Amandine Glévarec – Chère Luce Wilquin, en faisant quelques recherches sur la maison d’édition qui porte votre nom, j’apprends avec stupeur que celle-ci n’est pas née en 1992 en Belgique… mais en 1987 à Lausanne ! Seriez-vous suissesse et non belge ?
Luce Wilquin – Mon passeport est belge… mais je le suis si peu : je suis née sur la frontière franco-belge près de Valenciennes et j’ai vécu vingt ans à Lausanne en Suisse romande.
C’est effectivement à Lausanne que j’ai créé ma maison d’édition en 1987, après un parcours varié dans l’édition.
A. G. – Pourriez-vous nous raconter votre parcours personnel, vous qui êtes si discrète, qui vous a amenée en 1987 à la fondation des éditions Luce Wilquin ?
L. W. – Tout en terminant mes études d’interprète de conférence et de traductrice à Mons (Belgique), je faisais déjà des traductions pour les Éditions Marabout (collection Marabout pratique), histoire de gagner un peu d’argent pour mes études. J’ai donc mis pour la première fois les pieds dans une maison d’édition en 1970 !
Parallèlement à mon poste d’assistante (enseignement de la traduction) dans l’école qui venait de me diplômer, j’ai assuré en indépendante des traductions pour des institutions internationales… et des maisons d’édition.
Puis ce fut le déménagement à Lausanne à la suite de mon mari, des collaborations indépendantes avec les Éditions Delachaux et Niestlé ou Spes, un poste d’assistante (documentation et publications) à la Fondation Nesté pour la Recherche en Alimentation, suivi d’un poste de directrice éditoriale aux Éditions Edita (beaux-livres et livres d’art), des collaborations indépendantes avec les Éditions La Bibliothèque des Arts. Et enfin des collaborations indépendantes en tant qu’attachée de presse et relations librairies pour divers diffuseurs suisses. Ce qui m’a amenée à me constituer un bon carnet d’adresses de journalistes et de libraires…
C’est alors que s’est imposée en 1987 l’idée de créer ma propre maison d’édition indépendante…
A. G. – Quand la maison est née, aviez-vous en tête une idée très claire de la ligne éditoriale que vous aviez envie de mener ?
L. W. – Oui, j’avais balayé pas mal de domaines, mais là je pouvais enfin publier ce qui me tenait à cœur : de la littérature. Et faire découvrir de nouveaux auteurs. Je tiens très fort à mon statut de passeur…
A. G. – Aujourd’hui, vous publiez principalement des auteurs francophones, belges, suisses et français. Et – si je ne m’abuse – principalement des femmes. Est-ce un vrai parti pris de mettre en avant une certaine littérature ou plutôt le hasard des sensibilités ?
L. W. – Ce n’est pas un parti pris, mais peut-on parler de hasard ? C’est simplement le résultat de mes choix, de mes coups de cœur… S’il y a plus de femmes que d’hommes, ce n’est en tout cas pas un parti pris, mais nous recevons plus de manuscrits de femmes.
A. G. – En parlant de sensibilité d’ailleurs, qu’est-ce qui vous pousse à retenir un manuscrit plutôt qu’un autre ? J’imagine que vous en recevez beaucoup ? Combien en publiez-vous par an ?
L. W. – Nous recevons énormément de manuscrits – trop, dirai-je, par rapport à notre capacité de lecture… Nous publions actuellement douze nouveautés par an, après en avoir publié vingt pendant des très longues années.
Il nous est donc impossible désormais d’accueillir beaucoup de nouveaux auteurs, car les auteurs du catalogue nous sont en général fidèles, et ils constituent le gros des parutions.
Certains nous ont quittés, bien sûr, mais happés par de gros éditeurs parisiens (Gallimard, Belfond, Albin Michel, Stock, etc.). Ce qui, paradoxalement, fait ma fierté : mes choix n’étaient donc pas si mauvais que ça !
A. G. – La Belgique, tout comme la Suisse, est soumise à la tabelle. Il a été annoncé que celle-ci devrait être supprimée mais elle est toujours en place à ce jour. Pourriez-vous expliquer en quoi cela consiste, et nous préciser l’impact éventuel sur votre distribution hors Belgique ?
L. W. – La tabelle (surcoût imposé par les distributeurs) ne nous concerne pas en Belgique, elle ne concerne que les ouvrages publiés en France. Et elle va être progressivement supprimée. Elle nous atteint par contre en Suisse, où notre diffuseur/distributeur Zoé l’applique à chacun de nos livres. Je trouve personnellement incompréhensible que nos ouvrages soient plus chers à Genève qu’en France toute proche (Divonne, Annemasse, Annecy,…). La tabelle date de l’époque lointaine des barrières douanières et des taxes élevées, elle n’a à mes yeux plus de sens aujourd’hui.
A. G. – Vous êtes implantée en Belgique donc, comment se porte le marché du livre dans ce pays, tout au moins dans sa partie francophone ?
L. W. – Nous sommes désormais implantés en Belgique, mais nous vendons dans toute la francophonie…
Le marché belge francophone se porte à mon sens moins bien que le claironne l’association représentative (… que les éditeurs littéraires ont désertée). Le Belge lit moins (ou achète moins) que le Suisse…
Ceci dit, nous ne pouvons pas nous plaindre, certaines de nos parutions se vendant facilement à des milliers d’exemplaires et nos auteurs étant régulièrement nominés pour des prix ou primés.
A. G. – Vous allez publier à la rentrée une auteure que j’aime beaucoup – Anne-Frédérique Rochat – avec qui vous travaillez depuis déjà un certain nombre de titres. Quel plaisir avez-vous en tant qu’éditrice à entretenir des relations aussi privilégiées, voyez-vous la patte d’une auteure s’affirmer, et dans quelle mesure d’ailleurs intervenez-vous au niveau éditorial, en général ?
L. W. – Les relations privilégiées avec les auteurs, c’est pour moi l’essentiel de ma fonction d’éditrice. Des relations mêlant confiance et amitié, un accompagnement constant qui me permet de voir s’affirmer des auteurs que j’ai « découverts », à l’instar d’Anne-Frédérique Rochat et de nombreux autres… Et de travailler avec eux sur les textes quand ceux-ci ne me semblent pas aboutis. Mais je veille toujours à suggérer, pas à imposer, car je ne suis en aucun cas l’auteur des textes.
A. G. – J’ai l’impression que votre maison demande énormément d’investissement personnel, de temps surtout pour vous qui semblez être sur tous les fronts. Arrivez-vous à financer des appuis ? De combien de personnes est constituée l’équipe ?
L. W. – Oui, investissement personnel de tous les instants… mais aussi quel bonheur !
Nous travaillons avec des collaborateurs indépendants (attachée de presse, comptable, graphiste, etc.), mais nous sommes deux permanents au bureau.
A. G. – Votre maison d’édition a fêté ses 30 ans l’année dernière. La passion est-elle toujours intacte ? Votre envie d’œuvrer pour la littérature a-t-elle été la clef ou le moteur qui vous a permis d’affronter toutes les difficultés ?
L. W. – Mais c’est la passion – passion pour les textes, oui, mais aussi passion pour les relations humaines tout simplement et foi dans le pouvoir de la lecture –, et uniquement la passion qui m’a permis de surmonter les écueils inhérents à toute entreprise indépendante ! Et il y en a eu beaucoup…
A. G. – Pour conclure, un mot si vous le voulez bien sur vos titres à venir de cette nouvelle rentrée littéraire ?
L. W. – Je propose cinq titre en cette Rentrée littéraire, qui tous me remplissent de bonheur : le septième roman d’Anne-Frédérique Rochat (« Miradie ») où l’on retrouve son univers si personnel, un recueil de nouvelles à caractère social (« Ma place dans le circuit ») de Sabine Dormond qui intègre la maison d’édition, le dixième roman (« Les dix-sept valises ») d’Isabelle Bary, auteur-phare du catalogue, un exceptionnel premier roman (« Le tiers sauvage ») d’Aliénor Debrocq, nouvelle aussi dans la maison d’édition, et le huitième roman (« La porte des lions ») d’un autre auteur-phare du catalogue, Michel Claise.
Les deux premiers auteurs sont suisses ; les trois autres, belges…
Et chacune de ces œuvres réunit les qualités que j’ai toujours recherchées : une lecture à plusieurs niveaux, un fond plaisant mais qui n’en fait pas moins réfléchir sans être pesant et un style affirmé.
Les premières pages de tous ces livres apparaîtront bientôt sur notre site www.wilquin.com.