L’Instant infime d’une respiration – Catherine Bex

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Martin. Facteur, marié, père de trois enfants. Banal, lambda, anonyme. Mais Martin a son truc à lui : il court, comme un fou. Le plaisir de gagner, de se dépasser, de souffrir. Après quoi court-il ? La bonne vieille blague. Catherine Bex nous raconte, sobrement, chirurgicalement. Au lecteur d’imaginer le reste. Bien sûr, Martin ne va pas se contenter d’enchaîner les semi-marathons le week-end, il n’y aurait pas de roman sinon, et encore moins de fait divers, réel, dont s’est inspirée cette fiction. Martin va se mettre à croire. Comme toujours excessif, et bien trop rapide pour être suivi, il va nous emmener dans des chemins où personne ne veut mettre les pieds. Son sacrifice ne suffisait visiblement plus, il va offrir ce qu’il possédait de plus cher.

Martin est un papa attentif. Peut-être parce qu’il a peu connu son propre père, mort alors qu’il n’avait que six ans, il en fait parfois trop et surprotège ses trois enfants. Il se lève chaque nuit pour vérifier qu’ils dorment profondément, que la couverture n’a pas glissé et ne les empêche pas de respirer. Elle ne compte plus les fois, Sylvie, où elle l’a retrouvé penché au-dessus du berceau, inquiet, le visage en souffrance pour capturer l’instant infime d’une respiration, d’une inspiration légère de la cage thoracique, d’un menu soupir ou d’un mouvement des doigts qui se resserrent pour saisir un hypothétique doudou. Elle a souvent dû le rassurer par quelque baume verbal, doux, réconfortant, ou poser une main sur son épaule pour le détourner de ses sombres inquiétudes.

Peu de suspense dans ce court roman, le lecteur devine très vite dans quel type d’histoire il a mis les pieds. Peu d’explications aussi, mais peut-on expliquer l’inexplicable ? Malgré tout l’envie de continuer, de suivre le rythme, d’aller au bout des limites de son imagination. L’Instant infime d’une respiration se lit d’une traite, d’une foulée rapide, peu de place pour les pauses salutaires, l’auteure aime les textes ramassés. La quatrième nous parle d’une folie, sans doute pourrions-nous penser à un burn-out, au stress de haut niveau qui fait perdre les repères, éloigne la réalité, à la fatigue accumulée qui peu à peu fait dégringoler l’homme qui jusqu’à présent se voulait exemplaire. Martin n’est pas un grand bavard, et ça ne s’arrange pas. Il prend goût à ses conversations à sens unique avec Dieu. Il s’isole, délire, déconne.

Il se bat contre lui-même, Martin, explore ses limites, sans cesse les repoussant, agrandissant, continuellement son champ de force. Il aime se flageller, car cette maîtrise des muscles, des tendons, de chaque centimètre de sa chair se révèle jouissive, forcenée, maladive et compulsive. Il a besoin de cette sensation de toute-puissance. Dépendant à l’effort. Existant dans et par l’émulation. L’échec lui est mortifiant. Martin ne supporte pas la défaillance, sa déficience. Sa nullité lui est odieuse Mieux vaut encore la souffrance que son insuffisance.

L’Instant infime d’une respiration est le premier roman de Catherine Bex. Mais là où le sujet, poignant, aurait sans doute mérité une course de fond, l’auteure nous livre un 10 km. Martin, si rond, si lisse, si banal, devenu si fou, si agressif, si dangereux, ne donne pas les clefs pour le comprendre. J’assiste à la souffrance de son épouse, qui s’inquiète sans réussir à trouver de solution. Je vois les enfants, heureux, insouciants, se chamailler sans penser à demain. J’entends le bébé qui pleure, puis qui apprend – tout petit pourtant – à se faire discret. J’assiste, je vois, j’entends, mais je ne comprends pas. Et qu’attend-on d’un livre qui parle de l’horreur, à part une lueur de compréhension ? Courir, d’accord, mais après quoi ?

Éditions L’Âge d’homme