La Coach – Nicolas Verdan

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Tu ressors de là et tu te demandes encore comment tu vas dérouler l’écheveau, sur quel fil tu vas vouloir tirer en premier, comment tu vas cautériser les blessures infligées par les aiguilles qui t’ont percé à cœur. Livre pelote, La Coach, le roman d’un homme bougrement intelligent, diablement politique, Nicolas Verdan nous l’avait déjà prouvé avec Le Mur grec, il remet ça avec son dernier opus. À nous de voir, ou pas, ce qu’il nous colle sous les yeux, ce que nous avons sous les yeux en permanence et que nous ne voulons pas voir. D’accord, si tu te la joues lecture facile, lecture détente, tu en auras aussi pour ton argent, l’histoire est bien foutue, bien menée, y a même un rebondissement à la fin, et du suspense pour faire glisser le tout. Si t’en veux pour un peu plus, et que t’as un peu de temps après, tu peux même y repenser, à La Coach, la Coraline, te demander en quoi elle est si fascinante, si limitée et pourtant si énorme, circonscrite par ses contradictions, y poser des mots tu verras, pas facile. Si vraiment, vraiment, t’as envie de t’offrir le grand tour, alors tu verras plus large, plus loin, tu la regarderas ta Swiss, d’en haut, du haut de la plus haute tour de Suisse, et tu te demanderas où commence la fiction et où se termine la réalité.

Aussitôt le train sorti du bunker de la gare Swiss Railways, je m’endors, emportée par le roulis du wagon. Je rêve que je suis dans une locomotive au beau milieu d’un paysage nocturne désolé. Je cherche dans l’obscurité de la cabine les commandes pour arrêter ce défilé de graffiti hurleurs qui dévorent les murs de petites villes dépassées de plus en plus vite. Je rêve d’une herse de fermes avec des trous noirs à la place des fenêtres. Nous les traversons comme des tunnels et nous volons maintenant par-dessus le gouffre d’un lac de barrage. J’entends soudain un choc terrible sur la vitre de la locomotive qui s’étoile et se teinte de rouge. Je me réveille en sursaut. J’ai la gorge sèche.

Roman à strates donc, à toi de creuser, et je te préviens, ça va être dense, ça serait mon seul reproche. Nicolas Verdan nous plante là une femme qui a des envies de vengeance. Mort son frère, balancé sous les rails d’un train, assassiné son frère, par l’employeur qui l’avait jeté. Ça c’est la petite musique qu’elle se joue la nuit quand elle n’arrive pas à dormir. Alors sa sérénade elle se décide à la chanter aux oreilles du coupable tout trouvé : Esposito, le chef du limogeage chez Swiss Post. Histoire de le mener à expier, histoire de le pousser à se tuer. Je ne spoile pas, c’est direct, on le sait. Voilà le plan A. Finaude la Coraline mais un peu sûre d’elle-même, un peu trop certaine que sa volonté pure déplace les hommes comme des pions sur l’échiquier. Elle se croit Reine, se pourrait-il qu’elle ne soit que Cavalière, amazone, à ses trousses, on l’apprend vite, une autre volonté, aussi redoutable que la sienne, une autre envie de vengeance, aussi biaisée que la sienne. Un Fou, allez. Elle ne nous dit pas tout la filoute, elle occulte, et quand elle ne veut pas écouter, facile, elle boucle, pas plus loin les questions à se poser, seule dans tête, seule dans son lit, seule mais surtout pas face à elle-même. Les yeux des autres sont des miroirs, trop de risques, pas de chances de remise en question. Tiens donc ceux qui l’épient se planquent sous une capuche, faudra attendre la fin pour lever le voile.

Je serai à Sierre dans une heure et quart. Le temps est couvert, il fait moins froid qu’hier. Paraît que c’est déjà le printemps. Je ne serais pas étonnée qu’il neige. J’allume la radio. C’est Roten qui parle, je reconnais sa voix à la seconde où je l’entends. Un copain d’enfance, le meilleur ami de mon frère. Un mou, j’en sais quelque chose. Il dit qu’il n’a rien pu faire lui non plus. Je crois plutôt qu’il aurait mieux fait de ne pas mettre des idées de résistance dans la tête de David. Sans cet imbécile, mon frère n’aurait jamais eu l’idée d’aller ameuter des gens de Sion et de Sierre en leur disant de venir faire leurs paiements dans son bureau de poste. Il faisait la tournée des bars en demandant à peu près à n’importe qui de venir à Vex pour envoyer ses paquets ou lui acheter des billets de tribolo. Il espérait grossir comme ça le chiffre d’affaires de son office. Faut dire que la direction de Swiss Post avait fixé aux petites postes comme la sienne des objectifs financiers inatteignables. Ensuite, c’est plus facile de justifier des fermetures : « Vos chiffres le prouvent, votre point de vente n’est pas rentable. » La suite, on la connaît. Swiss Post débarque au village avec des solutions plus « rationnelles », telles que l’ouverture d’une agence postale dans un commerce du bled ou l’instauration d’un service à domicile. Les communes sont mises devant le fait accompli et Swiss Post estime avoir joué son rôle en prévoyant une alternative à la fermeture. Ce scénario se répète invariablement dans toute la Suisse et rien ne semble devoir enrayer la disparition des bureaux de poste du paysage.

Plan B. Il ne s’agit pas d’une simple histoire de vengeance, il s’agit d’un état des lieux. Comptons les occurrences de cette Swiss qui apparaît à tous les coins de pages. Que nous dit Nicolas Verdan ? Que Coraline est seule mais qu’elle n’est pas unique, que des comme elle il y en partout, en hauteur, tout en haut de tous ces grands groupes qui utilisent le nom d’un pays comme marque de fabrique, comme marque de reconnaissance. Swiss comme un écho, de celui qui s’entend jusqu’en haut, de là où l’on perd les choses de vue, à trop croire qu’on est sur la cime, qu’on domine le monde, qu’on est l’Histoire, on oublie que celle-ci s’écrit à nos pieds, à trop croire qu’on frôle le ciel, on oublie qu’on ne laissera pas d’empreintes. Combat de dupes, combats de coqs, choc des egos. Ça glose, ça discute chiffres, ça parle d’un nombre, mais ça ne dit rien, du vent, rien que du vent. Tu parles d’une alliance toi, juste bons à s’entretuer, à se dégommer, à se glorifier. Pas de pitié dans l’air, on finira tous au même endroit, sous terre. Certains tomberont juste de plus haut. Affaire à suivre, je compte sur Nicolas Verdan pour ne pas la perdre de vue.

Éditions BSN Press – ISBN 9782940516810