Pas d’éclairs sans tonnerre, pas d’orage ni de tornade. Le roman de Jérémie Gindre est ainsi, d’un calme solitaire d’un enfant lunaire qui creuse et creuse encore pour échapper aux autres, pour échapper aux cris des parents qui se déchirent, lui qui se réfugie si souvent dans le foyer des plus vieux. De l’enfance à sa vie de jeune adulte, nous suivrons ses pas, au fil de ses découvertes, pointes de flèches, animaux fantastiques, peintures rupestres, c’est bien dans le passé qu’il semble vouloir s’enfouir, et marquer son empreinte. Jusqu’à peut-être un jour se trouver, se fiant au rite des anciens, puis perdant à nouveau sa propre trace, boiteux malheureux, inadapté à la réalité du nouveau millénaire qui se profile, butant et changeant brutalement de voie. Récit tout en descriptions, Pas d’éclairs sans tonnerre n’est pas un livre d’éclats, il ne manque pourtant pas de brillant, encore moins de lumière.
Ce n’était pourtant pas la soif du collectionneur qui travaillait Donald avec ces pointes de flèches. Ni l’attrait du trésor enfoui, ni la quête de la perle rare. Elles ne l’intéressaient pas pour leur valeur, elles l’excitaient par leur technique. Elles étaient comme des clés trouvées au fond d’un tiroir, dont on se demande bien ce qu’elles peuvent ouvrir. Intactes ou cassées, leur tranchant délicatement acéré et leurs minuscules entailles le fascinaient. Il testa leur capacité de pénétration dans des pommes, dans du pain et dans des blancs de poulets. Les pointes s’y logèrent avec facilité, comme si leur fonction était indemne. Disparues et oubliées depuis des siècles, certaines pouvaient encore servir. Elles le reliaient à un savoir-faire éteint, qu’il eut envie de rallumer.
C’est la nature surtout qui y est luxuriante, la Grande plaine et Eastend que Donald s’ingénie à parcourir, notant dans ses carnets ses itinéraires, ses trouvailles, comparant et jaugeant, d’un œil froid, de l’œil froid du môme qui a besoin d’une passion pour s’abstraire, pour s’inventer. La nature et au loin les montagnes dont il s’approchera à l’adolescence, qu’il gravira tel un rite de passage à l’aube de ses 20 ans, les falaises dont il s’approchera pour regarder en bas le cimetière des animaux disparus. La nature et l’histoire car si ces territoires sont un terrain de jeu, ils ont avant lui appartenu à d’autres. Des terres encore chaudes du sang des Indiens dont on ne parle pas, ou peu, place au Nouveau monde. Et pourtant les parois sont restées gravées, et pourtant les pierres sont encore alignées. Qu’est-ce qui fascine tant le jeune Donald, est-ce juste l’appétence de sa ville pour l’ancien, qui les poussent à créer un musée de bric et de broc, est-ce la résurgence d’un passé qui signifiait peut-être quelque chose, autre chose de plus fort que ces villages bâtis de maisons commandées par correspondance, sans âme, de ces endroits laissés à l’abandon car le train ne s’y arrête plus ? On ne sait vraiment, Donald est un taiseux, plus à l’aise dans sa solitude que dans l’introspection ou de longs discours. Alors quand il prend la parole, rarement on l’écoute, rarement on le comprend, et avec une certaine arrogance il s’exprime, au risque d’être rejeté. Pour qui n’a pas les codes, la nature est un sanctuaire où pister les animaux et déterrer des squelettes offre tout de même un but, au moins un.
En entrant dans la Saskatchewan, après presque un an d’absence, il ne ressentit rien du tout. Le paysage était pareil. Pareil, dans l’ombre des nuages qu’il traversait, une idée se profila. La variation soudaine de luminosité ouvrait le chemin à cette pensée. L’intermittence des passages nuageux, court, long, court, court, long, lui délivra un message. Chaque épisode de sa vie lui était passé dessus en ne l’affectant pas plus qu’une ombre, qu’il avait sentie passer et disparaître, sans conséquences. Il s’était toujours laissé survoler par les événements, occupé à ses petites affaires avec l’inconscience d’un somnambule. Au contraire ses grands-parents, avec une résolution qui lui semblait inatteignable, avaient pris la vie de plein fouet. Ils avaient labouré la terre, sué, semé, récolté, procréé. Ils avaient habité leur territoire, et transmis leur connaissance. Ils avaient surtout donné un sens à ce coin perdu, en fondant la Société Historique. Et lui alors ? Qu’avait-il fait de cet endroit à part fouiner partout, se remplir les poches de ses pauvres trésors, avant de le dénigrer et de s’enfuir comme un voleur ?
Drôle de bouquin déshumanisé, à l’image de son personnage central, Pas d’éclairs sans tonnerre offre pourtant l’accroche nécessaire pour qui aime se laisser harponner par les grands espaces, les espaces lointains. L’écriture, didactique parfois, n’est pas vilaine et le récit, malgré l’absence de vrais bouleversements, se laisse suivre comme un chemin de traverse. Une plongée en soi, bien loin des hommes, bien loin de chez nous, que l’on peut bien sûr rapprocher du natural writing, courant ô combien rafraichissant par ces temps de canicule. Vous y apprendrez sans doute plus sur les Indiens que sur Donald, mais vivrez par ses yeux des paysages que vous n’auriez pas eu la chance de découvrir si intimement. Une lecture pour les curieux et les grands amoureux du Canada.
Éditions Zoé – ISBN 9782889273799