Louise Bottu

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Amandine Glévarec – Cher Jean-Michel, commençons par la plus spontanée des questions : qui était Louise Bottu ?


Jean-Michel Martinez-Esnaola Louise Bottu est. Louise Bottu est éternelle. Comme peut l’être un personnage de roman. Du moins tant qu’il y aura des lecteurs.

Louise Bottu apparaît dans Monsieur Songe (Robert Pinget, Éditions de Minuit, 1985). Et dans un ou deux autres livres du même auteur, je crois bien, mais je n’ai pas retrouvé sa trace.

Page 135 de Monsieur Songe :

« Monsieur Songe au cours de sa promenade du matin rencontre un jour Louise Bottu la poétesse. Elle est toute déjetée, boiteuse et tremblotante. Mais sitôt qu’elle reconnaît monsieur Songe elle a un sourire de petite fille et leur conversation, qu’ils ont interrompue depuis des lustres, est la même qu’autrefois. C’est ainsi qu’il apprend que Louise Bottu va mettre sous presse un nouveau recueil de poésie. Elle en parle comme de sa première communion, avec des accents pathétiques. Il n’y est question que de levers de soleils, d’oiseaux bleus, de fleurs et d’amourettes. Et à mesure qu’elle en parle, elle prend des couleurs, elle en oublie de trembler, elle se redresse, regarde autour d’elle, bref ressuscite.Et monsieur Songe en rentrant chez lui pense ah ces femmes n’ont pas fini de nous étonner ! »

A. G. – Seconde question, tout aussi naïve, c’est où Mugron ? Est-ce concrètement un handicap d’être en-dehors de Paris ?

J. M. M. E. – Mugron est un village qui n’a rien d’exceptionnel, de pittoresque. Un village des Landes qui en vaut un autre, entre Dax et Mont-de-Marsan. Il y a des canards, beaucoup de canards, je n’en suis pas originaire et ne raffole pas du foie gras. J’y vis par accident. J’aurais pu y naître ou ne jamais le connaître. Il y a tellement de villages où je ne vis pas. Tout ça est très banal. Un handicap ? Louise Bottu est si petite, elle serait perdue dans Paris. Et puis, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, l’électronique abolit les distances.
 En fait, je ne crois pas qu’on vive réellement dans un lieu géographique. Le lieu est accessoire. La preuve, on en change assez facilement.

A. G. – Jamais deux sans trois, j’ose donc : qui êtes-vous Monsieur Jean-Michel Martinez-Esnaola ? Quel est votre parcours avant de devenir éditeur littéraire ?

J. M. M. E. – Mon parcours personnel n’a pas d’intérêt, sauf en ce qui concerne les livres, puisque c’est le sujet de notre entretien. Disons que j’ai manifesté assez tôt une curiosité pour les textes, que j’ai le goût des mots, ça aussi c’est assez banal. J’aime la sonorité des mots, leur musique. J’aime leur sens et leur perverse ambiguïté, j’aime le dessin qu’ils font sur le papier, j’aime voir des livres, les sentir, les toucher. 
J’ai eu, avec des amis, une expérience éditoriale antérieure dans une structure associative, Distance, qui publiait des textes d’auteurs d’autres époques, injustement oubliés, à notre avis, des textes de jeunes auteurs contemporains, aussi, des premiers textes.

A. G. – Vous avez l’art des citations et des références littéraires, avant d’être éditeur je présume que vous étiez un lecteur, un bon et un gros. Qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre les manettes ?

J. M. M. E. – Voir la réponse précédente. J’ai un certain goût pour la lecture, mais je ne suis ni un gros ni un bon lecteur. Je lis en diagonale, plusieurs livres à la fois que très souvent je ne termine pas, avec le risque de rater quelque chose, de mal comprendre, ou la chance d’échapper à l’ennui, c’est selon.

A. G. – Je rebondis sur l’essentiel, le texte. Votre ligne éditoriale me paraît fraiche et pointue à la fois, comment la définirez-vous, est-elle en constante évolution au gré des découvertes ?


J. M. M. E. – Exactement. Nous sommes plusieurs lecteurs. Pour ce qui me concerne, les manuscrits proposés chaque semaine me révèlent des goûts littéraires qui sans eux resteraient inexprimés, inexistants ou inconnus, je ne sais pas trop. Ce sont moins mes goûts qui me poussent vers les textes, que les textes qui mettent au jour mes goûts. Qui les mettent au jour et à jour. Qui les font, semaine après semaine, mêlés aux lectures antérieures qu’ils réactualisent et complètent.

Disons qu’il y a entre ces éléments un jeu mystérieux. Parfois adhésion enthousiaste, parfois indifférence. En réalité tout cela m’échappe. 
Une ligne éditoriale sinueuse, oui, avec, qui apparaît au fil des publications, une certaine idée de l’écriture que nous apprécions. 
Quelques repères. Les contraintes, revendiquées ou pas, le travail sur les mots (ni plus ni moins ce que nous appelons poésie, l’art est la manière), le caractère intemporel de l’écriture, au-delà de la manière propre à chaque époque, la distance qui souvent, mais pas toujours, s’exprime dans un certain humour, le rapport à l’écriture et à soi-même, la question du langage et de l’identité. 
Tout cela doit sembler bien pompeux, non ? tout ce discours. En fait les choses se font par hasard : sans trop savoir pourquoi on aime un texte et on fait tout pour qu’il devienne un livre. Le reste c’est des mots, on l’invente après coup.

A. G. – Sur votre site, vous contestez la nouveauté et sans doute aussi la course effrénée des sempiternelles rentrées littéraires ou des effets de buzz. Votre volonté première est de constituer un fonds de textes de référence ? Il n’y a pas pour vous de nivellement dans vos parutions (le principe de la locomotive) ?

J. M. M. E. – La contester ? La nouveauté existe. Tout est nouveauté ou doit paraître tel. Une nouveauté chasse l’autre. Il s’agit moins de contester la nouveauté que de préciser sa nature et sa fonction sociale et commerciale (voir louisebottu.com).
 Le mot vient de nouveau, neuf. Il signifie qui apparaît pour la première fois. Il veut mettre en avant l’originalité d’un produit, d’une marchandise.

Je ne crois pas à l’originalité, seulement à la manière personnelle de dire la banalité de notre condition.

Dans le Petit Robert, une des définitions de nouveauté est précédée de la notation : vieilli. À peine parues, les nouveautés sont déjà des vieilleries.

A. G. – Vous êtes pour le moment assez discret bien que le nom de votre maison me parvienne de plus en plus souvent. Le hic, si hic il y a, se situe-t-il au niveau de la distribution, du marché qui est déjà bien occupé ou de la reconnaissance des médias porteurs (si médias porteurs il y a aujourd’hui en littérature).

J. M. M. E. – Il y a en effet un nombre considérable de petites maisons d’édition plus ou moins éphémères. Louise Bottu est une petite chose qui a vocation à le rester. Louise Bottu a l’ambition de ne pas grandir.

A. G. – Être éditeur littéraire est-il aujourd’hui un choix de vie, ou de carrière, qui vous permet de vivre ?


J. M. M. E. – Non, si vous voulez dire matériellement.

A. G. – Quels rapports entretenez-vous avec les libraires ? Arrivez-vous à organiser la promotion de vos auteurs, dont vous semblez proche ?

J. M. M. E. – Des rapports marchands d’abord. Parfois plus personnels et cordiaux. Les libraires ne constituent pas un ensemble professionnel et humain homogène. Les relations humaines, quoi.

A. G. – Pour en revenir à votre catalogue, quelles sont vos fiertés, vos coups de cœur, quelle porte d’entrée conseilleriez-vous à un lecteur qui vous découvre ?


J. M. M. E. – Nous aimons tous nos livres, ils se ressemblent tout en étant très différents. Je m’abstiendrai de donner un quelconque conseil. Nous proposons des textes, nous essayons d’en donner une idée, le lecteur décide d’en être un ou pas.
 C’est à la fois enthousiasmant et déchirant de passer d’un livre à l’autre, même si notre rythme de cinq à six livres par an est loin d’être violent. J’aimerais parfois en rester à jamais au même livre. Je me prends à rêver de ne publier, dans un premier temps, qu’un seul titre par an. 
Mais c’est ainsi que les hommes vivent. Et les éditeurs. Et les auteurs. Éditer et écrire. D’un autre côté, on dit souvent qu’un auteur écrit toujours le même livre. Alors tout est bien. De la même manière, un éditeur publie sans doute toujours le même livre, seuls le titre et le nom de l’auteur changent. La création, le mouvement et la nouveauté sont peut-être illusoires.

A. G. – Quels sont les projets à venir ? 


J. M. M. E. – Quelques livres. Clonck et ses dysfonctionnements vient de paraître, de Pierre Barrault, qui entraîne dans un univers singulier, surprenant et fascinant, logiquement Suites de Bruno Fern suivra, roman poétique formellement très inventif, avec la guerre de 14 en fond en cette période de commémoration, puis L’inclusion qui vient, par le Comité restreint, une réflexion sur l’inclusion (au-delà de l’écriture inclusive) à partir de textes fondateurs commentés, Discernement, un texte tout à fait étonnant de Guillaume Contré, d’autres encore en projet…

A. G. – Et enfin, que puis-je vous souhaiter pour les années à venir ?


J. M. M. E. – Que le présent les engloutisse et du Tariquet bien frais.

A. G. – La question bonus, la littérature est-elle une affaire sérieuse ?


J. M. M. E. – Tout ça pour ça, disait je ne sais plus quel écrivain en voyant le livre achevé, cet objet dont la conception, la fabrication, lui avait coûté tant d’efforts, peut-être Léautaud, peut-être pas, peu importe.