Songe à la douceur – Clémentine Beauvais

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Ce bouquin est tout ce que je déteste. Je l’ai adoré. S’il est de coutume, en chroniquant, de parler de l’histoire, de parler du style, attardons-nous pour commencer sur ce qui saute aux yeux de prime abord : la mise en page. Pas de blocs ici, mais des escaliers, qui ricochent et qui riment, la poésie n’est pas loin (et pas seulement Apollinaire ou Baudelaire, les références sont nombreuses que l’on s’amuse à épingler comme de jolis papillons), les mots virevoltent, s’envolent et s’amusent des contraintes de la page blanche. La liberté, en somme. Mais si le procédé est des plus harmonieux, astucieux, étonnants, déconcertants, ma lecture, premières pages, nombreuses pages, freine des quatre fers et s’arc-boute rétivement. En gros, dans ma tête : bam-bam-bam, je tilte à tous les bouts de ligne, me fais percuter de travers, et sans cesse doit récupérer le fil. M’enfin, je m’habitue, vers la moitié, et poursuis le cœur en bandoulière, l’œil affuté, ma jolie traversée. Faut quand même préciser, une chose, la poésie et moi, ça fait deux. Comme quoi quand on y met les formes, je sais me laisser convaincre.

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Le second point délétère était évidemment le sujet. Une histoire d’amour, bordel. Cœur de pierre, affutée aux drames tragiques, aux histoires d’hommes, des purs, des durs, voilà que je me laisse avoir par deux amoureux, deux tourtereaux qui à 14 et 17 ans se sont manqués de peu, à qui la vie donne une seconde chance (larmichette) une petite dizaine d’années plus tard, mais non, non, et puis si, si, et puis peut-être et puis je ne vais pas vous raconter la fin. Notre Clémentine Beauvais (un ange) n’hésite pas à se mêler de ce qui ne la regarde pas (enfin, pas vraiment, un petit peu quand même) en intervenant auprès de l’une ou de l’autre, glissant son petit grain de sel quand, vraiment, l’un et l’autre abusent dangereusement du plaisir de se faire du mal (pour rien). Mais voyons, ça crève les yeux que vous vous aimez, vous attendez quoi, là, exactement ?! Je m’emballe. Une fois de plus : conquise. (et puis y a un peu de tragique aussi quand même au milieu, ça sauve ma fierté de chamallow).

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Enfin, le pire des reproches : c’est drôle. Outrageusement drôle. J’épinglais mes papillons, Clémentine Beauvais épingle nos petits travers. Tatiana et Eugène sont Tatiana et Eugène (bon on change un peu en 10 ans, quand même, quoique) mais alors ils ont tout, mais alors tout de nous. Rappelez-vous nos grands discours d’adolescents, qui avions tout compris au monde, à son absurdité, au spleen entretenu à longues bouffées mélodramatiques (pas du tout sujrouées, non, non), souvenez-vous du cœur qui bat la chamade au moindre regard en biais, des conversations qu’on se rejoue le soir au creux du lit (mais pourquoi j’ai dit ça, andouille, mais pourquoi j’ai pas dit ça, cruche), des premiers verres qui font tourner la tête et raconter (et faire) n’importe quoi. Songe à la douceur est un roman d’adolescence, aussi (d’ailleurs publié tout d’abord par les éditions Sarbacane), rafraichissement délectable ô combien. En fait, pour la faire courte, voilà un roman d’amour que j’ai détesté adorer. Ou serait-ce l’inverse.

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Éditions Points – ISBN 9782757873656