Le Parfum des hommes – Kim Su-bak

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C’est une histoire vieille comme le monde que nous raconte Le Parfum des hommes, celle du pot de terre contre le pot de fer. Mais – bien que prenant la forme d’une bande dessinée – c’est aussi une histoire vraie, celle de Hwang Sang-ki, modeste chauffeur de taxi, qui va tout faire pour que la leucémie de sa fille soit reconnue comme maladie professionnelle. La jeune Yumi, tout juste sortie de terminale, avait pris la décision de ne pas continuer ses études afin de travailler et gagner ainsi de quoi payer celles de son petit frère. Embauchée par Samsung, fierté nationale coréenne, comment aurait-elle pu se douter que deux ans plus tard elle se retrouverait dans une chambre stérile en train de dépérir ?
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On chantonne des slogans en famille, on n’ose pas ennuyer les autres avec ses problèmes, c’est un monde différent forcément, c’est la Corée, et pourtant, qui peut nier qu’ici aussi, de ce côté ou de l’autre de la frontière, il soit plus compliqué de se faire reconnaître un cancer lié à des substances dangereuses qu’un poignet foulé sur son lieu de travail ? Il est triste de comprendre combien notre société et les rapports entre les membres de celle-ci reposent uniquement sur des questions de gros sous. Mais il est surprenant de constater à quel point l’image de Samsung et celle de la Corée sont imbriquées. Comme le précise très justement notre reporter dessinateur Kim Su-Bak, les Coréens développent le lien familial par le biais de la consommation, si celle-ci – à tous les niveaux : assurances, TV, courses – en met plein les poches à l’Entreprise phare, alors tout le monde s’estime heureux. « Si Samsung fait faillite, la Corée subira le même sort » comme on l’entend partout. Le vendeur qui menace ses clients de tout perdre s’il ferme, le comble. Il n’y a sans doute pas à gratter beaucoup pour découvrir, en Suisse comme en France, de telles entreprises quasiment souveraines et certaines, pour le moins, de pouvoir compter sur le coup d’éponge des politiciens ou autres institutionnels.

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Bref, revenons-en à Sang-ki qui a bien du mal à faire entendre sa colère après le décès de Yumi. Les journaleux craignent de ne plus bénéficier du budget publicité de Samsung, le service du personnel refuse purement et simplement de reconnaître un lien de causalité, quitte à maquiller quelques rapports ou à proposer des sommes de plus en plus délirantes, les politiques ont bien trop peur de ternir l’image du Géant, même les policiers ne semblent pas très francs du collier. Mais Hwang père va se battre, réussir à convaincre certains journalistes un peu plus probes que leurs confrères, à trouver des témoignages, d’autres victimes précoces de cancers, à mobiliser quelques commissions. Est-ce que Le Parfum des hommes finit bien ? Non. Yumi est morte. Car elle a fabriqué pendant deux ans les semi-conducteurs qui se retrouvent dans nos portables et autres natels. Une BD, pour adultes, qui pousse, sinon à la consommation, du moins à la réflexion.

Éditions Atrabile