Pourquoi les oiseaux meurent – Victor Pouchet

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Ce n’est pas une question, vous n’aurez pas de réponse. Pourquoi les oiseaux meurent ? Victor Pouchet – son double littéraire – se créé une obsession. Il faut remplir le vide, la princesse est partie, plus rien ne le motive. Pour tout dire, plus rien ne le retient. Alors prendre la Seine comme certains vont prendre la mer, bouger. Aller plus loin, voir plus loin, s’inventer un but, un prétexte, l’occasion d’un joli roman, récit initiatique comme une lente dérive au fil de l’eau. Pas vraiment à sa place le Victor, sur la croisière, pas vraiment l’âge ni le profil, comment expliquer, comment justifier que parfois l’on puisse se trouver à la marge, démarqué, personne ne comprendra, mais il est dans son monde, le Victor, et tant pis si les mots ne dépassent pas toujours le bout de sa langue. Il se parle à lui-même et peuple sa solitude, ses petits cahiers, de ce qui tombe du ciel, Icare. C’est déjà quelque chose.

Vers dix heures du soir, je m’étais décidé à sortir de chez moi. J’avais ressenti le besoin de voir quelqu’un d’autre que les pigeons d’en face et mon reflet inquiet sur l’écran de l’ordinateur. J’avais retrouvé Gilles rue Véron, au Grand Hôtel de Clermont, qui est tout sauf un grand hôtel et accueille essentiellement des buveurs de Suze d’un autre temps. Je lui avais parlé des oiseaux et de mon besoin excessif de comprendre ce qui se passait. J’avais tout repris à zéro. Je lui avais raconté Bonsecours, Blainville, Bardouville, les pluies récurrentes, le perroquet cinglé. Il m’avait regardé avec un sourire qui me semblait tout à fait inapproprié. Je lui avais dit : « Rien ne tombe sur rien par hasard. J’ai l’impression que les oiseaux se sont écrasés sur moi, sur mon village, sur mon enfance, ou peut-être sur tout autre chose. Sur nous. Sur notre obsession pour les chutes. Les journaux nous épuisent avec la crise, avec leur “sentiment collectif d’écroulement“. C’est devenu une deuxième peau, la crise. On ne se rend même plus compte. Tout le monde vit avec la crise, dans la crise. Mais des oiseaux tombent du ciel, et personne ne les regarde.»

Poétique Pourquoi les oiseaux meurent, parfois un peu scolaire, mais c’est voulu. Victor se rattache aux petits riens, aux anecdotes, aux détails, cherche, trouve, remarque des coïncidences, potasse, s’absorbe dans ses notes, comble le vide en lui et fait le vide autour. Mais bien sûr, vous le savez, la nature en a horreur, et qui se pose des questions, quand bien même il serait le seul, finit toujours par trouver ses propres réponses. La solution est toujours dans l’action (ou dans le travail). C’est un roman d’errance, cadrée, d’un être qui ressemble bien fort à son créateur, un air sérieux, la petite barbe et les lunettes. Le premier de la classe qui ne se demande plus s’il est censé s’adapter pour appartenir au monde mais qui décide, ou qui subit, de s’en créer un. Un côté enfantin de qui a encore beaucoup à apprendre, à souffrir, mais qui a toujours la chance folle d’être protégé par ses rêves.

Clarisse était un poisson-chat nyctalope qui distinguait très bien les rochers dans les mers nocturnes. C’était une évidence dont j’attendais qu’elle soit si explicitement formulée : j’avais la vie sur le bout de la langue. Et peut-être était-ce pourquoi je m’étais retrouvé sur une péniche à guetter les oiseaux morts sur les rives, à mener une enquête pour laquelle personne ne m’avait missionné et dont pas mal d’êtres humains se foutaient. Donc oui, certes, bien sûr que oui, j’avais la vie sur le bout de la langue. Sur le bout de la langue les engagements, les choix, les aventures de l’esprit, la vie sociale et les conquêtes. J’avais l’impression de passer ma vie à ne pas articuler complètement ce qui m’arrivait et à sacrifier tout un tas de syllabes, de mots et de phrases-projets. Je lui ai alors avoué ma passion pour les bègues et pour leur vulnérable grâce.

Pourquoi les oiseaux tombent ? Parce que les hommes tombent, aussi, parfois. Si Victor a pris cette voie ce n’est pas complètement un hasard, le fil de l’eau le ramène chez lui, à son origine, près d’un père qui ne fut pas toujours très droit dans ses bottes. Quitter l’enfance c’est prendre le large et s’offrir la chance d’un nouveau point de vue, ne plus juger ses parents mais tenter de les appréhender, sans violer le secret des cahiers qui pourraient révéler ce qui ne nous regarde pas. Les chutes (d’oiseaux) vont se multiplier, comme une annonce de ce qu’est la vie adulte, mais son père, qui a tangué et qui a reposé pied à terre, lui montrera, peut-être, qu’après le fleuve, qu’après la chute, on peut encore s’offrir de nouvelles aventures, vues et vies, rajouter un peu de sel à une eau qui n’avait plus assez de goût. La vie est une mer, la vie est une vague, elle charrie parfois avec elle le corps des oiseaux morts, mais elle apprend aussi qu’après le creux, la crête.

Éditions Finitude – ISBN 9782363390851