La Peuplade Éditions

La peuplade

Amandine Glévarec – Cher Simon, je ne sais rien, mais alors rien, du marché du livre au Québec. Comment se porte-t-il ?

Simon Philippe Turcot – Le marché du livre au Québec se porte plutôt bien, bien qu’il soit évidemment restreint. Le Québec a la chance de compter sur un fort réseau de librairies indépendantes, qui sont présentes dans toutes les régions. Du côté de l’édition, les maisons québécoises sont très dynamiques et inventives. Grâce à une littérature nationale qui ne cesse de surprendre et qui gagnerait à être connue davantage dans le monde entier, les lecteurs québécois peuvent compter sur un milieu littéraire bien vivant.

A. G. – De France, le Québec semble toujours sur le point de se faire avaler par le géant et voisin américain, les québécois lisent-ils volontiers en français ou existe-t-il une vraie concurrence de la part du marché anglophone ?

S. P. T . – Le Québec est ce petit îlot de francophonie résistante, une minorité en Amérique du Nord. La culture québécoise et la langue française devront toujours être protégées, mais le Québec est loin de se faire avaler par son voisin. Les lecteurs choisissent généralement de lire en français, bien que certains, peut-être plus jeunes, préfèrent s’abreuver de culture américaine. Par contre, si on examinait certaines réalités des canadiens anglais, la réponse serait toute autre.

A. G. – Pour votre part, comment allez-vous, comment va La Peuplade ? Depuis quand existez-vous, comment avez-vous trouvé votre place ?

S. P. T . – La Peuplade va très bien. Fondée en 2006 par Mylène Bouchard et moi, la maison ne cesse de grandir. Au début des années 2000, il y a eu un renouveau dans l’édition québécoise. Plusieurs maisons d’édition sont nées (La Peuplade, Alto, Le Quartanier, Mémoire d’encrier, etc.) et ont rapidement pris leur place dans le paysage littéraire. La Peuplade souhaitait offrir une voix à la nouvelle génération d’écrivains, une maison grande ouverte posée loin des grandes villes, un espace de dialogue et de création. Nous n’avons fait aucun compromis au niveau de la qualité des œuvres publiées, ce qui nous vaut aujourd’hui une reconnaissance confirmée. La Peuplade est une entité autonome qui porte bien son nom, avec son identité propre, sa singularité. Elle entraîne avec elle une joyeuses bande d’écrivains et de fidèles lecteurs, qui sont pour nous de véritables ambassadeurs.

A. G. – Aviez-vous auparavant une expérience dans l’édition cher Simon ? De combien de personnes se compose aujourd’hui l’équipe ? Quel est le rôle dévolu à chacun ?

S. P. T . – J’avais 25 ans lorsque j’ai cofondé la maison d’édition avec Mylène Bouchard, qui elle en avait 28. Nous n’avions pas d’expérience en édition, mais organisions des événements littéraires et nous baignions dans les arts et la littérature. Ce projet commun de créer une maison d’édition regroupait nos plus grands intérêts : les livres, la littérature, la création et également les rencontres, le voyage. Aujourd’hui, l’équipe se compose de quatre personnes au quartier général : Mylène Bouchard à la direction littéraire, Paul Kawczak à l’édition, Stéfanie Tremblay aux communications et moi à la direction générale. En France, les relations de presse sont confiées à Sylvie Pereira et Camille Paulian de l’agence Trames et les relations libraires à Julien Delorme. À cela s’ajoutent évidemment notre irremplaçable designer graphique Julie Espinasse de l’atelier Mille Mille à Montréal, ainsi que nos précieux correcteurs, réviseurs, traducteurs et lecteurs de manuscrits.

A. G. – Quelle est la ligne de votre maison, le fil conducteur ? Laissez-vous la part belle aux traductions ? Comment sélectionnez-vous vos textes, combien en publiez-vous par an ? Êtes-vous à la recherche de manuscrits (et pourquoi pas d’auteurs français) ?

S. P. T . – L’excellence est un guide de tous les instants. Parmi les centaines de projets que nous recevons chaque année, nous ne cessons d’évaluer les raisons qui nous poussent à aller de l’avant pour l’un de ceux-là : être chavirés, savoir dès les premières lignes qu’on tient quelque chose de fort, découvrir une voix exceptionnelle, rencontrer une vision artistique. Les vrais créateurs sont des visionnaires, ils vont quelque part et nous les accompagnons sur ce chemin formidable. La Peuplade publie des livres de fiction, des récits, de la poésie et des traductions de romans inspirants d’où qu’ils proviennent, avec un intérêt particulier pour les peuples du Nord. De son phare, La Peuplade tient le cap sur une littérature actuelle convaincue, signée, nécessaire. Une douzaine de nouveautés sont publiées chaque année. Notre catalogue tend à laisser une place de plus en plus grande aux traductions. Nous recherchons toujours de nouveaux écrivains francophones.

A. G. – À défaut d’avoir eu pour l’instant le plaisir de lire les livres de votre maison, j’ai déjà eu celui de les voir. J’ai l’impression que l’image fait partie de vos préoccupations premières, il y a visiblement un gros travail sur les couvertures, vous avez accueilli des artistes en résidence et vous développez même des courts métrages en lien avec vos livres ?

S. P. T . – Le livre est un objet culturel extraordinaire qui doit refléter son époque. Nous travaillons de concert avec Julie Espinasse au design pour créer des livres qui seront facilement repérables par nos lecteurs. Nous cherchons à garder un pied dans l’avant-garde et l’autre dans notre époque. C’est un mélange de compromis et de risques, de choix et de hasards, d’équilibre entre codes et liberté, entre indépendance et influence. Durant quelques années, nous avons invité des artistes à créer les couvertures pour une année entière dans le cadre d’une résidence, ce qui permettait sur la durée d’approfondir le lien avec eux et de pousser plus loin la création. En ce moment, nous travaillons avec l’artiste panaméenne Mariery Young pour la plupart de nos couvertures (nous n’avons pu la laisser partir après un an !). Nous créons aussi parfois des courts-métrages pour présenter des œuvres, un projet intitulé Livres vus. Dès l’automne prochain, nous diffuserons notre propre podcast littéraire. Un projet n’attend pas l’autre. Nous sommes des éditeurs créateurs.

A. G. – Au-delà de la littérature, d’autres sujets – tels que l’art donc – font ils l’objet de publications dans votre jolie maison ?

S. P. T . – Certains thèmes sont récurrents, dont l’identité et le territoire. Il faut savoir que les bureaux de la maison d’édition sont situés à 500 kilomètres de Montréal dans la région du Saguenay. Nous sommes attentifs à ce qui se passe dans les régions éloignées des grands centres. Mais nous sommes ouverts à tous les sujets, tant que les œuvres arrivent à nous bousculer, à nous faire réfléchir ou à nous rendre meilleurs.

A. G. – Vous avez décidé de vous lancer sur le marché français, pour notre plus grand bonheur ! Comment avez-vous choisi les textes qui annonceront votre arrivée (et qui ne sont pour le coup pas forcément le fruit d’auteurs québécois) ?

S. P. T . – À terme, toutes les nouveautés de La Peuplade seront lancées simultanément en France et au Québec. Il fallait cependant choisir les premiers titres à proposer aux lecteurs européens. Nous avons choisi de débuter avec trois traductions pour afficher nos couleurs : Homo sapienne de la Groenlandaise Niviaq Korneliussen, Niko du Canadien d’origine libanaise Dimitri Nasrallah et Les Excursions de l’écureuil de l’Islandais Gyrdir Eliasson. Ce sont trois textes très forts, universels. On y parle d’identité et d’amour, de migration et de reconstruction, de magie et d’enfance. Les livres de trois auteurs québécois suivront tout de suite en mai.

A. G. – J’imagine que d’un point de vue logistique, ça n’a pas dû être très facile, ni très cadeau, d’envisager cette distribution de l’autre côté de l’océan. Quels problèmes se sont posés et comment les avez-vous réglés ? Par quel canal allez-vous passer ?

S. P. T . – J’ai travaillé pendant près de deux ans pour ficeler les partenariats et pour mener à bien cette nouvelle aventure. Il n’est pas du tout facile pour une maison d’édition littéraire du Québec d’intégrer les réseaux de diffusion et distribution en France. Avec l’aide d’un consultant parisien, j’ai travaillé au montage d’un plan d’affaires solide et proposé le projet à quelques diffuseurs en France. Nous avons eu une excellente réception de la part du CDE et avons intégré l’équipe du CDE1. Il fallait ensuite trouver les meilleurs collaborateurs, les plus motivés, pour défendre notre catalogue dans les médias et en librairie. Au fil des rencontres, nous avons trouvé ces perles rares. Camille Paulian, Sylvie Pereira et Julien Delorme sont de précieux alliés. Nous imprimons, pour le marché européen, nos livres en France sur les presse de CPI. Jusqu’à maintenant, nous avons beaucoup appris des traditions et des méthodes françaises. Tout cela est très stimulant.

A. G. – Je vais me permettre en dernier lieu une question un peu plus personnelle, mais j’aimerais avoir votre avis sur la question de la francophonie qui agite un peu la France en ce moment. Intégrer le marché français, pour une maison québécoise, est-ce aussi une façon d’affirmer que la littérature de langue française (ou que le travail de traduction de textes étrangers en français) existe bien au-delà des frontières parisiennes ?

S. P. T . – Absolument. Et la question est excellente. Il est très difficile pour les éditeurs, hors de la France (ou de Saint-Germain-des-Prés), de diffuser largement leurs œuvres dans toute la francophonie. Prenons par exemple le Québec, qui produit une littérature nationale riche et diversifiée, très moderne. Cette littérature est méconnue des autres peuples francophones, j’inclus ici la France. Pour qu’un texte littéraire québécois bénéficie d’un large rayonnement dans le monde francophone, il faut généralement qu’un éditeur parisien se l’approprie. L’éditeur marocain, belge, sénégalais ou québécois aura bien du mal à parvenir seul à une diffusion pareille, puisqu’il ne dispose pas des relais nécessaires. Chez La Peuplade, nous refusons cette situation. En publiant des découvertes littéraires exceptionnelles en traduction ou en langue française, nous arrivons en France avec un catalogue riche, ouvert sur le monde, et nous nous assurons, avec nos partenaires, que les œuvres publiées circuleront partout.

A. G. – Par ricochet, qu’est-ce qui motive votre envie – et j’imagine la prise de risque financière – de faire connaître vos publications en France ?

S. P. T . – Le but de La Peuplade est d’offrir aux écrivains que nous représentons la possibilité d’accéder à une véritable carrière internationale. Pour ce faire, il faut prendre des risques. Dans le même ordre d’idées, notre équipe travaille très fort pour que les livres de la maison soient traduits dans le monde entier. Grâce à un partenariat avec L’Autre agence à Paris, nous avons récemment conclu, par exemple, des cessions de droits de traduction pour le roman Le Poids de la neige de Christian Guay-Poliquin en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Albanie, en Arménie, en République Tchèque, au Canada, en Catalogne… Les œuvres sont libres, elles aiment voyager.

A. G. – Vous avez de très efficaces relais en France qui vous ont fait une très belle publicité, je crois que nous sommes nombreux à avoir hâte de découvrir les livres ! Vous passerez bientôt nous voir ? 😉

S. P. T . – Nous nous réjouissons de voir toute cette attention des libraires et des médias pour l’arrivée en France de La Peuplade. C’est incroyable ! Je viens à Paris tous les deux mois, à mon grand plaisir, pour rencontrer nos collaborateurs. Par ailleurs, Mylène Bouchard et Paul Kawczak accompagneront plusieurs écrivains de La Peuplade au salon Livres Paris (sur le stand de Québec Édition). Des lancements sont également prévus au cours des prochaines semaines, notamment celui du roman Niko de Dimitri Nasrallah à la librairie Le Monte-en-l’air le samedi 17 mars à 19h et celui du roman Homo sapienne de Niviaq Korneliussen à la Maison du Danemark à Paris le jeudi 17 mai à 19h.