La méthode N’Sondé

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Amandine Glévarec – Cher Wilfried, vous êtes né au Congo mais vous avez grandi en banlieue parisienne. Votre premier roman – Le Cœur des enfants léopards, paru en 2007 chez Actes Sud – met en scène un narrateur qui, dans un moment particulièrement pénible de sa vie, sent en lui monter un chant intérieur venu d’Afrique. Comment vous reconnaissez-vous aujourd’hui dans cette double culture, quelle est la part d’autobiographie dans ce premier roman ?

Wilfried N’Sondé – En fait je ne crois pas à la double culture, les cultures ne se superposent pas, elles se marient, je me définirais plutôt comme détenteur d’une culture mosaïque composée d’héritages divers venant des valeurs Bakongos, de l’éducation nationale française, des lectures qui ont été les miennes, des musiques que j’ai appréciées, des films que j’ai vus… La liste est longue ! D’ailleurs je me permets de dire que dans Le Cœur des enfants léopards, le chant intérieur vient de la culture Kongo, c’est plus précis que toute l’Afrique. C’est un continent qui se caractérise par sa diversité génétique, linguistique, historique, religieuse, spirituelle et culturelle. Quant à l’autobiographie, je ne raconte pas ma vie dans ce livre, mais en même temps je n’invente pas grand chose. Pour écrire ce roman j’ai fait des interviews d’anciens détenus, de gardiens de prisons et de policiers, ensuite je me suis inspiré de personnes que j’ai connues et enfin j’ai créé.

A. G. – Comment êtes-vous entré en contact avec ces détenus, ces gardiens ?

W. N’S. – Ce ne fut pas très compliqué, il a simplement fallu demander autour de moi et, par personnes interposées, j’ai été mis en contact. Beaucoup d’entre nous croisent des anciens détenus sans le savoir…

A. G. – Pour ce même roman, vous obtenez le Prix des Cinq continents de la francophonie et la même année le Prix Senghor de la création littéraire. Que représentent à vos yeux ces distinctions ?

W. N’S. – Ces distinctions sont fantastiques pour la visibilité et pour la confiance. Je suis heureux d’avoir gagné le Prix Senghor qui est un prix du premier roman, c’est quelque chose d’unique. Le Prix des Cinq continents m’a permis de voyager dans le monde pour parler de littérature et faire des rencontres inédites. Un prix littéraire c’est du bonheur et des encouragements

A. G. – Pour poursuivre sur ce sujet, vous qui avez été élevé en France, en quoi votre langue est-elle matinée de vos racines africaines ?

W. N’S. – Encore une fois, je préfère de loin le mot héritage à celui de racines… J’en ai parlé plus haut, je suis le fruit de toutes ces influences, et chaque jour qui passe vient grossir ce corpus. D’ailleurs en termes de langue, dans ma vie j’ai plus parlé l’allemand qu’une autre langue, il doit exister pas mal de germanismes dans ma langue écrite…

A. G. – Qu’est-ce qui vous a amené vers l’allemand ? L’envie d’aller vous installer dans ce pays ?

W. N’S. – Mon roman Berlinoise donne toutes les clés de réponses à cette question. J’ajouterais que dès le début de ma vie j’ai été en mouvement, changé de pays, de continents, j’adore ça et ne supporte pas l’inertie. Berlin après la chute du mur était une ville en mouvement qui devait se créer un avenir, rompre avec son passé, se métamorphoser, le dynamisme y était palpable, quotidien. L’avenir incertain de la ville produisait une formidable émulation. Ces années-là demeureront inoubliables. Par ailleurs, j’ai toujours des envies d’ailleurs, pour découvrir, explorer, ma prochaine destination sera une grande ville près d’un océan !

A. G. – Qu’avez-vous trouvé dans cette ville qui vous a donné envie d’en parler, que gardez-vous de ces années hors de France ?

W. N’S. – Berlin reste une ville exceptionnelle, tant par son histoire que par son art de vivre aujourd’hui. C’est une capitale aux allures de ville de province, la nature y est très présente ainsi que la tradition d’ouverture et de tolérance qui se vit au quotidien. De vivre hors de France a été très formateur, j’ai appris à me réinventer, à prendre du recul, à aborder par exemple l’histoire d’un autre point de vue que celui qui avait été mis en avant pendant mes études à Paris. Grâce à cela je m’emploie à relativiser, considérer les phénomènes humains sous plusieurs perspectives. C’est une démarche très importante dans mon travail littéraire.

A. G. – Quelle place occupent l’écriture, la lecture, dans votre vie ? Quel jeune lecteur étiez-vous ?

W. N’S. – J’ai commencé à lire énormément dès le CP, depuis je n’ai de cesse de lire, c’est une passion, un hobby, une source d’inspiration et d’apprentissage, je suis un boulimique insatiable de lectures ! L’écriture est la forme d’expression que je préfère, plutôt la réécriture, c’est à dire le processus par vagues successives qui me permet d’aller, avec le temps, au plus juste de ce que je veux exprimer. Avec les mots je peux produire du sens, des images, des parfums, des idées… Presque tout.

A. G. – Quels sont les auteurs, les lectures qui vous ont inspiré, que vous aimeriez nous conseiller ?

W. N’S. – La liste pourrait être très longue. J’adore les classiques français et allemands du XIXème siècle comme Flaubert, Nerval ou Goethe. J’ai été très inspiré, libéré dans mon écriture par Les méduses de Tchikaya U’Tamsi. Je conseillerais la lecture de Palestine de Hubbert Haddad, un beau livre, ambition, très intelligent, avec une langue très précise. Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli est un livre formidable et puissant, les personnages y sont très incarnés et complexes, un bonheur de lecture.

A. G. – Avant de devenir écrivain, vous avez été chanteur et compositeur à Berlin. Mettre en musique vos mots était-il une première étape ou une approche totalement différente de l’écriture ?

W. N’S. – De la musique avant toute chose disait Verlaine ! Je pense que mots et musique sont très liés et complémentaires. Lorsque j’écris, je me relis toujours à haute voix parce que la mélodie du texte est primordiale pour porter au mieux le sens. À partir de là il n’y qu’un pas pour soutenir le tout avec un instrument et basculer dans la chanson à texte… Mon premier amour !

A. G. – La musique occupe toujours une grande place dans votre vie ?

W. N’S. – La musique est omniprésente dans ma vie, j’en écoute tous les jours, même si je pratique moins ces derniers mois, faute de temps, entre les finitions de mon roman l’année passée, une formation de scénariste à la FEMIS et maintenant la promotion de Un océan, deux mers, trois continents. Je compte bien m’y remettre bientôt, avec l’enregistrement d’un nouvel album.

A. G. – En 2012 paraît aux éditions La Passe du vent Le Manifeste pour l’hospitalité des langues. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet ouvrage collectif, quel en était le propos, quelle en était sa finalité ?

W. N’S. – Pour être très franc, je ne m’en souviens plus… Mais en général, j’ai envie de vous dire qu’il est important d’avoir du respect pour chaque langue, en tant que toutes sont précieuses, ensemble elles sont l’image de la diversité et donc de la richesse de l’humanité, ce serait une erreur, comme ce fut le cas dans le passé, de les hiérarchiser et d’en dénigrer certaines. Il n’y a pas de grandes langues parce qu’il ne peut en exister de petites.

A. G. – Puisque vous maîtrisez plusieurs langues, pourquoi avoir choisi le français pour vos romans ? En chansons, avez-vous été plus libre d’utiliser d’autres mots ?

W. N’S. – J’ai longtemps chanté en anglais, à l’époque où je jouais de l’Afro-Punk… Mon projet musical d’aujourd’hui est beaucoup plus feutré, intime, le français s’est imposé tout naturellement. Je considère la langue comme un outil, un moyen or, parmi les langues que je parle, le français est celle que je maitrise le mieux… Ou le moins mal. Mes textes fonctionnent beaucoup sur le travail de la langue, il est important que j’en utilise une pour laquelle je ne doute pas et que j’ose réinventer au besoin.

A. G. – Question tout à fait pragmatique, mais vous avez passé votre carrière d’écrivain chez Actes Sud. Comment étiez-vous entré en contact avec cette belle maison ?

W. N’S. – C’est l’écrivain allemand Hans Cristof Buch qui m’a mis en contact avec Actes Sud, il y connaissait un directeur de collection : Bernard Magnier. Mes écrits lui ont plu au point de me faire publier.

A. G. – Votre dernier roman – Un Océan, deux mers, trois continents – nous parle d’une histoire totalement méconnue, celle de Nsaku Ne Vunda, premier ambassadeur africain envoyé rejoindre le Pape. Comment avez-vous eu connaissance de ce destin ? Comment le travail documentaire s’est-il mêlé à votre écriture ?

W. N’S. – J’ai eu connaissance de l’existence de ce personnage par mon frère qui est chercheur en histoire. Ce personnage m’a inspiré tant sa trajectoire est fondamentalement inédite et romanesque, c’est un héros universel qui a été témoin des dures réalités de son époque sans pour autant renoncer à ses convictions humanistes, j’ai trouvé cela fascinant. Faire exister ce personnage, écrire sa subjectivité, voilà ce qui m’a habité pendant l’écriture. Or il fallait que le contexte soit crédible, puisque tout cela se passe au XVIIème siècle, il a fallu me documenter, comme l’on bâtit des fondations les plus objectives possibles sur lesquelles poser l’essentiel : la subjectivité du romancier !

A. G. – Ce travail de documentation a été fait en compagnie de votre frère ? Cela ne vous a pas paru trop fastidieux de planter ainsi un décor réaliste alors que jusqu’à présent vous vous abandonniez à des fictions dans des univers que vous maitrisiez ?

W. N’S. – Mon frère m’a donné quelques pistes de recherche, mais il a fallu que je me débrouille tout seul comme un grand… Ce travail m’a semblé titanesque, parfois frustrant parce qu’effectivement c’était nouveau pour moi de retranscrire plutôt que de créer ex nihilo. En même temps ça a été passionnant de superposer les perceptions subjectives des personnages sur un corpus non inventé. La place de la création est devenue plus consciente, son écriture fut un bonheur. Écrire ce roman a été long et difficile, il faut être un peu maso pour se lancer en littérature…

A. G. – Oserais-je tenter que le point commun entre vos romans est qu’il s’agit toujours de récits d’apprentissage ?

W. N’S. – Oui, parce que mon chemin de vie est un chemin d’apprentissage permanent, je trouve cela fascinant au point de vouloir le partager avec d’autres à travers mes écrits.

A. G. – Et quels enseignements, quels principes, avez-vous tirés de votre chemin de vie ?

W. N’S. – Rester alerte, donner le meilleur de soi surtout quand tout semble perdu, et ce dans tous les domaines. S’inquiéter quand on  ne s’est pas trompé depuis longtemps, c’est forcément suspect, un signe d’aveuglement ou de suffisance. Aimer la vie, la croquer à pleine dent, s’ouvrir à l’autre, celui qu’on ne connaît pas encore et le laisser nous parler de lui, pour apprendre et avancer.

A. G. – Enfin, nous parlons en ce moment beaucoup de la francophonie, auriez-vous des conseils à donner aux écrivains qui aimeraient se faire publier et, tout particulièrement, à ceux qui n’habitent pas en France ? Comment se faire connaître et entendre dans une France qui n’a pas toujours l’art de reconnaître les talents qui existent au-delà des frontières parisiennes ?

W. N’S. – On parle depuis longtemps de francophonie, parfois je n’y comprends plus rien… Que l’on habite ou pas en France, la littérature est difficile, nombreux sont ceux qui écrivent et souhaitent publier un jour, or les places sont rares. On passe de près d’un million huit cent mille manuscrits qui se cherchent un éditeur à un millier de roman publiés… les places sont chères, c’est presque une mission impossible. Pour ce faire il faut travailler très dur, à chacun sa route et ses obstacles. Pour ma part, j’aime croire que qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, la qualité du travail finit par convaincre !