Waiting period – Hubert Selby Jr.

Waiting_period

C’est l’histoire d’un mec qui veut en finir, se commande un flingue, doit subir une Waiting period suite à un bug informatique, qui dans l’intervalle change d’avis, et décide finalement de (les) supprimer au lieu de (se) tuer. C’est l’histoire, la dernière histoire, d’un auteur – Hubert Selby Jr. himself – que vous connaissez même si vous ne l’avez jamais lu, parce que vous avez tous vu Requiem for a dream. C’est une histoire politique puisqu’il est question de Bush sur la quatrième, et que le roman est dédié à L’INQUISITION. C’est l’histoire d’un style unique, l’entrée dans un esprit, et ça carbure aussi vite que ça carbure dans le vôtre, je vous le souhaite. C’est une histoire américaine, de la bonne littérature américaine, de celle qui peut agacer, faire grincer des dents ou rire (tout dépend du degré de votre humour) mais qui frappe là, juste là, à l’estomac. Enfin, c’est une histoire traduite par Claro, ce qui est gage et label de qualité.

… mais visiblement la meilleure méthode ce sont les somnifères et un sac en plastique sur le tête… dans une baignoire remplie d’eau, je dirais. M’a l’air très facile. Plutôt paisible. On s’endort et c’est bon. Ouais, je suppose… si on n’est pas malade et qu’on vomit pas toutes ces saletés de cachets… Ouais, allongé dans une baignoire recouvert de ma propre gerbe, tellement dans les vapes que je peux pas me relever – un instant, comment pourrais-je baigner dans la gerbe, j’ai un sac en plastique sur la tête… eh merde, je m’étranglerais avec mon propre vomi, berk, c’est dégueulasse et je serais sûrement trop faiblard pour déchirer un trou dans le sac ou l’enlever et je resterais là à sentir ce qui se passe, à tournoyer, tomber… tomber dans quoi ? Allez savoir.

Alors bien sûr, comme c’est écrit comme c’est pensé, y a des scories qui peuvent vous enfumer. Je ne vous le cache pas, il est fort possible que vous détestiez ce bouquin. Pourquoi (re)lire alors ? Pour le grincement, du mec qui veut mourir, qui ne s’y retrouve plus, qui cherche son sens, sa vie, sa raison d’être là. Et qui ne trouve pas, bien sûr. Jusqu’au jour où, la mort se rapprochant dangereusement, l’instinct de survie prenne un bien drôle de biais. Tuer plutôt que d’être tué. On ne peut se prémunir contre ce type de questionnements, on en passe tous par là, en rire – même la mâchoire serrée – ne peut pas faire de mal. Avoir le droit d’en rire, en ayant encore le droit de lire ce roman, dans une époque où ce qui fait grincer des dents est surtout ce qui essaye de nous faire taire, est un luxe dont il ne faudrait pas apprendre à se passer. Et si je l’associe bien volontiers à mon cher American psycho, publié 10 ans avant, mais 15 ans après Le Démon, comme un dialogue entre Ellis et Selby, et si je ne peux m’empêcher de penser à Bukowski et à Henry Miller – tous taxés d’obscénités et ayant eu maille à partir avec la censure – c’est que la littérature américaine est un territoire à découvrir, à maintenir,  bien que certains classiques disparaissent mystérieusement des catalogues des éditeurs et des étagères des librairies. Étrange.

Et me voilà ici à présent à attendre. Le système pourri ne fonctionne pas. Toujours le système. Impossible d’y échapper. Cette saleté de vie merdique. Veut juste me torturer. Je trouve enfin un but dans ma vie et ils font tout capoter. Me laissent même pas me suicider bon dieu de merde. Quelle sorte de folie est-ce là ? Ils continuent de vous presser jusqu’à ce qu’il reste rien. Ce monde atroce ne cesse de rapetisser jusqu’à ce que vous vous retrouviez dans un putain de placard, enfermé eh merde. Une vraie histoire d’horreur. Enterré vivant. À entendre le moindre grain de terre tomber sur votre cercueil, battre dans vos oreilles, votre tête et tout le long de votre corps jusqu’aux orteils puis ça remonte, bam, bam… et vous grattez… vous grattez la planche en bois, un arbre mort, essayez de sortir bon dieu, comment peuvent-ils vous faire ça ?

Comme il est diablement humain notre héros, et que nous sommes les spectateurs privilégiés de son cerveau qui déraille, va sans dire que nous finissons par frissonner pour lui, par lui. Va-t-il aller jusqu’au bout de son projet mortifère, à qui va-t-il s’en prendre (d’abord), et comment, et saura-t-il s’arrêter, l’arrêtera-t-on ? Pas dit que la solution soit plus douce que le problème, pas dit non plus qu’elle sera réponse à toutes ses dérives, mais ce qui dérive, c’est bien mon imagination. C’est clairement un homme qui en a vu d’autres, mais comme dans tout bon huis-clos, vous palperez les limites de son crâne, pas celles de sa vie. Qu’importe. Qu’importe aussi qu’on veuille y voir, ou qu’on y ressente, une dénonciation politique, ou l’interrogation bien légitime d’un écrivain qui est en train d’écrire son dernier opus, qui doit s’en douter. Qu’importe que vous ayez aimé, ou que je vous donne envie de le (re)lire. Le livre se termine par un Amen, ma chronique aussi.

Je l’ai, enfin. Il a tenu sa parole, avait dit que ça prendrait que quelques jours, et il a eu raison. Hmm… quelques jours… Des jours miraculeux… voire mystiques. Tant de choses ont changé durant ces jours. Vraiment extraordinaire… le changement… oui, absolument mystique et miraculeux. J’aurais descendu la mauvaise personne. Me venger des vrais coupables en me suicidant et en les accusant c’est de la pure folie. Me suicider équivaut à tuer… l’exécution d’un individu innocent… au mieux le meurtre accidentel d’un spectateur innocent. Je ne suis certainement pas le genre à avoir besoin de tuer juste parce que je suis incapable de trouver un sens à ma vie. Incroyable l’extraordinaire changement survenu en quelques jours. Remarquable.

Éditions 10 X 18 – ISBN 9782264043795 – Traduction (américain) de Claro