Amandine Glévarec – Cher Damien, La Lune assassinée a été acclamée par la critique et a reçu plusieurs prix, j’imagine qu’un tel succès pour un premier roman est un plaisir incomparable, mais que cela crée aussi un stress incroyable quant à l’accueil réservé au deuxième. Comment avez-vous vécu ce succès, puis l’écriture des Mille veuves ?
Damien Murith – Effectivement, c’est un grand plaisir, et je dois vous avouer que je ne m’y attendais absolument pas. Les prix sont venus les uns après les autres ; ma femme, que je remercie, était là pour veiller à ce que ma tête garde une circonférence raisonnable…
Un peu stressé, effectivement. J’ai écrit Les Mille veuves au plus près possible de ce que j’avais envie de dire, non pas en réfléchissant à ce que la critique allait en penser, mais plutôt comme si je l’écrivais pour moi. Écrire est un plaisir, et doit le rester.
L’écriture des Mille veuves a été assez rapide car cette histoire me trottait dans la tête depuis pas mal de temps. Je voulais une histoire de mer, mais une mer froide et noire, une mer hostile contre laquelle des femmes, des hommes se battent. J’ai inventé cette mer avec des souvenirs d’enfance sur les plages du Danemark, de la Suède, du nord de la France.
A. G. – Nous retrouvons dans Les Mille veuves un style proche de celui de La Lune assassinée, et des personnages qui se croisent. Doit-il se lire comme une suite (la quatrième mentionne d’ailleurs une trilogie) ou peut-il se lire indépendamment ?
D. M. – C’est une trilogie d’ambiance, de forme, elle est la vie, le combat de trois femmes évoluant dans trois univers différents. Les Mille veuves n’est en aucun cas la suite de La Lune assassinée et le troisième volume ne sera pas non plus la suite des Mille veuves. Chacun peut donc se lire de manière totalement séparée.
A. G. – Les existences des femmes que vous décrivez dans vos deux livres ne sont que rarement heureuses. La violence finit toujours plus ou moins par découler de l’amour. Pourrait-on dire que vous tenez un discours réaliste, peut-être même féministe ? Pourquoi vous intéresser plus particulièrement à des histoires de femmes ?
D. M. – Ce n’est pas un discours réaliste ni féministe. L’amour et la peur sont, à mes yeux, les émotions les plus fortes. La peur de perdre l’amour est insupportable. Et c’est ce thème que j’ai travaillé. Plus que « la femme », c’est la relation de couple qui m’intéresse, la jalousie, l’enfermement, l’acharnement, le doute, mais aussi le bonheur, l’espoir, les rêves, tout ce qui fait, tout ce qui défait le couple, tout ce qui le soude, le déchirent. Personnellement, j’ai une vision très positive du couple ; le mien fonctionne d’ailleurs à merveille !
C’est une trilogie qui raconte la vie de trois femmes, mais comme dit plus haut, elle est un des personnages de l’histoire, et non pas le centre unique car les hommes ont un rôle très important également. Je les vois vraiment comme deux éléments qui occupent dans l’histoire un rôle quasi égal. Cependant, je vous l’accorde, les lumières sont souvent dirigées vers les personnages féminins. Pourquoi ? Peut-être parce que dans mon expérience de vie, elles représentent la force, le courage, elles sont celles qui veillent, qui redirigent lorsqu’on s’égare.
A. G. – Votre écriture est tellement particulière qu’elle se rattache pratiquement à de la poésie. Est-ce une volonté de mêler les genres, ou est-ce que les mots vous viennent ainsi ? Seriez-vous en mesure d’écrire des romans très différents, au niveau du style ?
D. M. – Je n’aime pas ce cloisonnement des genres. La poésie est partout, elle est l’envie d’aller vers le beau. Je n’écris pas en me disant que je fais de la poésie ou de la nouvelle ou encore du roman, je choisis les mots, les phrases qui seront au plus près d’une description, d’une émotion, et si le tout devient poétique, alors j’en suis très heureux.
Je ne sais pas si je peux changer de style, je n’ai pas encore essayé. Le style est la langue de l’écrivain ; le mien me permet de raconter des histoires, j’en suis donc assez satisfait.
A. G. – Je suis assez curieuse de connaître vos influences littéraires, car contrairement à certains auteurs où l’on peut deviner ce qu’ils ont lu, avec vous rien n’est aussi clair.
D. M. – Je vais malheureusement vous décevoir : je n’ai pas d’auteurs phares. Je dirais plutôt que certains romans, certains vers m’ont mis à terre. Je pense aux Raisins de la colère de Steinbeck, je pense à La Route au tabac de Caldwell, à La Pleurante des rues de Prague de Sylvie Germain, à plusieurs romans de Zola, à Salle 6 de Tchékhov, au Parfumainsi qu’à La Contrebasse de Süskind, à La Prose du Transsibérien de Cendrars, à Hugo Pratt, et à ce vers de Maïakovski : « Comment osez-vous vous prétendre poète, et gazouiller comme des pinsons ! Alors qu’aujourd’hui il faut s’armer d’un casse-tête pour fendre le crâne du monde ! »
À vrai dire, la peinture m’influence davantage que la littérature. Schiele, Munch, Modigliani, Chagall ou encore Soutine pour n’en citer que quelques-uns. En fin de compte c’est une influence de tout instant, une couleur, un portrait, un paysage, une phrase, un mot peut faire surgir une idée et influencer la manière de la poser sur le papier. Soupault, si je ne me trompe pas, disait qu’il aurait voulu ne jamais rien avoir lu, pour avoir un style unique. Pour ma part, c’est trop tard.
A. G. – La campagne que vous décrivez est terrible. En quoi est-ce là le fruit de votre expérience personnelle ? Faut-il décrire des choses difficiles pour faire vibrer son lectorat ?
D. M. – La campagne que je décris dans La Lune assassinée est terrible car de nombreuses scènes sont poussées à leur paroxysme dramatique. C’est l’ambiance du texte, son souffle, qui la transforme en un lieu infernal. Dans Les Mille veuves, cette même campagne est totalement différente, elle est calme, rassurante. Il n’y a aucune expérience personnelle, tout n’est que fiction. Vous savez, j’habite à la campagne, au milieu d’une petite forêt, et il n’y a pas, à mes yeux, plus bel endroit pour vivre.
Non, je ne pense pas qu’il faille décrire des choses difficiles. Je pense qu’il faut décrire des choses avec justesse.
A. G. – Dans Les Mille veuves, la mer devient l’élément extérieur prépondérant, indomptable et cruel. Pour autant que La Lune assassinée prenait place en Suisse, Les Mille veuves ne le peuvent pas. Mais finalement, donner à votre lecteur des indices de temps ou de lieu, est-ce quelque chose qui vous importe ou visez-vous l’universel en ne précisant rien ?
D. M. – Je ne donne pas d’indices de temps ni de lieu car alors je serais enfermé dans des détails chronologiques et géographiques. Je veux garder une totale liberté d’écriture, inventer le cadre de mon histoire ainsi que je le vois. Le troisième volume n’en contiendra pas non plus.
A. G. – Vous travaillez par ailleurs comme enseignant, arrivez-vous toujours à trouver du temps pour écrire ? Cela vous vient-il d’une traite ou êtes-vous un écrivain qui reprend sans arrêt son manuscrit jusqu’à trouver la formule juste ?
D. M. – J’écris par petits moments volés, quelques phrases sur un bout de papier, dans un cahier. Je suis de toute façon incapable de m’asseoir à une table et de me dire : « Maintenant j’écris pendant deux heures ! »
Je suis de ceux qui reprennent sans cesse, cela devient presque pathologique ! Je lis à haute voix pour mieux sentir le rythme des phrases et si ça sonne faux, je reprends. C’est un jeu, comme un casse-tête.
A. G. – Question subsidiaire : le troisième volume de votre trilogie sera-t-il prêt pour la rentrée littéraire de 2016 ? Quels seront vos projets à suivre ?
D. M. – En 2016 ? Réponse normande… J’en ai écrit quelques pages qui me plaisent, d’autres moins, je ne me mets pas de pression.
J’ai un projet en tête, oui, mais il paraît que d’en parler porte malheur, donc silence…