Poser son sac, comme on dépose les armes. Il y a des images qui émaillent des vies, des trains, des départs, des séparations, des déménagements. Des vies que l’on veut croire uniques et que l’on reconnaît pourtant — avec plaisir — dans les écrits des autres. Des voyages, des explorations, à la Kerouac, à la Bouvier. Si j’osais, à la Rubin. Il y a des textes, courts et incisifs, qui amènent à sourire de tendresse, car ils ravivent la douce nostalgie de ses propres découvertes. Il y a des livres qui font prendre conscience du chemin parcouru, des sentiers empruntés avec la même ferveur par ceux qui toujours — sans le savoir, sans y croire — suivront les traces de ceux qui les ont précédés. Il y a des enseignements, des désillusions, des déceptions, qui font de nous ce que nous sommes devenus. Adultes.
Ainsi, si les chemins sont parfois imprévus, la poursuite des chemins l’est encore plus : nous ne savons jamais à quoi nous en tenir. Nous sommes quelquefois univoques, souvent paradoxaux ou même contradictoires. Ce n’est que lorsque nous avons bouclé la route que nous idéalisons une harmonie des paysages passés. Nous oublions alors les directions prises, mais en inventons d’autres. Les chemins que je poursuis ne sont pas faits d’une autre terre.
Le goût des chemins, la bougeotte, les fourmis dans les jambes, Wanderlust. Et parce que le pays s’y prête, et que nous sommes en Suisse, c’est en train qu’Antoine Rubin circule. Seul vrai lien entre ses textes brefs, l’amour de ce qui va plus vite, qui nous mène d’un point A à un point B, d’un univers à un fantasme, d’une réalité à une expérience, doux confort de l’habitat connu qui pourtant fait avancer, le chemin de fer comme colonne vertébrale d’une vie qui ne demande qu’à se construire. N’allez pas croire que l’auteur se montre naïf, bien au contraire la maturité et l’élégance imprègnent ses mots. Hésitant, testant, le voilà pourtant sûr de lui quand il s’agit de retranscrire ce qu’il a appris.
J’ai pourtant tenu bon sur l’allée et au soleil éblouissant. J’ai tenu bon, car j’avais décidé, depuis plusieurs temps que je ruminais. J’avais choisi l’écriture, et la solitude nécessaire qu’elle impliquait. J’avais vu cette voie d’oliviers.
Et toi, tu dormais sans t’en soucier, belle comme au premier jour. Tu étais toujours plus belle quand j’étais sur le départ. C’était ton dernier visage qui me faisait revenir, tes joues plissées de sourire dans l’entrebâillement de la porte. Tu me disais toujours au revoir avec le visage serein, quand bien des fois tu m’as accueilli en colère ou en pleurs.
Voyager, c’est apprendre à choisir, s’orienter vers les décisions qui chambouleront notre lendemain. Voyager, c’est s’ouvrir. Dévorer les livres comme on dévorera un jour les bornes. Voyager, c’est ouvrir l’œil, et le bon, prendre conscience de la différence et du mal que l’homme fait autour de lui. Voyager, c’est se mélanger, à toute une faune hétéroclite, venue d’autres pays, d’autres cultures. Voyager c’est aimer, choisir de rester, de renoncer à repartir, pour rester près de celle, ou de celui, qui deviendra notre horizon. Pour les hommes aussi tendres et lucides qu’Antoine Rubin, chaque jour qui se lève est un voyage, chaque pierre posée sur l’édifice qu’il construit est une tentative, un essai. Son livre est un concentré de tous ses voyages, immobiles, philosophiques et erratiques. Wanderlust comme un mantra, comme une formule magique, pour celle qui ne parle pas l’allemand, et qui se souvient, et qui rêve encore. Merci pour l’échappée, l’ami.
Il faudra repartir, disait Bouvier
Parcourir les territoires
Arpenter les étendues
Marcher sur les villes
Sillonner les vallées
Franchir les torrents
Brûler le dur, disait London
Continuer la Route de Kerouac
Poursuivre les mirages qui dansent
Dormir sous les panneaux indicateurs
S’appuyer contre les bornes kilométriques
Graver des destinations
Et lever le pouce au hasard
Éditions Torticolis et frères – ISBN 9782970100447