Amandine Glévarec – Cher Daniel, nul doute que nos lecteurs vous connaissent, vous êtes l’un des meilleurs spécialistes de la littérature suisse romande, et associé à bon nombre de projets. Comment arrivez-vous à trouver le temps d’écrire des romans, en plus de toutes vos autres activités ?
Daniel Maggetti – Il est vrai que l’écriture « professionnelle » m’occupe beaucoup. Du coup, je n’ai que peu de temps à consacrer à des projets de création, plus personnels et dans lesquels il est indispensable de s’investir autrement. Dans de telles circonstances, je n’envisage l’écriture et la publication de récits ou de romans que lorsqu’elle s’impose vraiment à moi, pour des raisons de nature intime. Du reste, c’est seulement ainsi que je peux espérer achever un projet : il faut qu’il soit assez important pour que je le réalise coûte que coûte.
A. G. – Vous êtes originaire du Tessin mais écrivez en français. Est-ce un choix qui s’est imposé de lui-même ? Pourriez-vous envisager de traduire vous-même vos écrits, comme c’est le cas par exemple pour Pierre Lepori ?
D. M. – Le français s’est imposé doublement. Tout d’abord, parce que j’ai choisi d’étudier la littérature française, et que je me suis spécialisé dans ce domaine. Ensuite, le fait de recourir à une autre langue que ma langue maternelle – ou plutôt que ma langue première, puisque ma langue maternelle n’est pas l’italien, mais le dialecte tessinois – m’a obligé à mettre en quelque sorte à distance l’expression, par rapport à une (trop) grande facilité de rédaction qui serait mon premier défaut. Il en résulte, du moins je l’espère, une conscience de l’écriture qui est à mes yeux de première importance. Je n’imagine pas traduire mes textes moi-même : je rédige parfois en italien, mais j’estime ne pas ou ne plus avoir la compétence suffisante pour parvenir à un résultat qui me satisferait. Et de toute manière, si je choisissais cette voie, je ne traduirais pas : j’écrirai tout autrement, pour des raisons de logique de la langue, justement.
A. G. – Dans La Veuve à l’enfant, vous avez néanmoins conservé toute une partie du vocabulaire en italien – et fait le choix de ne pas proposer de traduction au lecteur. Était-ce important pour camper le décor, ou par respect pour ces régions si particulières ?
D. M. – Ce n’est pas seulement, voire pas du tout, une question de décor ou de fidélité au monde rendu, mais bien une question de langue, une ambition esthétique. Je ressens très fortement l’impossibilité de trouver des équivalents pour certains termes, très connotés, qui désignent de manière spécifique un objet ou un sentiment – sans compter la force de la sonorité des mots, elle aussi impossible à passer dans un autre idiome. Du coup, on est souvent entre les langues, comme le sont généralement les bilingues, ceux qui viennent d’autres cultures, ou ceux qui les additionnent. Ce métissage est caractéristique de mon expression, même au quotidien. Proposer une traduction, même en fin de volume, serait pour moi offrir une béquille inadéquate. Et que l’on ne comprenne pas forcément tout ce qui nous est dit n’est pas grave : cela nous arrive tout le temps dans nos villes, rien que dans les transports publics.
A. G. – Votre dernier roman met en scène un prêtre et le dialogue qu’il entretient avec sa servante, Anna Maria. L’histoire de la vie de cette dernière – et des membres de sa famille – est inspirée de faits réels. D’où vous vient l’envie de raconter cette histoire ? Le travail de recherche pour restituer le décor historique – en particulier la vague d’immigration tessinoise vers l’Australie – a-t-il été important ?
D. M. – J’ai travaillé de nombreuses années, de manière épisodique, sur les archives qui constituent l’arrière-plan de l’histoire que je raconte. J’ai un lien identitaire très fort avec la région où elle se situe, et ma curiosité était grande de rechercher la part de réalité contenue dans les récits que j’avaisi entendus depuis mon enfance. C’était là le premier moteur ; il a fallu ensuite trouver une manière d’organiser cette matière sur un plan plus littéraire, en la mettant, une fois encore, à distance, en la stylisant, aussi, et en se détachant d’un déroulement linéaire des faits.
A. G. – Vous aviez fait paraître chez L’Aire l’excellent Lectures conseillées. Si vous deviez recomposer cette anthologie aujourd’hui, oseriez-vous l’ajout de quelques contemporains ? Restez-vous attentif aux sorties actuelles ? Suivez-vous l’actualité de certains auteurs plus particulièrement ?
D. M. – Cette anthologie ne comprenait que douze extraits d’auteurs, le volume étant calqué sur le cycle des mois de l’année. Il y avait déjà des contemporains, pas uniquement des auteurs du passé : Jacques Roman, Jean-Luc Benoziglio, Claude-Inga Barbey, notamment. Si je reprenais un projet du même type, j’adopterais sûrement un plan moins strict, qui me permettrait en effet de donner plus de place à des auteurs d’aujourd’hui. J’essaie de lire la majorité des ouvrages d’écrivains de Suisse romande qui paraissent, de me tenir au courant de l’actualité, aussi bien par intérêt personnel que par nécessité professionnelle.
A. G. – Vous aviez reçu le prestigieux prix Michel-Dentan en 1998 pour Chambre 112. Une telle reconnaissance a-t-elle été importante pour vous ?
D. M. – Cette distinction m’avait fait très plaisir, bien entendu. On est forcément content de constater que son travail est apprécié par des lecteurs de qualité, c’est un encouragement à poursuivre.
A. G. –Question subsidiaire : trouvez-vous le temps de lire des écrivains non suisses ?
D. M. – Oui, je lis beaucoup d’auteurs de langue italienne (en italien), et je m’efforce de continuer à suivre l’actualité littéraire française, quoique de manière non systématique, et en privilégiant certains auteurs.
A. G. – Question subsidiaire toute personnelle : rendez-vous le 5 septembre à 16h30, cher Daniel ?
D. M. – Oui, peut-être même avant ?