Le Dîner de trop – Yasmina Rheljari

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De la chick lit marocaine ? Allons donc… et pourtant ! Pur produit de son époque Un Dîner de trop révèle les travers d’une société que l’on croirait, de prime abord, bien plus différente de la nôtre, ô naïve lectrice qui oublie qu’il suffit d’un peu d’amour et de beaucoup d’argent pour que la vie se veuille ainsi, futile à loisirs, que la vie soit ainsi, grave à en pleurer. Car dans la chick lit, ne l’oublions pas, le fond est bien profond quand la forme est très légère. On y rit (beaucoup), on s’y reconnaît (beaucoup), on réfléchit (mais oui), et on en apprend au passage un peu sur les lois qui régissent un Maroc qui n’est pour le coup pas celui des touristes (mais parfois celui des expatriés, comme nous le rappelle la charmante Séverine, Vendéenne de son état, devenue princesse orientale par la simple magie de son mariage). Nous n’oublierons donc pas sur quel continent nous sommes mais cela rendra le voyage, et la lecture, d’autant plus savoureux.

D’abord les vêtements. Parce qu’on ne badinait pas avec la sappe ici ! Un jean n’était donc pas ce vêtement pratique et confortable que Séverine avait toujours connu. Il était un vecteur de coolitude de riche. On devait le choisir dans les meilleures boutiques de Paris ou de Londres et surtout l’assortir d’accessoires qui n’en avaient que le nom. Leur prix aurait affolé la grand-mère vendéenne de Séverine si économe et si prévoyante ! Une robe d’été ne pouvait sortir que des mains de Missonni ou de Dior. Et un sac de soirée devait impérativement être en série limitée. Exit les baskets qu’elle adorait et cette vieille tenue de sport dans laquelle elle avait tant transpiré. Mais par contre, on devait toujours se vanter du « petit effet » que faisait cette « petite robe » H&M. Accessoirisée avec de sublimes escarpins Prada et une petite babiole de chez Van Cleef, bien sûr… C’était ça la classe : oser porter du H&M, et surtout, s’en vanter !

Maryama, divorcée de longue date, femme indépendante et belle, se décide à inviter ses deux couples d’amis les plus proches pour ce qui résonnera certainement comme un coup de tonnerre : son coup de foudre pour Karim, et dans la foulée, tant que nous y sommes, son très proche mariage. À vouloir faire d’une pierre deux coups, voilà un rocher qui lui tombe lourdement sur la tête sans qu’elle ne s’y attende : les deux hommes invités de la soirée ont décidé de profiter de cette fête pour annoncer à leurs épouses respectives que ça y est, oui, c’est terminé. Courageux mais pas téméraires, ces messieurs se disent qu’en public leurs femmes éviteront l’esclandre et accepteront, la bouche close, le verdict. C’est oublier que l’alcool délie les langues et que celle des femmes peut se montrer particulièrement acérée, public ou pas public, pudeur ou pas pudeur, chagrin ou pas chagrin. Un Dîner de trop oui, un dîner too much surtout, qui va rapidement dégénérer, pour notre plus grand plaisir, et se finir en beauté avec un dessert qui voltigera vers une tête que je ne nommerai pas.

Brahim semblait perdu dans ses pensées. Ce renvoi à plus de 25 ans en arrière l’avait plongé dans des souvenirs qu’il pensait avoir oubliés. Il se souvenait de cette petite brunette douce et joyeuse dont il était tombé amoureux au moment même où il avait rencontré ses grands yeux noirs à ce dîner… À l’époque, il avait dû se battre contre sa famille qui lui destinait une riche héritière de Fès. Épouser une Slaouia, qui plus est fauchée, était non seulement hors de question pour sa famille, mais pire qu’un crime : une véritable trahison ! Sa mère l’avait menacé de ne pas assister au mariage et il avait dû déployer des trésors de patience pour la convaincre de changer d’avis. Il avait tout fait pour cacher ce rejet à Hakima. Elle était si fragile… à l’époque.

Mais si tout part en vrille, c’est aussi l’occasion d’asséner deux ou trois vérités, de celles qui font rires tant elles sont universelles, car chacune de ces dames et chacun de ces messieurs, répondent aux parfaits clichés de la femme futile ou de la femme castratrice, de l’homme qui doute de lui ou de l’homme qui n’en doute jamais. Et entre les lignes, forcément, en écho, quelque chose que vous avez vécu et qui vous fera penser : bien vu ! Bien vu en effet les femmes qui passent leur temps à vouloir être devinées et les hommes qui prennent ce mauvais tic quand vient l’heure des adieux, bien vu aussi l’argent ou les enfants qui compliquent tout ce qu’ils auraient pu améliorer, bien vu enfin la lutte incessante pour rester soi quand on devient deux. Petits compromis, grosses rancœurs, les sacs se vident aussi vite que les assiettes (et les verres). Alors oui, c’est écrit avec de jolis petons joliment manucurés et c’est dommage comme ces points d’exclamation assomment plus qu’ils ne mettent en valeur un bouquin détente ayant ce délicieux goût de déjà-vu. Un peu plus affûtée, la lame aurait été parfaite, mais celle-ci l’est bien assez pour trancher dans le vif son sujet, connu et reconnu, amour et fric, luxe et volupté, tout sauf de l’eau de rose.

Éditions Le Fennec – ISBN 9789954168264