Quidam Éditeur

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Amandine Glévarec – Cher Pascal, votre petit logo a été dessiné par Moebius, ce que je retiens surtout c’est qu’il vous a été offert suite à une interview sur une radio libre. J’ai l’impression que derrière la « petite maison » se tient un « grand bonhomme », et si vous nous racontiez le parcours du Pascal Arnaud d’avant Quidam Éditeur ?

Pascal Arnaud – Le bonhomme est de taille moyenne seulement, 1,80 m, mais aujourd’hui un brin tassé, sans doute plutôt 1,79 m voire, je le crains, 1,78. Parler de moi est sans grand intérêt. Mon parcours n’a rien de très singulier, étudiant agitateur en droit, puis en anglais, co-créateur d’une radio libre, pigiste multiculturel dans la PQR, enseignant de français à l’étranger et d’anglais en France, en lycée et fac, puis à nouveau pigiste (souvent anonyme) ou secrétaire de rédaction pour de multiples supports, comme on dit. Autodidacte pour ce qui est de l’édition.

A. G. – En 2002, vous lancez votre maison. Quelles compétences particulières et quels atouts (financiers par exemple) aviez-vous pour relever un pari aussi aventureux ?

P. A. – Comme dit précédemment aucune compétence particulière si ce n’est un goût irrépressible pour la lecture — j’ai toujours lu — et un soudain très net brin de folie, plus une touche d’orgueil : serais-je à la hauteur ? L’aspect financier relève de la disette et de piètres moyens (hors l’huile de coude) : 8000 euros d’abord, puis 12000 (qui au départ étaient destinés à acheter un terrain sur une île). Ensuite trois emprunts bancaires au fil du temps. Aujourd’hui, il n’est plus question d’être dépendant d’une banque. Quant au pari, c’est comme au poker, il faut miser pour au moins voir.

A. G. – Vous êtes très actifs sur les réseaux sociaux, mais à vrai dire, combien de personnes travaillent pour Quidam, comment vous répartissez-vous les tâches ?

P. A. – Mon Smartphone est très actif, moi perso, pas particulièrement. Quidam, c’est une seule personne avec un côté Shiva, qui répartit donc les tâches entre deux et dix bras. Par conséquent, je publie peu.

A. G. – Quels sont votre démarche, votre ligne, votre souhait ? Comment sélectionnez-vous vos textes ?

P. A. – Je fais selon mes goûts. Peut-être le catalogue dessinera-t-il à terme et en creux un portrait, une sensibilité. Je suis très attaché à l’interaction entre fond et forme, ce qui est le style finalement, ce que cela porte, dit, raconte. Une ligne ? Au départ il y a la volonté de publier tant la littérature étrangère que française, à 50/50. D’où la collection Made in Europe. Un souhait ? Aujourd’hui, parallèlement à Made in Europe, je cherche à développer avec le traducteur Antonio Werli une collection de littérature sud-américaine (deux titres par an maxi) et ancrer plus profondément Les Âmes noires, celle qui est dédiée au roman noir, thriller ou polar, mais avec des textes ayant une exigence littéraire. À la hauteur de ce qui existe déjà : Paulus Hochgatterer, Nick Barlay, Rafael Menjivar Ochoa. Plutôt des auteurs de langue « française », émergents ou tout neufs. Avis aux amatrices et amateurs, je suis prêt à voir. Plus un autre projet que je ne tiens pas à évoquer maintenant.

A. G. – Vous laissez la part belle aux traductions, mais tout cela représente un coût non négligeable, et les auteurs ne sont pas forcément présents pour assurer « l’après-vente », comment gérer ce type de problématiques ?

P. A. – L’inconvénient de publier des écrivains morts — BS Johnson, Rolf Dieter Brinkmann par exemple —, c’est qu’effectivement ils ne peuvent « assurer ». Pour eux, on assure autrement. Quant aux vivants, si l’on veut d’eux, ils se déplacent, et c’est ce qui importe. Plaisanterie mise à part, sans le soutien essentiel, parfois indispensable, du CNL ou de fondations en France ou à l’étranger, la possibilité de publier de la littérature étrangère serait fortement réduite, c’est un fait. À défaut, il reste un niveau de risque à intégrer ou pas. C’est très casse-gueule si on se plante.

A. G. – Comme beaucoup de maisons d’édition de taille et de catalogue réduits, j’imagine que vous avez été soumis aux problèmes de la distribution et de la diffusion ?

P. A. – Je l’ai été par le passé, ce n’est plus le cas maintenant. Comme tous les éditeurs, je râle après mon diffuseur-distributeur quand je souhaite une mise en place que je n’obtiens pas, toujours est-il qu’Harmonia Mundi a permis que Quidam renaisse de ses cendres. Il y a d’ailleurs un avant et un après. Pour la faire brève, je me suis auto-diffusé et distribué les trois premières années (ce qui m’a permis de connaître les libraires mais s’est avéré extrêmement chronophage) ; puis je suis passé aux Belles Lettres les quatre suivantes, puis ensuite à la Sodis (erreur majeure de ma part, je me suis rêvé grand, mais ça n’a pas duré) durant trois ans, que j’ai quittée presque du jour au lendemain pour éviter de voir la maison disparaître. Quidam étant alors endetté « comme une mule » n’a rien publié durant deux ans (si ce n’est par souscription la littérature hors norme de Catherine Ysmal), a failli être racheté par un lecteur-libraire délicieux et fou pour le coup (mais ça ne s’est pas fait, il a été soudainement raisonnable, à juste raison) et s’est attelé à régler sa dette. Et puis est enfin venu Harmonia : un titre en septembre 2014 (le jouissif Goldberg : Variations de Gabriel Josipovici) pour repartir. Puis sept en 2015-2016. Et onze en 2017. L’avenir dira ce qu’il nous réserve.

A. G. – En 2011, vous rencontrez des difficultés financières. Quels soutiens avez-vous pu trouver qui vous ont permis de rester présent ?

P. A. – Ce qui m’a permis de rester présent, c’est la solidarité de certains auteurs et traducteurs qui ont fait le sacrifice de leurs droits d’auteurs, d’ami-e-s qui m’ayant apporté de l’aide n’ont pas souhaité être remboursés, du lecteur-libraire alors potentiel investisseur qui éteint un prêt bancaire, enfin d’une trentaine de libraires qui me sont restés fidèles et qui ont fait vivre le catalogue. Soit l’effacement aux deux cinquièmes de mon endettement. Le reste, je l’ai réglé, le règle petit à petit. Cet élan a aussi confirmé à mes yeux que le catalogue n’était pas rien. Reste que si c’était à refaire, je ne le referai pas.

A. G. – Vous avez rencontré de beaux succès, le dernier en date est Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Larher. La rencontre d’un auteur ou la rencontre d’un texte ?

P. A. – Les deux. Erwan était désireux de trouver « une famille ». Il ne savait pas qu’elle serait monoparentale. Il m’a proposé Marguerite n’aime pas ses fesses, qui m’a amusé, et je ne me suis pas privé de cette légèreté. Puis il lui est arrivé ce que vous savez. Marguerite… est sorti comme prévu, il y tenait, et il l’a défendu. Quand plus tard j’ai su qu’il écrivait autour de ce qui lui était arrivé, j’étais très, très dubitatif, d’autant que je croyais percevoir que ce n’était pas facile, qu’il ne s’en sortait pas, se débattait avec ça, la forme, la voix, la bonne distance, il pensait parfois laisser tomber et passer à autre chose. Et puis un jour j’ai eu dans les mains le manuscrit et on a pu se fritter sur le titre puisque l’essentiel était là : Le livre que je ne voulais pas écrire. Donc oui, ça a été aussi la rencontre d’un texte, quoi qu’on puisse en dire.

A. G. – J’imagine que ces ventes vous assurent une visibilité un peu plus sereine. Finalement, être éditeur, c’est aimer jongler avec les chiffres ou aimer jouer avec les mots ?

P. A. – Eh oui, un livre qui marche assure plus de visibilité mais pour autant pas de ventes faciles sur les titres qui suivent. Comme Sisyphe, il faut pousser son caillou à nouveau. Tout est à recommencer. Ça évite de prendre le melon. Question chiffres, je laisse mon comptable jongler avec eux.

A. G. – Votre dernier-né – Taqawan du Québécois Éric Plamondon – fait déjà l’objet d’une belle couverture presse. La francophonie offre des pépites qui ont bien du mal à se faire connaître dans l’hexagone, concevez-vous votre métier aussi comme un engagement envers d’autres voix qui ne demandent qu’à se faire entendre ?

P. A. – Taqawan est une pépite ! Tant mieux si elle brille aussi ici. Je n’exerce pas un métier. J’édite par passion avant tout. Je ne suis pas centré sur la francophonie. La collection Made in Europe est l’ossature de la maison et donc, dans les voix qu’elle donne à entendre, il y a celles d’auteurs étrangers comme français. Et c’est vrai que faire résonner un tant soit peu celles, notamment, de BS Johnson, Reinhard Jirgl, Rolf Dieter Brinkman, Nick Barlay, Christos Ikonomou, Gabriel Josipovici ou celles des « petits Français » comme Catherine Ysmal, Philippe Annocque, Denis Decourchelle, Jérôme Lafargue, Romain Verger, Stéphane Vanderhaeghe, ou d’autres, exige de l’engagement. C’est tout l’intérêt et le plaisir de l’édition de création : faire émerger des voix inconnues.

A. G. – Vous êtes désormais une maison établie et reconnue. Combien de titres publiez-vous par an, quels conseils donneriez-vous à un auteur qui aimerait rejoindre votre maison ?

P. A. – Je ne suis pas certain que votre affirmation soit conforme à la réalité. Reconnue, oui, établie, non. Je publie une dizaine de titres par an depuis deux ans.

Je n’ai aucun conseil à donner, si ce n’est celui de lire beaucoup et dans un large spectre. Le catalogue de Quidam est très éclectique. Ce qui compte avant tout c’est le texte. Même lorsque je sais par avance qu’il va se mévendre. Mais je commence à changer de perspective parce que je sais où cet absolutisme m’a conduit. Je vais tenter de parvenir à ce qu’Oliver Gallmeister m’a dit un jour : chaque titre se doit d’être rentable. Je crois qu’il a raison, même si j’ai du mal avec ça.

A. G. – Une petite dernière, les éditeurs indépendants ont dû mal à entrer dans l’arène des prix littéraires, à part lors d’initiatives aussi bienvenues que celle du Prix Hors-concours. Ce n’est pas un peu frustrant, à la longue, de côtoyer un monde qui ne semble pas toujours prêt à partager ?

P. A. – Honnêtement je me fous des prix, exception faite des prix de lecteurs ou de libraires comme le Prix Millepages, le Prix Initiales, ou ceux qui récompensent le travail hors pair de traductrices ou traducteurs. Je ne « côtoie pas » les gens qui font les prix. Quand on regarde ce que publient les éditeurs indépendants depuis vingt, trente ans et ce qui n’a quasiment jamais été, dans toute cette production, ne serait-ce que salué, distingué, et qui aurait dû l’être, on voit bien que les prix ce n’est souvent que de l’entre-soi. Et puis cette propension française au laurier qui pullule à tout-va, à désirer absolument décrocher une timbale, est tout bonnement pathétique. Bosser dans mon coin me suffit, et basta cosi. Est-ce qu’un auteur qui se respecte écrit pour avoir un prix ? Je ne crois pas.