons. Des perches Mini Boompole ont été installées durant la nuit au-dessus de la porte alpha dans l’angle mort de la caméra de surveillance extérieure. Ses oreilles sont prises dans les coussinets enveloppants d’un casque à réduction de bruit, il est coupé de son environnement sonore immédiat, il regarde monter la vapeur qui s’échappe de son mug de thé noir. Vingt secondes avant que la porte ne s’ouvre, il sursaute.
Je reste circonspecte (perplexe ?), tout d’abord heurtée par un « style » (c’est une question) qui dépasse difficilement le sujet-verbe-complément de nos dissertations d’adolescence. Bon, le tout se réchauffe quelque peu par la suite, surtout par la grâce de certains dialogues (censément) surréalistes, mais le mal étant fait, n’y revenons, demandons-nous à peine si le succès d’un précédent titre de Céline Minard ne lui aurait pas abaissé quelques barrières, à son désavantage et au nôtre, qu’il est bon de sentir qu’un.e auteur.e a été stimulé.e par son éditeur (parenthèse). Quant à l’histoire, à nouveau dubitative, je me demande encore si c’est du lard ou du cochon, dois-je creuser pour tenter d’apercevoir un pseudo discours féministe (et gloire aux femmes de plus de cinquante ans, c’est de circonstance), dois-je me contenter d’accepter qu’il s’agit-là d’une farce dont la saveur m’échappe, dois-je douter de tout et même de l’ennui qui m’a submergée durant une heure, ou relire la quatrième, étonnée d’y retrouver le doux terme de « subversion ».
Depuis le temps qu’il vit à Hong Kong, il n’a plus peur des typhons. Quand les antennes météorologiques ont annoncé l’arrivée de Shanshan, classé 10 sur l’échelle de Beaufort, il n’a pas vu le danger, seulement une excellente occasion de réunir ses meilleurs clients. Les plus fidèles, ceux du tout début, et d’autres, pas nécessairement parmi les plus riches, qui comme lui aiment attendre et voir venir. Dès qu’il a su que Hong Kong était sur la route du typhon, Ethan Coetzer a dressé un plan de table idéal, passé des commandes et envoyé des invitations. Certains de ses hôtes auraient tout juste eu le temps d’atterrir avant la tempête qui s’annonce formidable. Il leur fallait un certain goût du risque, tempéré par la certitude de vivre un moment de totale sécurité chez lui, dans l’œil du cyclone, dans sa pupille. Il les avait choisis pour ça. Ce n’était pas une opération marketing, c’était un manifeste. Et quelque chose comme un grain de sable est en train d’anéantir non seulement sa soirée mais aussi sa carrière.
Mais où est cette foutue subversion ? Dans le fait que des filles aient des velléités malhonnêtes, voire guerrières, que l’une d’entre elles porte une crête pendant que l’autre chausse d’exquis talons hauts, que le vocable se révèle tantôt vulgaire, tantôt grossier, dans le fait qu’il soit question de vin (et d’ivresse, c’est fatal) (le titre était un indice) (je ne bois pas de rouge, ça partait mal), ou peut-être d’argent, de beaucoup d’argent (les fillettes, au bas mot = 350 millions de dollars – carrément). Bon. Saluons l’originalité d’un bouquin qui trouvera certainement ses fans, qui ne convaincra pas les autres de découvrir le reste de l’œuvre de l’auteure, ne perdons pas plus de temps à en parler qu’on en a perdu à le lire, finalement, au vu du nombre de livres actuellement en librairie, à quoi bon s’entêter sur un dix-neuvième degré qui est décidement un degré de trop.
Éditions Rivages – ISBN 9782743645953