L’Âge d’homme

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Amandine Glévarec – Chère Andonia, tu as commencé à travailler jeune chez L’Âge d’homme, mais tu as aussi été libraire. Quel était ton parcours, quelles étaient les premières fonctions que tu occupais dans la maison ?

Andonia Dimitrijevic – J’ai en effet travaillé d’abord en librairie. Très timide, je me cachais aux arrivages puis petit à petit et par la force des choses, je me suis retrouvée à conseiller et à vendre des livres, poste qui m’a énormément plu et beaucoup appris.

Plusieurs années plus tard, j’ai commencé aux éditions, côté diffusion. Au décès de mon papa, j’ai découvert le versant éditorial que je ne connaissais que de loin.

A. G. – Tu as récupéré la gestion entière de la maison à sa mort, en 2011, t’es-tu posé la question de continuer ou était-ce logique de reprendre le flambeau ?

A. D . – Reprendre était pour moi une évidence, je ne me suis pas posé la question. Comme mon père l’aurait dit : « On continue ! »

A. G. – Ton père, Vladimir Dimitrijevic, avait fondé L’Âge d’homme en 1966 avec l’aide de Dominique de Roux. Les publications ne se concentraient pas uniquement sur la littérature mais aussi sur les sciences humaines, sur les essais, sur les traités universitaires. J’imagine que le fonds est incroyablement dense. Est-ce aujourd’hui facile de le gérer ? Quels problèmes et quelles possibilités offre-t-il ?

A. D. – Malheureusement, sans de nouvelles éditions, tous les livres du fonds aussi extraordinaires soient-ils n’ont qu’une très petite visibilité. De nos jours, les diffuseurs français sont souvent très réticents à prendre un fonds aussi vaste malheureusement.

A. G. – Tu m’excuseras une question assez politique, domaine dans lequel en plus j’avoue totalement mes lacunes, mais la réputation de ton père en Suisse avait parfois fait l’objet d’un certain contraste. Ce n’est pas tant les opinions de ton père qui me questionnent que la façon dont toi tu as vécu cet héritage, et l’image associée à la maison d’édition qui a pu en découler.

A. D. – J’ai trouvé que cette image ne reflétait pas l’ouverture d’esprit dont mon papa faisait preuve. Le catalogue est si riche et varié, les quelques livres polémiques sont une infime partie des titres publiés.

Cette réputation a, je pense, beaucoup nuit à une période au reste des publications. J’espère que depuis, le temps a fait son œuvre.

A. G. – Aujourd’hui, ça fait plusieurs années que tu diriges la partie éditoriale. Quel cheminement as-tu suivi, comment es-tu devenue éditrice toi qui as récupéré si jeune des travaux déjà en cours, des projets déjà signés, quel souvenir gardes-tu de cet apprentissage ?

A. D . – J’aime apprendre sur le tas. C’est ainsi que je me sens la plus efficace. Il y avait en effet beaucoup de projets en cours, certains concrets, d’autres moins. J’ai marché à la confiance concernant les dires des divers intervenants, je fus aidée et soutenue par le reste de l’équipe qui a tout fait pour me simplifier la tâche. Petit à petit, j’ai osé affirmer mes goûts et choix éditoriaux afin de m’approprier la maison.

A. G. – La question qui interroge toujours est de savoir combien de manuscrits tu reçois et comment tu sélectionnes ceux que tu vas éditer ? Tu es seule à choisir ? Fais-tu appel à un comité de lecture interne, externe ?

A. D. – Suite au succès de Joël Dicker, nous avons eu un « pic » de courriers. Nous en recevions facilement six, voire plus, par jour. Actuellement, trois ou quatre. En général, je m’occupe du premier tri et ensuite nous nous partageons les diverses lectures avec le reste de l’équipe suivant les emplois du temps de chacun et les affinités concernant les sujets des textes et leur style. Tout se passe toujours en interne.

A. G. – De combien de personnes est constituée l’équipe de la maison ? Comment vous répartissez-vous les tâches ? J’ai cru lire que les salaires étaient égalitaires ?

A. D. – Nous sommes cinq, il nous arrive cependant de faire appel à des personnes externes avec qui nous travaillons régulièrement lorsqu’il s’agit de correction, de mise en page et de graphisme.

A. G. – Quelle lectrice es-tu ? Arrives-tu encore à trouver le temps de lire par simple plaisir ?

A. D. – Je ne lis malheureusement pas autant d’ouvrages que je le souhaiterais en dehors des manuscrits mais souvent, même dans ces cas-là, il s’agit de lectures plaisir.

A. G. – Arrives-tu à suivre l’actualité des autres maisons de Suisse romande, de France ou d’ailleurs ?

A. D. – Je tente de me tenir informée mais je ne tiens pas compte des choix extérieurs pour nos décisions éditoriales.

A. G. – Tu es très proche de tes auteurs et tu as à cœur de promouvoir leur travail. J’imagine qu’humainement c’est (déjà !) un travail à plein temps ? (question légère plus que question sérieuse)

A. D. – Mes collègues et moi tentons de comprendre au mieux les textes et donc les auteur.e.s afin que leurs écrits ne perdent pas leur âme. Souvent, le travail éditorial amène une certaine proximité par le partage que l’exercice occasionne, il s’agit de beaux échanges souvent très enrichissants.

A. G. – Tu as créé des collections orientées vers le veganisme car je sais que c’est là un sujet qui te tient particulièrement à cœur, mais elles sont aussi cohérentes et en lien avec les préoccupations de notre société actuelle. Arrives-tu à les promouvoir autant que tu le désirerais, trouvent-elles leur public ? Est-ce une locomotive pour la maison ou pour l’instant un fond perdu car il s’agit toujours de livres très soignés et donc sans doute onéreux ?

A. D. – Au départ, l’idée de la Collection V m’est venue car en tant que végane depuis 2009, je ne trouvais rien ni sur le sujet, ni sur les recettes végétales, sur le marché. Il m’était logique lorsque j’ai repris les éditions de palier à ce manque. Nous éditons des essais, des livres pour enfants et des livres de recettes sur le sujet. En ce qui concerne la cuisine, maintenant que de grands éditeurs s’y sont mis, il ne s’agit plus d’un thème primordial à combler, je compte donc plutôt m’orienter vers les essais ainsi que les ouvrages pour enfants.

A. G. – Le problème le plus fréquent des maisons romandes est bien sûr la distribution en France, secteur concurrentiel s’il en est. Je crois que tu es actuellement en train de revoir la question et que des solutions se profilent ?

A. D. – Pour le moment, nous sommes diffusés et distribués pour une partie du fonds par Interforum mais je pense qu’il nous faut un support tel qu’une agence ou un.e attaché.e de presse sur mandat, chose qui est passablement coûteuse. Nous y réfléchissons.

A. G. – Rencontres-tu ce souci de distribution et de diffusion uniquement pour la littérature ? Les livres vegan sont-ils soumis à un autre régime (sans mauvais jeu de mots) ?

A. D. – Il est en effet plus difficile de promouvoir la littérature.

A. G. – L’Âge d’homme avait une librairie à Paris, qui a fermé il y a peu. Reconquérir Paris par ce biais est-il ton objectif ou préfères-tu te concentrer sur la Suisse puis t’ouvrir à la France (= pas – que – Paris) ?

A. D. – Il a fallu nous recentrer sur le domaine éditorial, nous avons aussi changé notre structure de diffusion et distribution en Suisse. Nous n’abandonnons pas l’idée de nous déployer davantage à Paris mais ce n’est pas la priorité pour le moment car nous avons beaucoup de chantiers en cours ici, en Suisse.

A. G. – La francophonie a été mise au centre des débats, grâce entre autres à Alain Mabanckou. As-tu un avis sur la question ? Très pragmatiquement, quand tu édites un livre, chéris-tu les helvétismes ou conseilles-tu aux auteurs de s’en passer afin de toucher un marché plus « large » ?

A. D. – Je pense qu’il faut agir au cas par cas. Tout d’abord, il faut prendre en compte la volonté de l’auteur, comprendre son intention. Dans certains textes, situer l’intrigue me semble nécessaire.

A. G. – Tu es une femme réservée mais tu as la force d’une lionne. Aujourd’hui j’ai l’impression que tu as beaucoup de chantiers en cours mais que tu sais exactement où tu veux aller. Que puis-je te souhaiter pour l’année à venir ?

A. D. – Sait-on vraiment où l’on va dans l’édition ? Disons que j’ai des pistes, qu’au fil du temps notre ligne éditoriale s’affine, que nous travaillons avec certain.e.s auteur.e.s depuis plusieurs livres et que la vision globale est un peu moins floue, ce qui aide déjà beaucoup. J’aime être dans l’action, rechercher des solutions me semble naturel et même motivant.

A. G. – Et puisque nous sommes entre amoureuses du livre, laissons leur le dernier mot. As-tu quelques livres de L’Âge d’homme dont tu aimerais nous parler, et si tu n’arrives pas à choisir peut-être quelques nouveautés toutes fraîches ou à paraître ?

A. D. – Il est toujours difficile de faire un choix parmi les livres publiés ou à paraître.

Je vais tout d’abord citer un auteur français dont nous avons publié deux ouvrages, Thomas Kryzaniac, il fût l’un de mes premiers coups de cœur. Il a publié son premier roman Le Pyromane très jeune, s’en est suivi quelques temps plus tard Vivarium qui est pour moi un véritable bijou.

Il y a peu, j’ai eu la chance de travailler avec l’auteur suisse Virgile Elias Gehig pour son dernier roman Peut-être un visage, il s’agit d’un livre entre le conte et le roman, au style très soigné et aux tournures poétiques.

Je souhaite également citer Dunia Miralles (Inertie) et Sacha Després (Morceaux) dont j’apprécie énormément l’écriture et la profondeur des textes, leur sensibilité m’est très proche.