La méthode Cadéo

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Amandine Glévarec – Cher Alain, comment l’écriture résonne-t-elle en vous? 

Alain Cadéo – Vous le savez, écrire, c’est s’enfoncer dans un profond silence. Pages de plomb dans les abysses de la pensée. On devient Nautilus sans sonar, frôlant de grandes ombres vivantes, rêvant de pouvoir un jour faire surface dans une crique blonde de repos. Pas un instant de paix dans cette mer infestée de fantômes. À l’aveuglette, un peu crispé, tout à l’oreille, on avance, trois nœuds. On se faufile, serrant les dents, comme on peut, entre des troncs de corail. On érafle sa coque. On saigne du mazout. Et on poursuit tout doucement ce voyage de fou, tendu vers la pensée de la Lumière.

A. G. – D’où vient le besoin de publier ? Si l’écriture est un plaisir, pourquoi ne pas se contenter de celui-ci ?

A. C. – Parce que nous sommes fragiles, éphémères et vaniteux. Non contents de nous faire plaisir, nous prétendons à un brin de reconnaissance. Je me demande souvent à quoi rime cette ribambelle de mots lâchés dans le cosmos. Le tout est de se convaincre qu’ils sont indispensables, pour soi, pour d’autres. Peut-être aussi que cela fait sourire les anges.

Publier, c’est l’autre versant de l’écriture. Et puis surtout c’est le meilleur moyen de rencontrer une famille d’esprit. Au jeu des sept familles je veux absolument rencontrer tous les zèbres courant dans tous les sens sur cette terre. C’est bon de brouter ensemble nos îles de papier.

A. G. – Quelle a été votre première publication, chez quel éditeur, et surtout comment étiez-vous entré en contact avec lui ?

A. C. – Chère Amandine, si le but est de fournir des ficelles aux jeunes auteurs, je crains que ma contribution ne soit celle d’un voltigeur sans parachute et sans filets. Je ne peux vous parler que de la mécanique écriture, ce stupide entêtement qui consiste à moissonner des mots. Ayant toujours vécu « au cul du loup », je n’ai pu que rarement bénéficier des rencontres indispensables permettant à un tapuscrit d’être, peut-être, plus attentivement lu. J’ai presque honte de vous dire que j’écris depuis plus de quarante ans. Je me suis sans doute bien mal débrouillé. J’envoyais mes manuscrits, un par un, « au petit bonheur la chance », à de grandes maisons d’édition devenues baleines, mais qui m’étaient sympathiques, pour avoir publié de vieux auteurs que j’aimais. Ce furent des nouveau-nés qui m’éditèrent. Coups de cœur. Réseaux mystérieux. Faillites programmées. Il serait bien trop long de détailler ces maladroites aventures qui avaient au-moins le goût de la passion. Le moins qu’on puisse dire c’est que je n’ai jamais eu le goût des stratégies, ni la moindre idée de ce que signifiait « faire carrière ». D’une oasis à un désert, de babillages enthousiastes au silence, de quelques petits prix littéraires à un isolement contraint et accepté, j’ai poursuivi ma route de mulet.

A. G. – Je crois qu’outre des romans, vous avez aussi écrit pour le théâtre, est-ce là deux façons différentes d’appréhender l’écriture ?

A. C. – J’ai découvert l’écriture théâtrale il y a quatre ou cinq ans. C’était sans doute pour sortir du silence dont je parle plus haut. Enfin je pouvais agiter des personnages dans une sorte de « direct » où la voix, l’échange, l’expression, prennent vie sur les planches. Moins de voix off, le jeu d’acteur, la mise en scène, les éclairages, etc., mettent les mots à nu. C’est une excellente manière de se tirer de sa coquille. On voit dehors, dit par d’autres, ce qu’on pense dedans. L’écrit devient sculpture de chair et de sang. Et comme le metteur en scène et les acteurs s’approprient le texte, vos propres phrases vous échappent, vos personnages prennent vraiment vie et se barrent avec leurs sacs et leurs valises, leurs frusques et leurs masques. Bon débarras !

A. G. – En 2015, vous publiez au Mercure de France Zoé qui reçoit un bel accueil. Cela a-t-il changé quelque chose dans votre métier d’écrivain (la promotion, la reconnaissance, peut-être un stress supplémentaire ?)

A. C. – En ce qui concerne le Mercure de France, ce fut une rencontre calme et feutrée, par mails interposés, suite à l’envoi de mes textes, qui m’a aussi permis de rencontrer des correcteurs d’une rare délicatesse. Tout cela n’a profondément rien changé à ma vie d’écriture. Je ne cours ni après les signatures, ni après les salons littéraires. J’ai toujours préféré, vous l’aurez compris, les arrières cuisines aux salons. La seule chose qui m’ennuie, mais cela ne date pas d’hier, c’est souvent ce malheureux esprit de concurrence qui règne dans tous les milieux. Je suis, qui plus est, un très mauvais représentant de commerce. Ceux qui viennent m’honorent, ceux qui ne viennent pas me font plaisir. Cette formule n’est pas de moi, mais elle caractérise bien le sale état d’esprit dans lequel je me drape.

A. G. – Je crois que vous n’avez pas de problème de page blanche et que les idées fourmillent, n’est-ce pas un peu stressant de perdre du temps d’écriture pour le consacrer en partie à la recherche d’un éditeur ou à la promotion, ou cela fait-il aussi partie du plaisir global ? 

A. C. – Et oui, il est particulièrement stressant d’être en quête d’éditeur. Mais n’est-ce pas là l’effet de toute quête. Alors, ne plus rien chercher, ne plus rien quémander, ne plus être en attente. Se contenter de travailler, pour quelques bouts de ciel, à partager avec les siens, les siens qui sont au fond ceux qui, envers et contre tout, veulent bien de nous.

A. G. – Vous êtes il me semble secondé efficacement par votre compagne Martine, quelle place occupe-t-elle dans votre vie professionnelle ?

A. C. – Rien de professionnel dans ma vie. Martine et moi nous ne sommes que deux amateurs, du verbe « aimer » bien sûr. Deux Quichotte. Il nous manque sans doute le bon sens d’un Sancho. Ceci dit, elle est ma première lectrice et ose, quant à elle, s’aventurer sur les réseaux littéraires, semant mes phrases aux quatre vents.

A. G. – Voulez-vous nous toucher un mot des projets en cours ?

A. C. – Un texte lourd, sur et autour d’un volcan, ailleurs, là où parlent les pierres. L’exil volontaire et difficile d’un homme de vingt-sept ans dans un endroit de bout du monde, un cul de sac noyé entre forêt et montagne, ayant bâti sa cabane à deux mille mètres d’altitude, très au-dessus d’un trou perdu, un hameau, où vivent une vingtaine de personnages tous plus étranges les uns que les autres. Il ne reste là, avec son âne, que par amour pour une jeune femme mariée qui, parfois, la nuit, le rejoint dans sa solitude d’ermite. Présence tutélaire, attentive, le volcan sommeille et devient le confident de cet homme qui attend, de cet homme qui voit, entend, découvre, l’infini et glaciale beauté du Monde.

A. G. – Des conseils aux jeunes auteurs ?

A. C. – Quels conseils puis-je donner ?  Je n’en vois qu’un, ne pas tenir trop compte de ce que d’autres peuvent vous dire. Nous passons nos vies cernés par des profs, des juges, des censeurs. L’imaginaire humain est une galaxie non maitrisable et qui se fout des géomètres-arpenteurs.

Le seul but de l’écriture, c’est la joie. Ce doit être aussi jubilatoire qu’un fou-rire de gosse. Tout lecteur le sait bien qui sent descendre en lui ce je ne sais quoi, inexplicable, allant des yeux au cœur.

Pour celui qui écrit, la forme vient plus tard. Mais il est hors de question d’enfermer un mastodonte dans le corps d’un goujon. Je sais bien que la mode est aux bonsaïs. Tailler, réduire, être plus percutant c’est bien, mais ratiboiser une forêt de chênes pour en faire un jardin de curé, s’empêcher toute forme d’exaltation afin de rester lisible et raisonnable, c’est littéralement assassiner ce qui fait toute la richesse d’un être humain. Je suis pour la sauvegarde d’une espèce en voie d’extinction : les lyriques habités.

A. G. – Que puis-je vous souhaiter pour cette année 2018 à venir ? 

A. C. – Aimer l’autre, avec encore mille nuances. Écrire, à en mourir… (de joie, d’exaltation) comme un qui sent qu’il peut singer l’ombre de l’ombre de quelque chose de parfait.