La Dame de compagnie – Bessa Myftiu

La dame de compagnie

Il y a un joli côté désuet et suranné dans cette Dame de compagnie que nous livre Bessa Myftiu, à l’instar du métier exercé par notre héroïne, à l’égal de l’élégance de notre auteure. Pour gagner sa vie il faut parfois s’adapter aux opportunités, celle d’être payée pour faire la lecture, ou tenir une discussion, n’est pas des plus courantes mais pourquoi ne pas se plier au gré des rencontres, au plaisir de s’occuper de plus démuni que soi. Du vieux grabataire au jeune impuissant, de la vieille fille à l’ancienne star, mademoiselle vogue de solitude en solitude, apportant tout en discrétion, tout en joie retenue, une attention, un soutien, une parole. N’allez pourtant pas croire qu’il s’agit là d’une douce histoire sentimentale, si cette jeune femme a des airs de violette, en elle brûle le feu, une époque somme toute contemporaine, ses préoccupations sont les nôtres, son envie de bien faire je l’espère aussi. De l’incompréhension de son amoureux qui s’étouffe d’une jalousie mal placée, mal dominée, mâle dominant, au regard aussi vif que ses paroles sont acerbes d’un jeune homme qui souffre de ce que la vie lui a retiré, d’allers en retours, mademoiselle sera soumise – oui – aux sentiments, mais de ceux dont on se brûle parfois les doigts, de ceux qui parfois émiettent le cœur.

Tout a commencé par une annonce parue dans le journal, alors que j’étais au chômage après mes études de lettres.  « Ça existe encore, les dames de compagnie ? » me suis-je demandé. Il me semblait que ce métier avait disparu avec le déclin de l’aristocratie et de ses privilèges. Et bien non… J’ai vu les qualités recherchées, « cultivée et aimable », et j’ai tenté ma chance. Parmi les trente-cinq candidates, monsieur Bachmann a jeté son dévolu sur moi. Mes diplômes en Philosophie et Littérature anglaise l’avaient séduit. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un travail temporaire et qu’au terme de ma période de chômage, je trouverais une place convenable dans l’enseignement public ou privé. Mais le sort en a décidé autrement. J’étais née pour devenir dame de compagnie, s’enthousiasmait monsieur Bachmann à l’adresse de son entourage. Alors, vieillards, paraplégiques, aveugles et invalides de toutes sortes se sont rués sur moi. Il paraît qu’à ma naissance, les fées m’ont dotée d’une aura à même de soulager la peine des autres.

C’est tout en dialogues que Bessa Myftiu laisse évoluer ses personnages, il n’est pas dit mais ils s’entendent tous ceux qui n’ont pas toujours l’occasion d’être écoutés, qui doivent par le biais de l’argent acheter une attention que notre monde ôte parfois à ceux de la marge. De beaux personnages qui touchent et font mat, que l’on aime suivre malgré leurs tourments, leur folie quelquefois. Et mademoiselle à nouveau, guidée par ses fées, par son envie de bien faire, essaiera de répondre aux uns, de glisser son grain de sel auprès des autres, d’intervenir pour que la vie et le tragique de celle-ci se dénoue. Outrepassant ses fonctions, sans qu’on lui demande véritablement, elle s’exposera à son tour à une mise à nue qui la laissera plus vulnérable qu’elle ne l’aurait pressenti. La Dame de compagnie est dame de tendresse, ce doux roman est de ceux qui nous accompagneront le temps d’une soirée, le temps d’un été, qui nous laisseront également plus fragiles que nous ne l’aurions pensé.

Je dépose le papier dans une boîte en bois et m’approche du miroir. Mon visage me fait peur, tellement il est pâle. Dans une heure, je dois rencontrer Arthur, et cette perspective ne me réjouit guère. Après un thé noir, je parviens à avaler quelques biscuits, ensuite je commence à m’habiller. Je mets une robe verte, afin de donner un souffle d’espoir à mon teint blafard. Un maquillage appuyé me protègera des attaques impitoyables d’Arthur et le chapeau dont sa mère m’a fait cadeau m’aidera à dissimuler mes pensées. Et soudain je me rends compte que cela fait longtemps que je ne les cache plus devant lui : au contraire, je les exprime ouvertement ! Serais-je insensiblement sortie de mon rôle de dame de compagnie ?

J’insiste donc sur ce doux tempo, sur l’élégance du phrasé d’une auteure qui mérite une attention toute particulière, elle qui en est déjà à son cinquième roman, sur cette tendresse qui se heurtera à une brutalité, sur cette humanité dévoilée le temps d’une fiction entrée dans nos vies. Un roman intelligent, parfois érudit, à qui il faut laisser sa chance d’exister, en n’oubliant pas que sous ses airs sages il cache une densité, une intensité, qui vous offrira, je vous l’affirme, peut-être quelques larmes, mais surtout une bien belle lecture, en bien bonne compagnie.

Éditions Encre fraîche – ISBN 9782970117124