Mea culpa. Je n’aurais jamais dû lire Thomas Gunzig. Victime (coupable) d’un certain snobisme littéraire, il aura fallu toute ma confiance en son éditrice et mon goût affirmé pour les beaux garçons (j’approuve cette deuxième de couverture), pour me lancer dans cette lecture (le reste a fait que je n’ai pas pu l’interrompre). Serait-il possible qu’en France nous ayons un léger souci avec le concept du roman qui raconte une histoire ? Grossière erreur. Adultes, c’est un fait, mais pourquoi nous priver du plaisir de nous laisser embarquer dans un récit rocambolesque ? Pourquoi y voir une perte de temps, pourquoi vouloir uniquement ce qui triture un bout de nombril, ce qui fait mal, ce qui appesantit ? Stop à cette dictature intellectuelle, j’ai un besoin et je le revendique : parfois j’ai juste envie de passer un bon moment, de vivre une aventure et si celle-ci m’est racontée par un homme assez appétissant (je m’emballe), alors je n’ai qu’une réponse : oui.
J’aurais pu commencer cette histoire en racontant comment on m’avait cru disparu et mort et comment c’est faux. J’aurais pu commencer en racontant comment mon père et ma mère, eux, étaient bel et bien disparus et morts, dans cet ordre ou dans l’autre. Ça aurait certainement fait un bon début d’histoire, mais comme ce n’est pas le plus important, je raconterai tout ça plus tard. J’aurais pu commencer cette histoire en racontant les premières années de ma vie pour convaincre le lecteur que, contrairement à tout ce qu’on a pu dire, ces années furent belles et généreuses en toutes choses. Mais de ça aussi, je me suis dit que j’en parlerais plus tard, quand le moment sera venu.
Charles est un survivant, survivant d’un crash, survivant d’une Afrique en guerre, survivant d’une jeunesse faite de violences et d’horreurs. Était-ce pourtant le sauver que de le rapatrier de force dans notre belle Europe, souffreteuse et malade, qui se vautre dans son luxe et son confort de vie, bonne qu’à mettre au monde de pauvres gamins sans cervelle, sans recul, plombés, altérés, par ce qu’on leur colle devant les yeux ? Il y a toujours une morale derrière une simple fable, celle-ci n’est pas des plus gaies, ni des plus anodines. En toute logique, Charles va tout faire pour repartir, quitte à se salir un peu, à utiliser les autres comme moyens (les femmes surtout, mais je suis une gentille lectrice, je n’y verrai ni sexisme, ni malice). Tous les chemins sont bons à prendre pour rejoindre son amour, son amante, sa Septembre. Notre Charles est un adolescent des plus dégourdis, et des plus instruits, on n’y croit pas une seconde, mais en fait on s’en fout.
La dame était venue me chercher à l’aéroport. Pour rendre ce récit un peu plus vivant, il faut que je vous la décrive, mais avant de vous la décrire, il faut que je vous précise qu’à ce moment-là, j’étais dans un état qu’un psychologue qualifierait de « perturbé ». J’avais été arraché avec une certaine brutalité à tout ce qui constituait mon univers, j’avais l’impression que ma vie était finie, j’avais à la fois envie de mourir et de tuer, et le long couloir des débarquements, décoré de publicités dont le bonheur artificiel me faisait l’effet d’agressions manifestes, m’apparaissait comme un chemin de croix, comme la route vers le Golgotha.
Il y a de tout dans ce roman, un humour féroce, une écriture fluide, beaucoup de poésie (au sens strict), un peu de psychologie, de savantes références littéraires, une pincée de surnaturel, des questions pratiques (le fric, l’utilisation d’un Iphone, l’ouverture d’un compte à Gibraltar), des rebondissements, un suspense tout à fait tenable, une jolie fin très attendue, de l’amour, de l’affection, de la tendresse, et quelques désillusions. La vie comme un roman quoi, ou l’inverse, en mieux. Mais ne vous arrêtez pas au cœur de la couverture, La Vie sauvage n’est pas une romance à deux balles. L’amour est là, comme moteur, mais ce n’est pas celui qui vous fera tourner les pages. Déconnecté de votre réalité, happé par la magie de la littérature, vous allez décrocher de ce qui vous soucie (et des soucis, vous en avez, je m’en doute). Deux heures trente de détente, ce n’est pas rien, et ça vaut largement 18 euros. Alors je vous le dis une dernière fois : attention, talent !
Éditions Au Diable Vauvert – ISBN 9782846269612