Ma vie, côté père – Michel Contat

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La Suisse, ma Suisse, n’est pas de celles où l’on parle, encore moins de celles où l’on se plaint. Michel Contat ne parle pas, ne se plaint, il raconte. Pas de pathos dans ses chroniques familiales, énumération des courts faits qui ont marqué son enfance et sa vie d’adulte, tout simplement. A peine une allusion à Dickens, quand il aborde les années d’internat, et c’est assez. Tout en pudeur, mon Suisse, tout en retenue. Et l’absence du père alors ? L’éternel absent, toujours plus intéressé par les jupons que par les couches culottes, est au centre de ce récit familial, car si l’absence perdure, elle créé surtout dans les cœurs des béances. Celles du frère ne seront jamais refermées, celles de Michel se rempliront d’autre chose, de littérature et d’engagement.

On me raconta que Jean-René avait été surpris, penché sur mon berceau, en train d’enfoncer une aiguille à tricoter dans ma poitrine. C’est une histoire que j’ai quelque peine à croire quand je regarde la photo où mon frère, portant un pull-over décoré de l’écusson du Valais, me regarde gentiment dormir dans le berceau. Une autre photo, celle-là prise par une photographe professionnelle quand je devais avoir trois ans, nous montre, ma mère très belle, Jean-René l’air triste, et moi exultant en montrant un livre ouvert. J’y vois une image de notre destinée familiale. Mais où donc est mon père ?

Notre auteur avance en âge, la tristesse des premières années laisse place à l’agacement du jeune adulte qu’il devient, autocentré sur sa propre vie et ne sachant plus composer avec ce père atypique. Que celui-ci, fidèle à lui-même, essaye de charmer la compagne de son fils, et voilà la gêne qui s’installe. Qu’il devienne bagarreur, et l’enfant que Michel n’’est plus dit non. La complicité intellectuelle n’étant pas de mise, Contat se tourne vers un autre modèle, Sartre, pour ne pas le nommer, c’est finalement secondaire. Peut-on exister comme descendance d’un homme qui a si peu d’ascendance sur soi ? C’est l’époque de l’incompréhension, mais aussi de la découverte, l’auteur s’amuse parfois de ce père excessif, différent, mais qui à chaque difficulté semble réussir à rebondir, avec un cynisme à la limite de l’admirable.

Cela n’avait pas été facile d’avoir pour père le respectable et respecté Antoine Contat, ce fonctionnaire qui ne respectait que les artistes. Jean avait fait de son mieux, essayant de vivre selon le seul principe du plaisir. Pour ma part, je tentais, je tente encore, de concilier en moi les deux figures parentales : principe de plaisir, papa, principe de devoir, maman. Mon père est mort à soixante-seize ans, l’âge que j’ai maintenant, essayant d’écrire non pas sur lui, en position de surplomb, mais avec lui, en connivence. Pourtant il est resté pour moi un étranger. Je ne me rappelle pas son odeur, seulement des expressions du visage, quelques gestes qu’il avait au volant, en parlant. Je n’ai vécu avec lui que mes toutes premières années ; après quoi, il ne fut plus qu’un visiteur. Un visiteur du moi qu’il avait pourtant si fortement, si douloureusement constitué. Mais ce goût de la vie qui m’anime encore, je le lui dois.

Et puis, encore quelques pas, quelques pages, le fils devient le père de son père. Affaibli, diminué, mais toujours dans l’emphase, dans la démesure, dans le spectacle, allant jusqu’à demander le pistolet salvateur, délivreur, soigneusement mis en scène dans l’attente de la dernière représentation. Scène émouvante au possible, larmes aux yeux. Ma vie, côté pèreest un court récit, refermé comme un poing, envoyé comme un point — final à une histoire d’homme à homme qui ne se seront peut-être pas trouvés, mais qui se seront aimés. L’auteur ne manque pas de nous rapporter le bon mot de l’un de ses amis, et de s’en amuser : « Si vous voulez savoir qui est Contat, faites-le parler de son père ». Devoir — de mémoire — accompli.

Christian Bourgois éditeur ISBN 978-2-267-02918-5