Le Cri du Diable – Damien Murith

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Damien Murith est un poète, et s’il invoque pour nous Le Cri du Diable, c’est pour mieux nous hypnotiser. De sa langue qui se tord, de sa langue qui tortille, cent fois les phrases relues pour en goûter le rythme, et la peau, et le sang. Damien Murith, dans sa langue, celle de La Lune assassinée, celle des Mille veuves, plus profonde et plus longue, qui fouille, qui fouit. Bien sûr le décor est âpre, on ne fait pas de littérature avec de bons sentiments, les hommes de papier souffrent leur lot quotidien de labeur stérile et vain, les femmes serrent contre elles leur cœur brisé. Car tout est dur ici, la terre grise qui se refuse, la pierre qui s’interpose, les froides dalles qui se brisent. Et les hommes qui nous mentent. C’est une langue qui se parle, à haute voix, qui se scande, et qui fait résonner dans nos têtes la dureté d’une certaine Suisse paysanne.

Et derrière eux, des sanglots, des silences, des têtes accablées qui fixent la terre, qui se recueillent, une larme plantée au coin de l’œil, et puis lentement, à gauche, à droite, car le silence, car les têtes sont perfides, des voix murmurent, on entend: «Contagieux», on entend: «Bien mieux ainsi», et encore: «Terres à se partager», et à présent ce sont les yeux qui roulent vers la gauche, vers la droite, cherchent sur les visages des regards complices, et déjà les hommes seuls, le bas du ventre fourmillant, dévisagent la veuve, s’inventent des nuits chaudes d’amour, et bientôt, un troupeau d’enfants pour aider.

Ce Cycle des maudits aurait pu se parer d’un féminin. Une fois encore, une femme souffre. Camille a perdu son homme et dans ces campagnes, femme de personne, femme de tout le monde. Demandant une aide, c’est de sa chair que l’on veut la faire payer, mais Camille se défend et plante de sa fourche le ventre coupable. Coupable, la voilà chassée à courre par le reste du village, elle s’enfuit. Sa petite valise laissée derrière elle, elle quitte le village bien plus nue qu’à son arrivée. Et alors la ville, dévorante et crue, et Camille reste et redevient une proie, puis se modèle en désir. Lancinant le sort s’acharne, que ce soit de culpabilité ou de vengeance, de sombres sentiments, de sombres instincts, toujours il faut payer.

Ville monstre, gueule hurlante, ville vampire qui saigne et suce, ville démente, ville sénile, dans ses artères malades s’écoule la mort, ville noire de guerres, d’incen- dies, d’épidémies, ville jaune du crachat des usines, ville rouge, le crime et le vice s’y accouplent, et ville haute, on s’y goinfre la bouche en cul-de-poule, et ville basse, sur les têtes le vent y peigne les poux, et à chaque étage, hommes désœuvrés, familles grelottantes, immigrés des terres asphyxiées, tous rassemblés dans des mouroirs de brique et de pierre, ils se retrouvent au couchant, alors ils chantent le pays, libèrent les hymnes, les refrains qui font pleurer les vieillards, danser les femmes, et rire les enfants.

Il y a l’amour des mots dans les mots de Damien Murith. Réflexe de lui reprocher ce prétexte, celui d’une histoire bien sombre, pour modeler sa langue. Mais ce serait mal connaître notre auteur qui en plus d’être poète est aussi conteur. C’est le goût des mots qui nous pousse à relire, mais c’est la surprise qui nous fait continuer à lire. Rien n’est écrit, rien ne se déroule comme nous l’avions pourtant prévu. Les variables s’ajustent, laissent éclater un fond bien plus profond. Damien Murith est un grand auteur, j’ai souvent eu l’occasion de vous le dire, et parce qu’il prend son temps pour nous livrer ses romans, il ne nous laisse qu’un seul regret : encore !

Éditions L’Âge d’homme – ISBN 9782825146880

Merci à Sacha Després pour l’enregistrement !