Nous sommes restées à fixer l’horizon – Mona Hovring

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Y a-t-il une littérature de genre (sexuel), question absolue qui taraude mon petit monde en ce moment. Sur la route aurait-il pu être écrit par une femme, en tant que femme moi-même ai-je pu l’ingérer pleinement ? A lire Mona Hovring, à vrai dire, la question ne se pose pas, ou plus. Rock’n’roll malgré elle, alcoolique, désespérée et toute poétique, son héroïne Olivia vaut à elle seule tous les Buko, Fante ou Lowry du monde. La verve de la donzelle affiche tout de suite la couleur, vous allez aimer, vous offusquer ou détester. Ni roman féministe, ni roman lesbien, Nous sommes restées à fixer l’horizon tient autant du journal intime que de la déclaration de guerre, contre tous les chagrins auxquels nous serons un jour confrontés.

Ma tante a été enterrée un lundi. J’avais un coup dans le nez et des bleus à l’âme, mais ni le deuil ni la détresse n’expliquaient mon état miteux puisque la morte ne m’a jamais été particulièrement proche, sans compter qu’elle a réussi à passer le cap des quatre-vingt ans avant de daigner tirer sa révérence — mais bon, on ne peut pas non plus exiger la vie éternelle.
J’avais biberonné sec avant de me rendre à l’église : j’allais malgré tout retrouver cette chère famille, avec le déluge d’anxiétés et de contrariétés que ça implique. Et, alors que d’habitude je suis capable de descendre un nombre certain de verres avant de sentir quoi que ce soit, là, en remontant la nef centrale pour aller m’asseoir sur le banc de la première rangée, à côté de ma mère, j’ai soudain ressenti un léger vertige ; j’ai même failli me prendre les pieds dans le chemin de moquette déroulé du portail jusqu’à l’autel. C’est à se demander ce qu’ils ont dans le crâne en mettant ces foutus tapis.

Ça commence fort. Deux ans passés avec un homme qu’elle n’aimait qu’à moitié, les valises sur le palier, une coloc improvisée. Il faut rebondir et la vie s’en charge pour Olivia. Une rencontre imprévue — avec une femme — mais j’insiste, ce n’est qu’un détail, surtout visiblement pour les Norvégiens, un héritage qui tombe à pic, et voilà notre héroïne, qui mérite entièrement ce petit nom, qui s’agite et qui oscille, entre repli et déploiement. Quitter l’usine, quitter sa mère, y croire, se livrer, se ramasser. La vie, je vous dis. Dans tout son éclat, dans toute sa cruauté charmante, de celle qui jamais ne vous laisse vous appesantir sur votre sort, même si parfois des périodes de remise en question et de mise à distance s’avèrent nécessaires. C’est frais, comme le grand vent du Nord, c’est exotique, car basé entre la Norvège et l’Islande, bien loin de chez nous, c’est osé, c’est tentant.

Une fois sortie de la piscine, j’ai soufflé dans mes paumes — non parce que je grelottais, puisque j’ai toujours les mains chaudes, mais plutôt pour avoir conscience corps et âme que je respirais ; cela me paraissait soudain primordial : ressentir ma propre respiration, le souffle stable et régulier, une manière d’affirmer qu’un cap ardu venait d’être surmonté. Je suis allée au sauna, j’ai appuyé sur la poignée. Dedans, la température était agréable. Il y flottait une bonne odeur de lambris. Un parfum de… vanille? De papier frais? J’ai regardé par la lucarne. Aucune mouette, aucun oiseau. Rien que le vent, qui s’amusait avec les arbres à son jeu inclément.

Toujours je guigne les Notabilia avec intérêt. Si peu de maisons suisses nous proposent des traductions, et toujours Noir sur Blanc avec cette jolie collection très graphique, nous offre des romans que nous n’aurions pu lire nulle part ailleurs. Le livre de Mona Hovring fait partie de ces inclassables, inattendus, qui vous distraient et qui vous marquent, juste là. Là, où la fiction résonne avec votre vécu, là où les questionnements d’un personnage se font d’un coup les vôtres. Quel réconfort, même dans l’imaginaire, de vous dire que nous ne sommes pas seuls, et de loin, à traverser les mêmes périodes souffreteuses, et d’être rassurés sur le fait que oui, la vie, réelle ou inventée, nous réserve bien des surprises. Quand un roman s’offre un goût de vécu, c’est sûr, il sonne juste.

Éditions Notabilia – ISBN 9782882503787 – Traduction (norvégien) de Jean-Baptiste Coursaud