Entretien avec Olivier Liron

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Amandine Glévarec – Cher Olivier, quel lecteur as-tu été enfant, quel lecteur es-tu aujourd’hui ?

Olivier Liron Dès l’âge de 5 ans, j’ai lu les Misérables de Victor Hugo, le Seigneur des anneaux de Tolkien, et Dix petits nègres d’Agatha Christie. Dans cet ordre ! Je suis passé des grands classiques à la fantasy, puis au polar populaire ! Je lisais tout avec la même émotion. Je n’ai compris plus tard que c’était des choses très différentes ! On met beaucoup de frontières entre les genres, mais quand on est enfant, le plaisir de lecture est le même pour les « Chair de Poule » ou pour les romans de Steinbeck ! Je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Je me souviens avoir passé des étés entiers à lire dans ma chambre, dans un état de grand enthousiasme, d’extase et de frisson… Je crois que mes plus beaux souvenirs d’enfance sont des souvenirs de lecture. Je suis resté un très grand lecteur. Poésie, roman, articles de journaux, sciences, choses insolites… Je me nourris de tout. Mais je suis resté enfant je crois : je lis en fonction de mon seul plaisir !

A. G. – Peux-tu nous raconter le parcours qui t’a amené à devenir scénariste, auteur pour le théâtre, mais surtout écrivain ?

O. L. – J’ai un parcours universitaire à la base. J’ai étudié à l’École normale supérieure, réussi l’agrégation d’espagnol, puis j’ai enseigné à l’université. Mais le cadre était totalement inadapté à mon fonctionnement. Je suis une personne avec autisme Asperger, l’insertion professionnelle dans le milieu très normatif de l’université était très difficile pour moi. J’ai entamé une reconversion. J’ai décidé de me consacrer entièrement à l’écriture, et j’ai publié mon premier roman en 2016, Danse d’atomes d’or, un roman sur la passion amoureuse, aux éditions Alma. Moi qui ne vivais que par le savoir et la connaissance, je me suis inscrit dans une école de théâtre et de danse contemporaine ! J’ai ensuite travaillé pour le cinéma, et collaboré à l’écriture de plusieurs scénarios… L’écriture scénaristique est très différente de l’écriture romanesque, c’est un processus collectif qui demande d’être très à l’écoute des autres. J’ai aussi la chance de travailler beaucoup pour le théâtre de création, comme dramaturge et acteur.

A. G. – En 2016 est donc paru aux éditions Alma Danse d’atomes d’or, ton premier roman. Veux-tu nous en dire quelques mots ? As-tu mis du temps à l’écrire, à trouver un éditeur ?

O. L. – J’ai l’impression d’avoir passé quinze ans à l’écrire, tant ce roman me semble intime, et puise son inspiration dans des motifs qui m’obsèdent depuis l’adolescence. Mais j’ai mis en réalité 2 ans à l’écrire. J’ai fini de l’écrire au printemps 2015. Alma éditeur a accepté le manuscrit immédiatement, pour le publier à la rentrée littéraire 2016. Cela m’a donné quelques mois pour retravailler le manuscrit. Cette rencontre avec mon éditeur a été une chance unique.

A. G. – Si je ne me trompe pas, tu es actuellement en train de travailler à l’adaptation scénaristique de ce premier roman ?

O. L. – C’est ça ! J’ai eu la chance d’être sélectionné en 2017 par la Fémis, l’école de cinéma, pour travailler sur une adaptation cinématographique de Danse d’atomes d’or… J’espère que le film sera tourné bientôt !

A. G. – En 2018, tu es revenu – dans la pièce de théâtre La vraie vie d’Olivier Liron – sur un événement qui a particulièrement marqué ton existence, peux-tu rafraichir la mémoire de ceux qui n’auraient pas la TV ?

O. L. – Oui. En 2012, après un entraînement intensif, j’ai remporté dix fois le jeu Questions pour un champion ! Ce n’est pas une blague (même si ça en a l’air ?!). J’ai toujours été passionné de savoir encyclopédique, et de culture générale. Dans La vraie vie d’Olivier Liron, un spectacle imaginé avec deux amis extraordinaires, le metteur en scène Douglas Grauwels et l’actrice Émilie Flamant, je reviens sur cette expérience singulière. Je suis sur scène avec Émilie Flamant, la chanteuse lyrique Pauline Sikirdji, et le musicien et compositeur Lawrence Williams. Le spectacle a été créé à Bruxelles au Théâtre Varia au printemps 2018. Mais La vraie vie d’Olivier Liron est surtout une tentative d’autoportrait, et le récit d’une renaissance. Comment passe-t-on de Questions pour un champion à l’écriture, et même à un plateau de théâtre ? C’est la question qui guide le spectacle. Après avoir joué à Bruxelles au printemps, nous créons d’ailleurs le spectacle à Paris, au Théâtre de Vanves, dès cet automne, les 10, 11 et 12 octobre 2018. Pour les amis parisiens et franciliens, venez nombreux !

A. G. – Tu as mené ce projet avec Douglas Grauwels que tu as rencontré lors d’un stage de théâtre, est-ce là aussi une rencontre qui a changé ta vie ? Est-ce que l’écriture – qui plus est autobiographique – peut être un travail d’équipe ?

O. L. – Oui, c’est une rencontre qui a changé ma vie. Et c’est peu de le dire. Douglas a lui-même une histoire très personnelle avec Questions pour un champion, il était fasciné depuis l’enfance par le présentateur mythique qu’est Julien Lepers. Douglas vient de Bruxelles, et il regardait toujours le jeu avec sa grand-mère néerlandophone… Moi, je le regardais avec ma grand-mère espagnole, Josefa ! Nous avons décidé de faire un spectacle pour raconter mon parcours atypique. Très vite, Émilie Flamant s’est jointe à nous pour imaginer le spectacle. Grâce au théâtre, j’apprends chaque jour un peu mieux comment travailler en équipe, dans un processus de création collectif très différent de l’écriture solitaire. Tout ce que cela m’a apporté humainement est considérable…

A. G. – Il est beaucoup question de différence, ressentie depuis l’enfance, dans cette pièce, mais les mots sont rarement posés sur celle-ci, veux-tu nous en dire plus et nous expliquer comment tu la vis au quotidien ?

O. L. – Je crois que moi, je ne me sens pas différent ! Ce sont les autres qui vous font vous sentir différent. Petit, quand je dessinais des dinosaures de toutes les couleurs (j’avais une préférence pour les stégosaures et les tricératops) dans ma chambre, ou que j’apprenais tous les drapeaux et la densité de population de tous les pays du monde dans un petit atlas miniature à couverture bleu ciel, je me trouvais tout à fait bien. C’est à l’école, qui marque l’entrée dans la société, que l’on m’a fait comprendre ma différence. Par les coups. Et par les mots. Ce sont les autres qui vous stigmatisent et vous considèrent comme différent.

Je crois qu’il y autant de formes d’autisme que de personnes Asperger ! Pour ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à hiérarchiser des informations. Quand je regarde un film ou une série, je dois comprendre le moindre détail, même si ça n’a aucune importance. Même pour la conférence de presse d’un footballeur je dois mettre 50 fois la vidéo en arrière, pour comprendre le moindre détail de ce qu’il dit. Je perds un temps fou ! Plus généralement, il y a encore beaucoup de stéréotypes sur l’autisme. Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que l’autisme n’est pas une maladie, c’est une différence. Une façon différente de voir le monde…

A. G. – Le 6 septembre sortira chez Alma Einstein le sexe et moi dans lequel tu reviens, sauf erreur, sur ton chemin de vie très particulier ?

O. L. – Oui. Comme je le raconte dans mon prochain roman, j’ai connu la violence sexuelle et physique très tôt. Cela m’a marqué à vie. Quand on a vécu ça au collège, on a la rage. C’est tout. Mais j’en suis sorti plus fort. Je crois que ce que j’ai vécu m’a rendu invincible. L’énergie de base quand on a vécu ça, c’est la rage. Pas l’amour. On n’écrit pas par amour de l’humanité. On devient avocat ou médecin ou on fait de l’humanitaire. On écrit par rage. Mais la rage, il faut la faire chanter comme une mésange. Quand vous vous faites violenter tous les jours vous avez la rage. C’est tout. Vous la retournez contre vous. Vous faites naufrage. Ou vous la transformez. En cri. En révolte. En amour.

Qu’est-ce que la rage ? C’est l’héritage que la violence qui n’est pas la nôtre laisse en nous. C’est une violence qui a colonisé notre corps et qui nous pourrit de l’intérieur sauf si on la retourne contre ceux qui nous ont fait du mal, sous une autre forme. Et pour moi cette autre forme s’appelle : la littérature. Cette rage, puisque je suis écrivain, puisque je suis artiste, il ne me suffit pas de l’avoir, il faut la rendre : partageable. Deux possibilités : le pathos et l’humour. Le pathos creuse, isole. Il fait plaindre celui qui écrit, le fait admirer parfois, mais creuse la différence entre ce qui est raconté et l’expérience du lecteur. L’humour au contraire rapproche. Il me permet de mettre de la distance avec ma propre histoire, avec ma propre souffrance, afin que cette émotion/histoire soit recevable par quelqu’un d’autre. L’humour rapproche de moi la personne qui lit et rend, j’espère, le récit plus puissant.

Mais je laisse découvrir aux lecteurs et aux lectrices ce deuxième roman. Il sort le 6 septembre, toujours chez Alma éditeur. C’est un récit très autobiographique, et assumé comme tel. Le fil rouge du roman est l’enregistrement d’une émission de Questions pour un champion. Si vous voulez savoir comment on gagne 10 fois à Questions pour un super champion, comment on traverse l’océan en radeau, ce livre est fait pour vous ! Et il y a même la recette de la tartiflette… donnée par Julien Lepers lui-même !

A. G. – Il est dit que le premier roman est généralement autobiographique, si la question ne semble pas se poser sur le second, me permets-tu de te poser la question pour Danse d’atomes d’or ?

O. L. – Oui, Danse d’atomes d’or, mon premier roman, se nourrit d’un matériau autobiographique très intime ; sans doute ne sais-je pas écrire autrement. Mais il s’inspire aussi du mythe d’Orphée et Eurydice et du ballet de Pina Bausch. Dans mon deuxième roman, j’ai voulu essayer quelque chose de plus brut, moins « littéraire » en quelque sorte.

A. G. – Est-ce important de parler de toi pour faire comprendre à ceux qui t’entourent, mais aussi à ceux qui ne te connaissent pas, que la différence ne doit pas faire peur, qu’elle peut être enrichissement ? Mets-tu une volonté « politique » dans l’acte d’écrire ?

O. L. – Bien sûr ! Parler de moi pour parler de moi, la mauvaise autofiction, ça ne m’intéresse pas ! D’ailleurs mon nouveau roman n’est pas une autofiction, c’est une autobiographie. Il y a une nuance de taille. Et justement, si ce livre est dérangeant peut-être, c’est parce que ce que je raconte est vrai. Dans ce livre, j’ai voulu ne plus taire les choses. Je ne voulais pas mentir sur ce que je savais. Je dénonce la violence à l’école, qui est la honte de ce pays. Je dénonce l’exclusion, la marginalisation et la stigmatisation des personnes avec autisme. Je dénonce le fascisme de la norme et la peur de la différence. Je défends le droit à la différence et d’être soi-même. En ce sens, dans notre société eugéniste de robots parfaits qui me fait penser parfois au film Bienvenue à Gattaca, c’est un livre extrêmement politique.

Donc oui, c’est ce que j’affirme dans ce livre : nos différences sont nos richesses. De toute façon, une personne normale, ça veut dire quoi ? Parce que moi, je n’en ai jamais rencontré ! Filez-moi leur 06. Dans notre monde, lutter pour le droit à la différence est nécessaire et urgent.

A. G. – Quelle place occupent à ce jour l’écriture dans ta vie, et la poésie ou les fictions sonores que tu as écrites ?

O. L. – Toute. Toute la place. L’écriture occupe toute la place. C’est ma façon de vivre. De communiquer ce qui, sans cela, ne serait pas communicable. L’écriture, la création au sens large, est le lieu où je suis pleinement moi-même. Et dans le même temps, l’écriture me permet d’aller vers les autres. De sortir de moi. De partager mon regard sur le monde.

A. G. – Que puis-je te souhaiter pour les années à venir cher Olivier, je n’ose te demander quels sont tes projets en cours car j’imagine qu’ils sont très, très nombreux 😉

O. L. – Mes projets, c’est bien sûr que mon deuxième roman Einstein le sexe et moi rencontre son public, comme on dit. C’est toujours merveilleux quand un livre aussi personnel que les miens rencontre une autre personne, c’est toujours très émouvant. D’ailleurs, je tiens à exprimer ma gratitude à tous les libraires, lecteurs et lectrices qui ont si chaudement accueilli mon premier roman. Vive le bouche à oreille ! Il m’a beaucoup encouragé à continuer.