30 ans à Paris

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Il est de coutume de représenter la Suisse comme une île. Il arrive parfois, pourtant, qu’un bastion helvétique arrive à s’implanter ailleurs. En l’occurrence en France. Cela ne s’est pas fait sans douleur, il aura fallu en convaincre du monde, surtout – bizarrement – côté Suisse. Et puis, se poseront et se reposeront les questions de la programmation, de la liberté de choix, des équipes en place. La longue interview de Martine Béguin revient avec brio sur ces questionnements, soulève des préoccupations qui ne trouvent pas forcément de résolutions, mais qui amènent élégamment à réfléchir sur le but du Centre Culturel Suisse. Quelle doit être son action ? Quelle image de l’Helvétie doit-il renvoyer en France ? Peut-on s’autoriser une exposition payée avec des fonds publics qui dénonce un certain pouvoir en place (mais n’est-ce pas le but de l’art) ? Peut-on privilégier une région linguistique, un art, ou un vecteur, au détriment d’un autre, quelle place pour la littérature, comment figer dans l’histoire les performances qui se veulent dans l’instant, instants qui trouvent leur place bien loin de Zurich ? Comment faire venir du monde, comment communiquer, comment être perçu en France, et en Suisse ?

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Finalement les questionnements autour d’une structure externalisée qui accueille un condensé de ce qui prend racine dans un pays pas si lointain ouvrent le champ à un regard politique. Question intéressante qui mériterait approfondissement. 30 ans à Paris ne s’arrête pas à ce qu’on aurait aimé faire du Centre Culturel Suisse, mais retrace aussi – à l’aide d’une timeline parfaitement orchestrée et illustrée – ce qui a été fait. Les grands noms s’alignent les uns auprès des autres, il y a de quoi être soufflé par ce que l’hôtel Poussepin a pu, au fil des années, proposer à son public. Des focus sur certains artistes viennent parfaire ce très bel ouvrage qui contient autant qu’il promet. Un anniversaire qui, c’est une certitude, fera date.

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Je m’inquiétais du chauvinisme qui aurait pu être latent dans un tel livre mais j’avoue qu’au contraire je suis heureuse de découvrir une Suisse ouverte sur le monde, fière de ses réalisations – c’est son droit le plus strict – mais surtout comblée de s’allier à un pays autre afin de créer et de donner à découvrir des forces tout entières tournées vers l’art. Surprise (et ravie) aussi d’apprendre les dissensions internes, les débats, bien loin de l’image d’Épinal du consensus suisse. 30 ans à Paris est donc un ouvrage qui se veut exhaustif, c’est réussi ; beau, c’est un fait ; de référence, c’est acquis ; idéal comme cadeau pour les fêtes, ça va de soi. Une petite parcelle de la Suisse en France, un pari tenu, une découverte qui donne envie de se plonger dans l’art, sous toutes ses formes, et de traverser les frontières, dans un sens comme dans l’autre.

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