Amandine Glévarec – Cher Pierre, tu as fait une belle carrière dans la police, tu veux bien nous raconter ton parcours ?
Pierre Pouchairet – Disons plutôt que j’ai eu un parcours atypique en faisant le choix de ne pas limiter géographiquement mon passé professionnel à un, voire deux postes, comme beaucoup de fonctionnaires le font. Tout cela est question de choix de vie. Je suis sorti de l’école des inspecteurs de police en septembre 81. À la fin de la scolarité, on se retrouve dans un amphi où sont affichés l’ensemble des postes disponibles et le choix se fait en fonction du classement, c’est très bien restitué dans le film de Coluche, Inspecteur la bavure. Bref, j’ai eu la chance de pouvoir choisir la PJ de Versailles et d’être affecté au groupe criminel. Un très beau service où l’on traite les affaires criminelles qui se déroulent dans la grande couronne parisienne. C’est ce service que j’ai mis en avant dans La Prophétie de Langley avec Johana, chef de groupe à la crim. En 1987, j’ai décidé de changer de région, tout en restant en PJ, et je suis parti à l’antenne de Nice. 12 ans en groupe stup, j’ai fini capitaine et chef de groupe. J’ai vécu là-bas mes plus belles expériences de flic. Le travail de groupe, les indics, les interpellations difficiles, les opérations d’infiltration, les remontées de drogue depuis l’Espagne…
Un moment passionnant, mes meilleurs souvenirs. Mais les stups, c’est salissant et je pense que c’est un milieu dont il faut savoir aussi s’éloigner avant qu’il ne soit trop tard. Avant de devenir un flic de polar aigri et alcoolique. Une autre raison est que lorsqu’on est chef d’un groupe assez jeune, si on ne part pas, on empêche les autres de prendre la place, et mieux vaut partir quand on vous regrette que lorsqu’on se félicite de votre départ.
Bref, la décision de changer m’a été simplifiée par le fait qu’on m’a proposé d’aller représenter la police française à l’étranger comme officier de liaison de l’office central de lutte contre le trafic de drogue. Un boulot qui consiste à représenter la police française à l’étranger et à travailler sur l’identification de trafics en amont, avant qu’ils n’atteignent la France. J’ai ainsi passé trois ans au Liban puis trois en Turquie.
Retour en France. Commandant, chef de la brigade criminelle à l’antenne de PJ de Grenoble où je suis resté de septembre 2004 à mars 2006, date à laquelle je suis reparti en expatriation. Quatre ans et demi à Kaboul. Des souvenirs extraordinaires dans une ambiance de plus en plus difficile… La drogue, les attentats, les enlèvements… Et aussi de bons moments puisque j’ai rencontré ma femme là-bas et que nous nous sommes mariés en quittant Kaboul.
Et là, j’ai été nommé à Almaty pour couvrir l’ensemble des pays d’Asie-centrale. Une région fantastique dans une ambiance post soviétique. J’aurais pu y rester plus longtemps, mais ma femme ayant été nommée en Cisjordanie, ce qui en matière de rapprochement des couples n’était pas idéal, j’ai décidé de prendre ma retraite à 55 ans puisque j’en avais la possibilité et de la rejoindre là-bas. Trois ans à Naplouse, une autre belle aventure.
Et maintenant, après deux ans en Bretagne, je suis au Cameroun. Ce sera certainement une nouvelle source d’inspiration.
A. G. – Ce n’est que lorsque tu rejoins ton épouse en Cisjordanie que tu te consacres à l’écriture ? Tu n’écrivais pas du tout avant ?
P. P. – Non, pas vraiment. J’ai coutume de dire que lorsqu’on est flic on écrit beaucoup, le lectorat est plus restreint et spécialisé (rires), et c’est pareil à l’étranger. Et puis, très honnêtement, je pense que lorsqu’on est passionné par son boulot, ça laisse peu de temps pour l’écriture. Quand j’étais flic aux stups à Nice, je ne vois pas à quel moment j’aurais pu écrire des bouquins.
A. G. – Tes premiers écrits – Des Flics français à Kaboul — sont autobiographiques. D’où venait le besoin de mettre en mots ce que tu avais vécu ?
P. P. – Ce que j’ai vécu là-bas était très fort. À l’époque on louait une maison dans Kaboul, il n’y avait pas de zone sécurisée. On finit par s’apercevoir qu’on banalise tout, les morts à quelques centaines de mètres de chez vous, les enlèvements, la difficulté de la vie au quotidien… le fait de vivre armé en permanence. J’ai eu envie de relater tout ça, peut-être pour comprendre moi-même ce que je venais de vivre… Je suis aussi resté marqué par la mort d’un Français, dont j’ai découvert le corps après un attentat, et le traitement ensuite de cette affaire.
A. G. – Tu publies aux éditions La Boîte à Pandore, comment étais-tu entré en contact avec eux ?
P. P. – Je n’avais pas l’intention de publier mon texte. C’est poussé par mes proches que je l’ai envoyé à différents éditeurs. Plusieurs se sont montrés intéressés, la Boîte à Pandore a été la première à proposer un contrat.
A. G. – Ton second livre est un roman, un polar, mais très autobiographique. Étais-tu un grand lecteur avant de devenir auteur, est-ce cela qui t’a donné envie de passer au roman ?
P. P. – Non, pas du tout. Je ne lisais pas de polars, ou très peu. En fait, je voulais faire un témoignage. Mais, comme flics et voyous étaient toujours en activité, j’ai préféré la fiction.
A. G. – Tu publies alors chez Ovadia, rencontre ou démarchage classique et fastidieux ?
P. P. – Hasard, pas forcément bon d’ailleurs.
Soyons clairs, je n’y connaissais rien. Pour moi tous les éditeurs se valaient et je ne savais pas que derrière, il y avait aussi distributeur et diffuseur. Ce n’était pas mon monde. Les notions de mise en place, de tirage, je ne connaissais pas ! Ou juste une vague idée. Comme beaucoup de primo auteurs, j’étais aveuglé par le seul fait d’avoir mon nom sur un truc qui ressemblait à un livre. J’ai eu au moins la chance de ne pas tomber dans les griffes de l’auto-édition et toutes ses arnaques.
En plus, pour augmenter la difficulté comme à cette époque j’étais en Palestine, je cherchais un éditeur qui accepte de recevoir mon texte par mail. J’avais proposé ce texte à Jigal qui était intéressé et en même temps à Ovadia qui a envoyé immédiatement un contrat.
Accueil sympa, mais cet éditeur n’étant pas spécialisé dans le genre, ce n’est pas allé très loin. Une centaine d’exemplaires vendus dont près de la moitié par moi en Salons. Depuis, j’ai repris les droits. J’ai retravaillé le texte. Ce bouquin, c’est vraiment celui qui me tient le plus à cœur et je compte bien le faire republier dès que possible. J’ai d’ailleurs plusieurs propositions.
A. G. – Arrive ensuite le temps de la fiction pure, et déjà une reconnaissance, tu enchaînes trois romans chez Jigal. J’imagine que c’est aussi le début d’une vie de Salons et de promotion à laquelle tu n’étais peut-être pas spécialement préparé, toi qui n’es tout de même pas un grand bavard de nature ?
P. P. – C’est vrai, d’ailleurs c’est tout l’avantage de Jigal. Une belle mise en avant sur les Salons et auprès des blogueurs.
Les Salons ? effectivement. Ma femme ne me reconnaît pas. Je me suis pris au jeu et j’adore rencontrer les lecteurs et parler de mes livres.
A. G. – Qu’avais-tu envie de raconter dans ces trois romans, d’où venait l’inspiration ?
P. P. – Deux se passent en Cisjordanie et Israël et un autre est en lien avec l’Afghanistan. Je voulais témoigner sur ces pays, ce que je voyais et une partie de ce que j’ai vécu. Le témoignage pur, c’est toujours beaucoup de « moi je » On n’a souvent qu’un avis, le sien. L’avantage du polar, c’est qu’il permet d’avoir une parole plus libre et puis aussi, et c’est ce que j’aime, je trouve que c’est un moyen d’intéresser les gens à des sujets qu’ils ne connaissent pas et n’ont parfois même pas envie de connaître. Là, ils ont un polar, une aventure classique et ils découvrent tout un environnement.
A. G. – En 2016, nouveau changement de maison, tu rejoins Fayard avec le titre Mortels trafics.
P. P. – Non, ce n’est pas ça. On ne rejoint pas Fayard. Fayard est l’éditeur du Prix du quai des Orfèvres. C’est un contrat one shot pour le texte du prix. On obtient le Prix à partir d’un texte anonyme envoyé au jury du Prix. Ils en reçoivent une centaine par an. Une vingtaine sont proposés à Fayard qui en retient une demi-douzaine qui est évaluée par un jury de 22 membres composés d’anciens policiers, de magistrats, cinéastes, journalistes, des professionnels… Ils choisissent mi-septembre et ensuite Fayard s’occupe de la correction et de la mise en forme pour une proclamation officielle mi-novembre par le Préfet de Police de Paris.
A. G. – J’imagine que c’est un sacré moment ? Comment vis-tu cette remise du Prix du Quai des Orfèvres, cette consécration, et l’après : coup de stress ou coup d’accélérateur ?
P. P. – Il faut raison garder.
Le Prix du quai des Orfèvres est un moment absolument magique. Certains se pincent le nez quand on en parle, mais ils aimeraient bien l’avoir et beaucoup l’ont d’ailleurs tenté. Il faut effectivement se plier à quelques règles. Avoir un bouquin crédible, au regard de la procédure policière, et qui ne porte pas atteinte à l’image de la police.
Bref, c’est quand même génial de l’avoir. Toute la cérémonie et ensuite la mise en avant du livre… C’est époustouflant. Un éclairage médiatique comme on n’en aura jamais plus. En plus la remise du prix 2017 avait quelques particularités. Dernière remise au 36 – puisqu’il déménageait – les 70 ans du Prix et il n’y avait pas eu de remise officielle l’année précédente suite aux attentats du Bataclan. J’avais comme marraine Alice Taglioni et en plus Delon et Belmondo étaient là. GÉNIAL.
Et puis ce prix, c’est une mise en place énorme, près de 120 000 exemplaires.
Après, question prix, quand je dis qu’il faut raison garder, c’est qu’il faut reconnaître que les lauréats du prix qui sont restés dans le circuit sont, à quelques exceptions près, ceux qui étaient déjà auteurs. Les autres n’ont pas vraiment réussi à rebondir. Le monde de l’édition ne rêve pas d’avoir les lauréats du PQO.
Et, personnellement, j’ai obtenu dernièrement le Prix Michel-Lebrun pour La Prophétie de Langley, j’en suis tout aussi fier, car je considère qu’au vu des précédents lauréats, c’est une véritable reconnaissance en tant qu’auteur de polar.
A. G. – Un petit scoop sur ce qui viendra ensuite ? Quelles sont tes envies ?
P. P. – Mon dernier roman — Tuez-les tous… mais pas ici — est paru le 18 janvier aux Éditions Plon.
D’abord, justement après Mortels trafics, qui était une immersion dans le travail de la PJ, j’ai été ravi de commencer à me démarquer de ça avec La Prophétie de Langley et des héros qui ne sont pas flics. Je le fais encore plus dans Tuez-les tous en mettant en avant un couple à la recherche de leur fille disparue dans d’étranges conditions. C’est un véritable pari. Je suis ravi de cette nouvelle aventure avec Marc Fernandez au sein de la nouvelle collection polar de Plon, Sang Neuf. Je croise les doigts en espérant que les lecteurs suivront.
Plusieurs idées en cours, je n’abandonne pas pour autant Jigal. Il y a aussi un projet de polar régional avec une série d’enquêtes en Bretagne.
A. G. – Dernière question, mais non la moindre, cher Pierre, as-tu des conseils à donner aux auteurs qui ont envie de se faire publier ?
P. P. – D’abord, dites-vous que votre texte est mauvais. Il faut le relire, le relire encore et le faire lire à des gens qui ne sont pas vos amis et qui vous diront, honnêtement, ce qu’ils en pensent.
Quand vous le trouverez passable, il faudra se lancer à la recherche de l’éditeur.
Quand on décide de chercher un éditeur, il faut aussi être conscient que le but de l’éditeur n’est pas de vous faire plaisir, c’est de vendre. Mais il n’y a rien à redire là-dessus, car c’est aussi le vôtre si vous voulez être édité. Sinon, cherchez un imprimeur et faites imprimer votre bouquin à une dizaine d’exemplaires pour offrir à la famille.
La base : mieux vaut ne pas avoir d’éditeur qu’un mauvais. Rester patient. ATTENTION AUX ARNAQUES de l’auto-édition. Si on vous demande de l’argent… Partez en courant.
Lire les contrats, ne pas tout accepter. Attention aux clauses abusives, genre clause de préférence avec cinq livres, alors que l’habitude est de trois maximum. Soyez certains que votre éditeur a derrière lui un diffuseur qui tienne la route. Contactez d’autres auteurs qui sont chez cet éditeur, demandez leur avis, s’ils sont contents, s’ils sont payés… Et dans quelles conditions ? Vérifiez que leurs livres ont de la visibilité, qu’on en parle dans les blogs, dans la presse.