Je ne sais plus où, je ne sais plus quand, je lisais que la littérature « du Sud » s’opposait à la littérature « du Nord » par son côté exubérant qui l’amenait à partir dans tous les sens. Vous allez me trouver mille exemples contraires, c’est une généralité bien sûr, pas une vérité. Toujours est-il que d’un coup tout s’éclairait dans et pour ma pomme, j’ai compris mon souci avec cet absurde qui – s’opposant à mon pragmatisme légendaire – me heurtait autant qu’il me fatiguait. Ça, c’était la théorie. La pratique c’est que j’ai commencé, au hasard, J’ai découvert que j’étais mort, que je viens de le terminer sans être bien sûre de l’avoir bien compris, qu’il m’a fait rire alors qu’a priori il n’est pas drôle, et que je me retrouve à vous en parler sans être vraiment persuadée d’en avoir quelque chose à dire. Mon côté latin se réveille.
En février 2008, après un divorce, j’ai quitté Rio sans prévoir de date de retour, conformément à l’habitude que j’avais prise de transformer des invitations pour des sorties de livres ou des rencontres à l’étranger en voyages de plus en plus longs, sans objectif précis. Sous cette croyance ingénue dans les vertus du départ – le même péché originel que celui de l’Europe, de dom Sebastiao, de mes ancêtres, de générations d’émigrés et de déracinés tombant comme des dominos loin de chez eux -, se cachaient une certaine vocation pour la tristesse, de vagues désirs de disparition. Je n’avais pas encore compris que ma personnalité ne se construirait pas par l’accumulation d’expériences, mais serait bien au contraire érodée par elles.
C’est un Rio d’avant JO, les pauvres se font expulser vers les banlieues lointaines, à défaut des terres brûlées on applique la méthode des immeubles effondrés, bonnes raisons d’en reconstruire des bien plus hauts, bien plus clinquants, qui se monnayent non plus en réais, mais en dollars. Certains s’en mettent plein les poches, d’autres se la racontent nouvel Occident, faussement décadent, un petit peu cra-cra aussi parfois, les coups de feu tonnent aux fenêtres ? Pas de souci on s’en éloigne, pour fumer son pet’ tranquille. La police, la politique, faut pas faire confiance, clairement. Ça, c’est le décor. Ensuite, le personnage. J.P. Cuenca (oui, oui). Auteur asséché désabusé qui n’a qu’une envie, quitter sa ville, qui n’a qu’une pulsion, quitter sa femme. Pour l’une comme pour l’autre, c’est raté. Il surfe sur une ancienne notoriété qui l’amène (encore) hors des frontières, hantant comme tout bon écrivain qui n’écrit plus tous les festivals littéraires possibles et inimaginables. Et finit toujours par revenir. Englué, ridicule, à peine sympathique. Bien souvent saoul, jamais compris. La loose. Et voilà qu’il apprend, en plus, qu’il a été déclaré mort (preuves à l’appui). M’enfin pas longtemps, et sans véritables conséquences, puisque le macchabé a finalement été réidentifié.
À l’issue de ces tables rondes, je devais me faire violence pour ne pas céder à la tentation d’interrompre les timides applaudissements et d’avouer que les ouvrages de fiction sont toxiques et ambigus – et que le progrès de l’humanité leur doit très peu. Que l’Europe qui s’est illustrée avec Cervantès, Shakespeare, Dante et Tosltoï, a réduit en esclavage des générations de Noirs, d’Indiens, d’analphabètes et de dissidents politiques. Que Hitler, admirateur entre autres du Quichotte et de Robinson Crusoé, lisait un livre par soir et possédait une bibliothèque personnelle de plusieurs dizaines de milliers de volumes, surpassée cependant par celle d’un autre lecteur compulsif, Joseph Staline. Que les livres ne sont pas comme des compléments alimentaires contenant des doses d’empathie et d’intelligence. Que la littérature n’est pas un catalyseur moral, n’offre pas de rédemption et n’est pas porteuse d’un sens éthique en soi. Et qu’elle doit décliner absolument toute responsabilité en matière de formation des lecteurs si elle veut conserver un tant soit peu de pertinence en dehors des manèges financés par l’argent public pour entretenir l’illusion simultanée 1) qu’elle occupe ou doit occuper une position centrale dans la culture ; 2) qu’elle a besoin d’être préservée comme le panda ou une espèce de papillon en voie d’extinction ; et 3) qu’elle n’est pas une forme d’art élitiste par nature.
Le pote Tomàs, rédac’ chef de son métier, y voit l’occasion de trouver matière à un nouveau roman. Ni une, ni deux, un détective est engagé pour retrouver la mystérieuse femme qui avait communiqué la vraie fausse identité. Vous suivez, moi aussi. Sur la dernière ligne droite (et après quelques péripéties, mais je ne suis pas en train de vous réécrire le bouquin non plus), en revanche, ça se complique. Cuenca pète son câble, celui ténu de la réalité lâche à son tour. On y parle insectes et virus parasitaires qui modifient le comportement de leurs hôtes, un indice. La boucle se boucle, et le nœud se referme autour de ma tentative de compréhension (j’avoue tout de même conserver mon intérêt de lectrice jusqu’au dernier mot de ce roman faussement inachevé). L’erreur à ne pas faire (évitez) : compter sur la postface pour expliciter le tout, parce qu’à grands coups de « un auto-panégyrique que l’auteur maquille en un pseudo-examen de sa propre personne et de sa ville », le débat s’élève mais retombe à plat. On s’est perdu à la fin, d’accord, mais on a compris le cheminement, quand même, merci (enfin on discerne les grands thèmes quoi). Par contre un petit balisage politique, voire même une évocation de la vie (réelle) de l’auteur, auraient pu être précieux. Passons. La seule chose qui vraiment pourrait me faire douter (de tout) est l’exergue de Vila-Matas (grand parmi les grands) qui parle de la mort de Cuenca comme d’un fait avéré. Le taquin. Heureusement que wikipédia (en portugais s’il vous plait) est là pour me confirmer qu’il est bien vivant, le JP.
Éditions Cambourakis – ISBN 9782366242829 – Traduction (portugais – Brésil) de Dominique Nédellec