La méthode Joncour

Serge Joncour

Amandine Glevarec – Cher Serge, vous écrivez il me semble depuis longtemps sinon depuis toujours. Qu’est-ce qui vous plait dans le fait d’écrire, raconter des histoires, vous interroger, distraire, témoigner d’une époque ? 

Serge Joncour – Un peu de tout ça, et plus sans doute. Par contre ce dont je suis sûr c’est que le roman est la forme la plus ample, la plus riche, la plus ouverte de toutes les expressions artistiques. Le roman, c’est le maître ouvrage, on peut tout y faire, dans tous les styles, toutes les formes, on peut ne suivre qu’un seul personnage sous l’angle d’un monologue intérieur ou développer une intrigue absolument pas intime à mille personnages plus ou moins extravertis, contemporains, ou historiques… On peut changer d’époque, reproduire tous les décors qu’on veut, convoquer les tempêtes ou inventer des îles, le roman c’est infini, et cent fois plus vaste que le moindre film de cinéma. D’ailleurs, c’est toujours le cinéma qui vient chercher des personnages et des histoires dans les romans, dans les livres, pas l’inverse. Le roman est à la source même de l’époque, c’est le cœur battant d’une société qui vit là, entre nos mains, n’est qu’à rouvrir Balzac ou Maupassant ou Simenon pour ressentir toute l’ambiance d’un Paris, d’une Normandie, d’un quelconque ailleurs qui n’existe plus depuis longtemps.

A. G. – Quand le besoin de vous faire publier s’est-il fait ressentir ? Vous êtes je crois d’un naturel plutôt timide, cela n’a pas dû être facile pour vous de vous vendre ainsi ?

S. J. – Je serais plutôt d’un naturel naturel. Parfois mutique, parfois loquace, jamais bavard. Mais j’aime bien l’idée de parler à une salle. Si possible, pas trop vide de préférence. Je n’ai aucun problème avec ça. Vide ou pas. Et j’ai fait tant de rencontres en librairie, en salon, en club, en collège, en prison, que je suis maintenant dans mon élément à l’oral.

A. G. – Au niveau pratique, comment avez-vous fait ? Avez-vous essayé de rencontrer des éditeurs, ou des agents, d’infiltrer un milieu qui n’était pas forcément le vôtre, ou avez-vous pratiqué l’envoi de manuscrits par la poste, et si oui avez-vous ciblé les maisons ?

S. J. – J’ai envoyé des manuscrits, près de dix, chaque fois différents, à de nombreuses maisons d’édition. Voilà. Publier m’aura pris des années. J’ai ce regret-là. De n’avoir pas publié du premier coup ; ç’aurait été plus simple, mais différent du coup. Totalement différent. Ces années à m’entêter auront renforcé une détermination, en même temps qu’elles m’auront permis de peaufiner le geste. Écrire est un artisanat, il faut un art, en plus de la sincérité. Et surtout il faut profondément désirer son sujet. En avoir totalement envie.

A. G. – En 1998, vous aviez 37 ans, Le Dilettante publie votre premier roman Vu. Comment aviez-vous rencontré votre éditeur ? Vrai plaisir ou grande montée d’angoisse ?

S. J. – Par la poste. Et grand plaisir de voir le livre se faire pas à pas, au Dilettante à l’époque, et aujourd’hui encore, on a un peu le sentiment de voir le livre se faire sous nos yeux ; c’est une petite maison d’édition, par la taille, et donc on est pour le coup dans l’artisanat de l’éditeur, et de la fabrication d’un livre. À cette rentrée-là, le Dilettante avait fait le choix de ne publier qu’un livre, le mien donc, et j’en suivais toutes les étapes de l’élaboration.

A. G. – En 2004, vous rejoignez la belle maison Flammarion à laquelle vous êtes resté fidèle depuis. Comment ce changement s’est-il orchestré ?

S. J. – J’ai quitté le Dilettante en 99, pour des motifs de conflits personnels, et de vol. Une longue histoire. J’ai publié mon deuxième roman chez Flammarion en 2000. Et suis retourné au Dilettante en 2003, pour faire U.V., après VU. Dans un esprit de réconciliation. Ce différend fut orchestré à quatre personnes. Cette réconciliation à trois.

A. G. – Vous êtes désormais un auteur reconnu, et très sollicité. Comment vivez-vous, vous qui êtes plutôt réservé, cette exposition permanente et ces déplacements très fréquents ? Arrivez-vous à vous préserver du temps pour écrire ? 

S. J. – Je ne vois rien de tout ça. Publier un livre c’est un saut dans le vide, à chaque fois, on ne présume pas grand-chose de l’accueil qui lui sera fait, de la chance qu’on aura d’être visible, de l’attente si elle est là. Publier un livre c’est rentrer dans une pièce pleine de monde, parfois personne ne vous remarque, parfois certains se retournent vers vous, parfois même vous y êtes bien accueilli, voire célébré… C’est comme de rentrer dans une cérémonie d’anniversaire, sans savoir d’avance si ça sera le sien, ou celui d’un autre…

A. G. – En 2016, vous avez reçu le Prix Interallié pour Repose-toi sur moi (éditions Flammarion) et l’année suivante vous avez été couronné Chevalier de la Légion d’honneur. Les prix, les distinctions, ont-elles changé quelque chose à votre métier d’écrivain, à votre rapport aux autres…

S. J. – Un prix, c’est important, j’y ai gagné une légitimité, dans les six mois qui ont suivi, cela m’a porté pour assurer maints déplacements, maintes rencontres, où parfois il y a du monde, où parfois il y a peu de monde. Alors, dans les moments de creux, reste le souvenir de cette journée où l’on a été célébré, de cette fête qui s’en est suivie, de ce monde qu’il y avait ce jour-là, pour vous féliciter. Du coup, on peut plus facilement rouvrir les yeux devant cette médiathèque quasi vide, ou seules 4 ou 5 personnes sont venues vous écouter parler de votre livre, celui-là, qui a eu un prix… On se sent moins seul avec un prix. Mais très vite se pose la question du prochain livre. Et à nouveau tout l’enjeu est là, l’écrire. Le faire au mieux. Ne pas gâcher l’idée. Les intuitions sont toujours prometteuses, mais parfois les réalisations sont moins heureuses…

A. G. – Une dernière question, vous êtes par ailleurs scénariste et chroniqueur radio, cela change-t-il votre rapport à l’écriture ou cela reste-t-il un plaisir unique, toujours renouvelé, quelle que soit la forme ?

S. J. – Écrire, sous toutes ses formes, y compris les Tweets, d’ailleurs tout le monde s’y est mis à l’écrit, c’est ma grande victoire, même si je n’y suis pour rien, de voir des tas de gens qui n’écrivaient jamais, et qui se mettent à faire des Tweets, bien tournés, subtils, des haïkus ou des statuts fleuve sur Facebook. L’écrit a gagné. Et il n’en a pas fini. Je vois plein de gens qui me demandent comment faire pour publier, ou pour écrire des séries, ou des films, cet outil-là, chacun redécouvre qu’il l’avait à portée de main, et qu’il peut en faire quelque chose.

A. G. – Question subsidiaire : auriez-vous des conseils à apporter à nos jeunes écrivains qui rêvent de publication ?

S. J. – Désirer totalement son sujet, y penser jour et nuit, être totalement habité…