J’aime le sexe mais je préfère la pizza – Thomas Raphaël

Thomas Raphaël

Un petit livre de petits riens. Un petit gars, un petit rien, un peu perdu, un peu timide, qui nous raconte des petits souvenirs, des petites histoires, des petites histoires de petits riens. Le titre était mi provoc mi naïf, finalement c’est une certaine naïveté qui l’emporte, une qui fait du bien quand même, qui fait passer des bons moments, qui coupe un peu du monde, et ce n’est pas rien. Provoc allez un peu quand même, fait pas toujours bon être homo, des fois on tombe sur des sacrés lascars, des un peu moins naïfs, des un peu plus roublards. De ceux qui abusent de vous quand vous tombez malade, non ce n’est pas drôle, non ce n’est pas rien, même si c’est comme ça raconté, faussement naïf. De ceux qui vous laissent le cœur en miette, des regrets plein les valises, quand vous décidez de partir, parce que partager son mec avec sa bouteille, ça va un moment, mais ça ne va pas toute la vie. Sinon y a la famille, elle est sympa celle-là, elle raconte ses petites histoires, souvent avec des oiseaux dedans, des oiseaux de ferme entendons-nous, et des jolis poussins, qui meurent écrasés sous les chaussures, ce n’est pas rien un poussin, ce n’est pas drôle la mort d’un poussin, mais on rit quand même, je vous assure, on rit.

Au bout de six mois, le professeur de violon, par exemple, avait dit que je perdais mon temps, le sien, et celui de ma mère qui attendait dans la voiture. En natation, le moniteur disait que j’avais un bon mouvement. Et puis, un jour, il m’a chronométré. À douze ans, j’ai fait du théâtre avec l’amicale des retraités d’Arcachon. La saison d’après ils m’ont dit que, malheureusement, il n’y aurait pas de rôle d’enfant dans leur prochaine pièce – mais alors qui était ce « Daniel, 11 ans », au milieu de la scène sur la photo dans le journal ? « Le prix de la motivation » a été créé spécialement pour moi à la fin du seul stage de tennis auquel j’ai participé. À la maison, je quittais le salon pendant Questions pour un champion. Une année, pour la fête des Mères, j’ai écrit un poème. En le lisant, ma mère s’est mise à pleurer. J’ai pensé que c’était l’émotion, mais elle ne m’a plus adressé la parole pendant six repas.

Alors on l’aime bien Thomas Raphaël, avec ses chroniques, il fait sourire, il détend, il s’enferme un brin dans son personnage, d’accord, pas le personnage auquel je m’attendais, d’accord, mais il est sympa, et parfois drôle, très drôle, parfois juste sympa, sympa à lire, sympa à suivre. Un peu lisse, ce n’est pas un débrouillard, le sport ce n’est pas son truc, le travail c’est compliqué aussi, l’amour les autres compliquent tout, alors il reste les copines, et puis parfois les grands soirs, l’anniversaire de Mick Jagger, par exemple, pas sûre qu’il y soit bien à sa place, bouffé par sa timidité, mais ça fait un joli souvenir, un à raconter sans se mentir, sans mentir sur celui qu’on est, le suiveur. Il est sympa et il est lucide, et franc, et honnête, le Thomas, jamais méchant, jamais menteur, jamais à se la raconter, bien au contraire, il se raconte plutôt, tout en autodérision, il se connaît bien, il est comme ça, et tant mieux s’il nous fait sourire, parfois rire, de lui un peu aussi parfois, d’accord.

Ma grand-mère Isabelle n’aimait pas aller aux Cinzilloux. « Même quand il fait beau, que veux-tu, on dirait qu’il pleut, et en plus le matelas est à ressorts. » Elle allait voir sa sœur en ville, à Périgueux, à l’hiver et au printemps. Mais l’été et l’automne, c’était chacun chez soi : Isabelle et Jeannine se racontaient par téléphone les histoires de quand elles étaient petites. Il y avait la fois où elles avaient mangé le pain que l’instituteur avait préparé pour la leçon de choses. Comme personne dans la classe ne se dénonçait, l’instituteur avait fait croire que le pain était empoisonné. Isabelle n’était pas tombée dans le panneau, mais Jeannine, sa grande sœur, s’était levée en pleurant : « C’est moi, c’était mon idée ! Pardon Isabelle ! Je veux pas qu’elle meure ! » Une autre fois, le curé était venu leur rendre visite et Jeannine avait été envoyée chercher du chocolat à l’épicerie pour accompagner le café. Elle était revenue avec une tablette à moitié mangée : on voyait des marques de dents et des restes de salive. Pourtant Jeannine avait juré que ce n’était pas elle, c’était les souris : l’épicière l’avait prévenue qu’elle avait dû mettre de la mort-aux-rats dans la remise. « Menteuse ! Mauvaise graine ! » avait crié sa mère. « Toi je t’attends dimanche à confesse », avait ajouté M. le curé.

Alors c’est gentil, les gentils, mais c’est vrai qu’en littérature des fois ça lasse un peu. Et puis oui, on peut rire de tout, mais ce n’est pas non plus facile de tenir la distance, les petits poussins ok, quand maman comprend que Thomas préfère les garçons, je ne sais pas si c’est drôle, finalement, ce n’est pas tragique, maman le prend bien, mais ce n’est pas facile d’en faire une scène rigolote parce qu’on sait bien que le Thomas, dans le fond, il ne riait pas du tout. Il y a un côté un peu forcé, un qui use, un personnage qui a bien du mal à devenir autre chose qu’un personnage, qui se caparaçonne dans son image de petit prince, naïf et gentil et voulant faire plaisir à tout le monde. La chance, c’est que ce n’est pas un roman, mais des chroniques, ça se pose et ça se reprend, y a pas vraiment d’obligation de tout se lire d’un coup, y a pas non plus envie de le laisser tomber, parce que ça aère, c’est frais, rafraîchissant. Ce n’est sans doute pas une fulgurance, pas même un amour, mais une tendresse, voilà, ce n’est déjà pas rien.

Éditions Flammarion – ISBN 9782081417090