La Soif – Andreï Guelassimov

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Bien plus forte que la bière, La Soif. La vodka qui coule dans les veines, qui offre le feu et promet l’oubli. Le feu dont est sorti Kostia, bien trop tard, bien après les morts, le feu qui lui a mangé le visage, la guerre qui lui a pris sa jeunesse. Et depuis fuir le reflet des miroirs, éviter de faire peur aux enfants, s’isoler avec la bouteille qui le noie. C’est sans compter sur ses fidèles amis qui l’emmèneront avec eux à la recherche du quatrième manquant. Et la vie de reprendre ses droits, les souvenirs s’enchâssent et s’enlacent, d’une phrase à l’autre l’époque change, suivant la cohérence des idées libres et donc incohérentes de notre héros de papier. L’âme slave est ainsi faite qu’elle sait s’abandonner à la mélancolie, sans honte ni pathos, mais revenir à l’action, sans hésitation.

Je pensais en les regardant : pourquoi ça se passe comme ça pour moi ? Pourquoi il y en a qui brûlent, et d’autres qui sont sauvés ? Pourquoi le père que j’avais est-il devenu le père d’autres enfants ? Pourquoi l’homme que je voulais avoir comme père m’a-t-il abandonné pour partir quelque part sur la mer Noire ? Pourquoi ce con qui aujourd’hui se dit mon père m’emmerde tellement que ça fait plus d’un an et demi que je n’ai pas la force d’aller voir ma mère ?

Trop de choses, certainement, autour de ce « pourquoi », et il était clair que je n’allais pas m’en tirer uniquement avec un point d’interrogation.

Grâce au crayon, Kostia apprendra à nouveau à communiquer, à accepter le regard lui qui n’a plus de paupières, il inventera des jambes aux amputés, des familles aux soldats morts trop jeunes, il dessinera ce qui aurait dû être, ce qui a été et ce qui ne sera pas. Il offrira des sourires aux enfants, acceptera de regarder en face son père qui ne peut que détourner les yeux, se souviendra des leçons de son mentor, des choix de sa mère, les comprendra enfin. Lui que l’on ne pouvait plus voir, lui qui ne voulait plus être vu, reprendra conscience de la place qui est la sienne et du reflet que lui offrent les autres. Une jolie histoire sur l’attente de ce qui ne viendra pas, ou plus, ou peut-être, mais sur la chance d’avoir quelque chose à attendre, quand même.

Que reste-t-il de l’enfance ? Des rêves dans lesquels on s’approche de la première maison où l’on a vécu, et dont on essaie d’ouvrir la porte, alors qu’on sait qu’il n’y a plus personne ? Et comme on est encore tout petit, on n’arrive pas à atteindre la poignée. Des odeurs ?

Ou bien cette terreur qu’on a éprouvée au jardin d’enfants, un jour que tous les autres s’étaient endormis, et que l’on est resté assis sur son petit lit métallique pendant toute l’heure de la sieste, parce qu’on avait brusquement compris qu’on mourrait un jour ? Complètement. Et qu’à cause de ça, l’édredon s’était transformé en boule poisseuse.

Roman d’apprentissage, La Soif n’assèche rien d’autre que l’envie de passer un bon moment de lecture. Le fond de même que la forme sont pourtant là, réfléchis, un brin de philosophie de vie, des personnages incarnés, un environnement politique actuel et connu, pas de jugement, pas de critique, pas de victimisation, la vie dans sa première enveloppe, la plus évidente. Mais comme une amourette qui ne laissera rien d’autre que le souvenir d’une tendresse, et dont on oubliera bien vite les détails, l’histoire d’Andreï Guelassimov est des plus touchantes mais pas des plus marquantes.

Editions Actes sud – ISBN 9782742762828 – Traduction (russe) de Joëlle Dublanchet