L’Homme de miel – Olivier Martinelli

21951370_10156052679653912_1846534967_o

Ça commence par deux mots, de ceux que l’on n’aime pas trop entendre. Memento Mori. Car on l’oublie bien souvent, celle qui viendra un jour, un autre jour, plus tard, bien plus tard. Olivier Martinelli ne peut plus l’oublier, l’annonce est sans appel : cancer. Pic monoclonal, myélome, charabia, incompréhensible. Un pour cent, voilà qui est plus causant, surtout pour un professeur de mathématiques. Probabilité du pire, qui ne va pas manquer de se produire. Douce et fraîche la main de sa fille sur la nuque, là où s’inscrira bientôt la cicatrice. C’est compliqué de chroniquer la maladie d’un inconnu, ce n’est déjà pas facile de trouver les mots quand il s’agit d’un proche. Mais Olivier Martinelli y va par petites touches, les sourires reviennent plus souvent qu’à leur tour, pas de fausse pudeur donc, ni de pitié dangereuse.

La radiothérapie s’est étalée sur quatre semaines, en juillet. J’avais eu un mois et demi pour me remettre de l’opération. Mon cou était toujours prisonnier de sa minerve. Les nuits étaient difficiles. Mais les douleurs s’estompaient peu à peu et j’étais plus mobile. Je profitais du calme de la maison pour graver sur le papier de nouvelles histoires. J’étais un survivant. Mille projets explosaient dans ma tête. J’avais plusieurs romans à écrire, deux recueils de nouvelles à terminer et un disque de chansons à enregistrer. Je ne voulais plus les remettre à plus tard. Je voulais les réaliser rapidement. Le temps était mon ennemi.

Ce qui ne te tue pas te rend plus fort, paraît-il. Je n’en suis pas persuadé. Cette épreuve ne m’a pas amélioré. Elle ne m’a pas rendu plus fort.

Ce qui ne m’a pas tué m’a seulement rendu plus pressé.

Il y a les larmes bien sûr, et la douleur. L’entourage qui ne sait plus, comment compatir, comment être là, comment se préserver. Il y a les deux enfants qui ne savent pas, trop petits, mais qui dans leur insouciance apportent tant, de la vie. Il y a surtout un homme qui se retrouve face à un temps qui le dévore, l’urgence, l’envie de ne pas avoir de regrets, qui doit pourtant apprendre à vivre avec les nouvelles limites que son corps lui impose. Il y a beaucoup de choses à faire, à penser, un nouveau rythme, le tourbillon, le ballotage des résultats qui tombent les uns après les autres, il y a des temps morts, mais pas de tant pis. Olivier Martinelli se projette, se défie.

L’année de mon cancer, j’ai continué à enseigner, à rire avec les élèves, à hurler après certains d’entre eux.

L’année de mon cancer, j’ai fait du sport, j’ai couru, nagé, joué au foot. J’ai fait un merveilleux voyage en Toscane avec Sylvie et les enfants. J’ai accompagné Liz et Dan partout où leurs compétitions sportives les conduisaient. J’ai été leur premier supporter.

L’année de mon cancer, j’ai continué à écrire, lire, aller au cinéma, écouter de la musique. J’ai continué à accepter les émotions, le bonheur et les larmes.

L’année de mon cancer, j’ai continué à me révolter, j’ai continué à aimer.

L’année de mon cancer, j’ai continué d’avancer, vaille que vaille.

L’Homme de miel est un pragmatique. Décrit ce qu’il endure, liste ce qu’il fait. Il ne cède pas, comme nous pourrions tous le craindre, à la peur. Dans l’action la solution, dans le faire le combat. Prouver que oui elle viendra, mais non pas tout de suite, que pour l’instant le malade est en vie, qu’il compte bien le rester. Pas de grands élans mystiques, un peu de poésie. De courtes notes, des interrogations, des anecdotes, des constats, des projets, un homme qui refuse de s’arrêter pour ne pas tomber dans l’introspection, dans une projection qui ne peut lui être que défavorable. Courir pour prendre de la distance, pour mesurer les distances de notre courte vie. Bien sûr il y a l’émotion, et quelques scènes poignantes, la souffrance, mais Olivier Martinelli n’écrit pas pour cela, ni pour témoigner, ni pour convoquer la compassion. Un court récit pour marquer le coup, pour l’accuser. Pour vivre.

Éditions Christophe Lucquin – ISBN 9782366261226