Présenté comme ayant été récompensé par le Prix des écrivains genevois, il s’avère que c’est le manuscrit de Aujourd’hui dans le désordre, non encore publié donc, qui avait en fait reçu cette distinction. Voilà la prochaine étape qu’une réflexion intense, mais juteuse, m’a permis d’atteindre. La lecture du roman m’a tout autant demandé une concentration de tous les instants, car — de la brillante idée de faire naitre une auberge espagnole en plein milieu d’un improbable blizzard suisse — est né un récit qui part dans tous les sens, qui peine à faire sourire ou à captiver.
La table autour de laquelle patientent Anselme, Louise et Eudes Febvre a été débusquée d’’occasion le 16 octobre 1983 vers seize heures sur un marché aux puces. Centenaire, elle est un bel exemple du vernaculaire valaisan (a plusieurs fois dit Louise) et elle dispose de belles années devant elle puisqu’elle ne sera taillée en morceaux que le 17 avril 2067 à dix heures par le fils de Louise qui en aura assez de ces kilos de bois mort étouffant sa cuisine. Un samedi de 1986, elle fut installée au numéro 23 de l’avenue William-Favre, quatrième étage, appartement 41, par deux déménageurs italiens aux ordres de Géraldine Febvre, alors jeune maman. Pas dans la salle à manger, dans la cuisine : c’est la cuisine, le lieu d’une vie de famille.
Souffrant de tous les travers d’un premier roman, sans doute trop rapidement relu, le livre de Guillaume Rihs expose devant nos yeux circonspects une galerie de personnages aussi peu habités les uns que les autres. Le pompon revient tout de même au Muet, mais non sourd, qui depuis sa tablette interactive se lance dans un long exposé sur les différentes sortes de temps. Pour qui pour quoi me direz-vous ? Je n’en sais rien : sitôt lu, sitôt oublié. Vaguement je me souviens de réfugiés chinois ou d’une invraisemblable sculpture en terre (bronze ?) cherchée de pièce en pièce. Peut-être d’une Anglaise et encore moins certainement d’une Américaine. Le tout, dans le désordre, c’est un fait. En me forçant un peu, j’aurais comme le sentiment d’être passée à côté d’une sombre histoire de dates, qui avait certainement son importance. Mais je suppute, là encore. Et pourtant, je vous l’assure, je l’ai terminé.
L’idée-force du Manifeste de Mihail Gorski, qui fut rédigé en trois jours sur les bords de la mer Egée, se résume ainsi : à un moment donné de son histoire, l’humanité a fait fausse route. C’est ce qu’estime l’auteur. Quand au juste ? C’est à cette question que l’auteur a proposé de dédier son intelligence et sa fortune. Le Projet Gorski rechercherait, scientifiquement, patiemment et par l’expérience, cet instant qui fut, à titre individuel, la source de la nausée de l’auteur, à titre universel, la cause de la ruine du monde, comme si sa vie avait été une version accélérée de l’histoire. Mihail Gorski regrouperait autour de lui ceux qui, avec lui, souhaiteraient découvrir ce point d’équilibre entre le manque, qui fut longtemps la peine de l’homme, et l’excès, dans lequel Gorski et la civilisation s’étaient effondrés. Le Projet Gorski débuta le 1er juin 2015 et dès lors, chaque mois, les participants plongèrent d’une année dans le passé.
Alors oui, à l’extérieur s’agitent les éléments, à l’intérieur se mêlent les composants, mais de tout ce brassage ne nait qu’un malheureux ennui. S’agirait-il d’une simple farce dont l’humour ne m’atteint ni ne me dévaste ? Aucun des personnages en place ne semble se prendre au sérieux, et leur multiplication (ils finiront à 15, veuillez suivre) ne permet en rien de camoufler les brèches évidentes d’un scénario par trop vide. Pas d’intrigue, pas de suspense, sauf éventuellement pour qui se passionne pour le temps qu’il fait et les sempiternelles annonces météo qui passent à la TV. Au milieu, pourtant, une idée, à peine creusée, et c’est dommage, celle d’une secte de décroissants qui décide chaque année de supprimer l’une de nos avancées, technologiques — et non moins confortables. Un sain retour aux sources qui prouve que si Guillaume Rihs peine à canaliser son énergie, il possède tout au moins un matériau. En espérant que celui-ci sera exploité de façon féconde dans son second roman. Après l’hiver, le printemps.
Editions Kero ISBN 978-2-36658-176-8