J’ai un problème avec Marie Darrieussecq. J’ai lu Truismes. Deux fois. Le Mal de mer. Une demi fois. Notre Vie dans les forêts. Une fois. Une fois ça suffira. Je compte les points et cherche les bons, de points. Que dire, à part que je suis tenace, mais toujours déconcertée par cette absence de style, tactactac mitraillette, ça sort comme c’est pensé, un journal intime écrit dans l’urgence me direz-vous, oui mais. Vocabulaire enfantin, syntaxe enfantine, voilà c’est ça l’idée, alors, ne pas construire, se la jouer déconstruite. Volonté pure – je n’y crois pas, je ne peux y croire – absence de talent – je sens que je vais me faire tacler – heureux hasard qui donne la parole à des auteurs qui ne savent pas écrire – je vais me faire laminer. Bref. Je grippe, je m’accroche mais ça ne m’agrippe pas. Réfractaire totale au style de Marie Darrieussecq je continue de la lire pour chercher à comprendre. 16 euros qui ne me paieront pas mes clopes, c’est déjà ça.
J’ai ouvert l’œil et boum, tout m’est apparu. C’était limpide. Nous étions presque tous accompagnés par nos moitiés. Et ma moitié à moi, à quel point elle n’était pas autonome, ça faisait peur. Une chochotte. Je l’appelais comme ça : la Chochotte. J’avais perdu tout sens de la psychologie. La seule chose qui marchait, avec elle, c’était de la brusquer. Un peu.
Du nerf. Il faut que je raconte cette histoire. Il faut que j’essaie de comprendre en mettant les choses bout à bout. En rameutant les morceaux. Parce que ça ne va pas. Ce n’est pas bon, là, tout ça. Pas bon du tout.
L’envie d’acheter Notre Vie dans les forêts, à part le paradoxe évident que je n’aime pas ce qu’écrit Marie Darrieussecq, c’est l’histoire, la mise en bouche, cinq phrases au dos d’la couv. Ce monde qui part en morceaux (plus que le corps de la narratrice, j’ai une fâcheuse tendance à l’hypocondrie), voilà qui me parle. Et cette mystérieuse femme qui lui ressemble trait pour trait. Ça fleure bon la SF, voire même la dystopie, ça glisse sur la langue et dans mon imagination ça fait des petits flashes de bonheur anticipé, une sorte de flipper quoi. Oui mais voilà, dans le trou, peau de balle, pas de tilt. Pour vous la faire courte, et ne pas vous en dire trop (car oui, il y a tout de même une chute et une surprise à la fin), Marie (psy) vit dans un drôle de monde où il est beaucoup question de mort, un monde mortifère. Les gens se font terminer quand ils perdent goût à cet univers géré par les robots. Rien n’est franchement très humain, les émotions en sont réduites à des associations (d’idées), associations créées par des cliqueurs. Vous apercevez le concept ? Vous ne faites que l’apercevoir, et c’est bien dommage, Marie (l’écrivain) a de l’imagination (nous sommes deux) mais au final ce qui se termine, et vite, c’est surtout son bouquin.
J’aimerais écrire « nous m’avons entourée de lainages », parce que ce sont les nôtres qui s’occupent de moi. Mais bizarrement, on ne peut pas écrire ça. Dans aucune langue, je crois. Je suis obligée d’écrire « ils me », pas « nous me ». Je découvre. Ça fait assez longtemps que j’écris maintenant, mais je trouve encore des trucs. Si je n’écrivais pas je me demanderais ce que je fais là, dans ce trou, dans ce groupe. Je suis tout étonnée, parfois. Autrefois, les bébés qui naissaient par césarienne, on les appelait « les bébés étonnés ». Parce qu’ils n’avaient pas lutté pour sortir du corps de leur mère. Parce qu’ils n’avaient pas subi les contractions. Ils étaient nés sans transition.
Marie (la psy) a une moitié, c’est à dire un clone, qui sert non de base de données, mais de banque d’organes, ce qui est pratique quand comme Marie on a tout qui fout un peu le camp. Oui mais voilà, Marie elle est humaine, quand même, et ce double d’elle (renommée Marie) là couchée, endormie, ça la culpabilise plus qu’autre chose. Elle lui rend visite souvent, même si ce n’est pas bien toléré. Et surtout elle rêve de liberté, pour sa moitié. Après ça devient un peu plus trouble, complexe (et intéressant) (et ça se passe dans la forêt) ce qui nous est vendu n’est pas toujours la réalité. Et la gentille lectrice très tatillonne que je suis se fait gentiment remettre à sa place quand les incohérences prennent enfin sens (j’ai perdu des points mais j’en donne bien volontiers). L’histoire, dans le fond, n’est pas si mal – juste que sur le même thème, il y avait l’excellent Auprès de toi toujours d’Ishiguro, et que quand l’un – pour son style – mérite largement son Nobel, l’autre – à mon très personnel avis – bâcle un peu ses livres. Et c’est là que vous me terminez.
Éditions P.O.L. – ISBN 9782818043660