Le Sous-bois – Anne-Frédérique Rochat

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Le Sous-bois d’Anne-Frédérique Rochat met l’accent sur un type précis de personnage auquel on s’intéresse généralement peu en littérature : la vieille fille. Celle qui va se convaincre (dans les mauvais jours) qu’elle n’a pas eu le choix ou (dans les bons jours) qu’elle a fait ce qu’il fallait. Bien que. S’occuper de ses parents, qui a priori – amoureux comme au premier jour – auraient très bien pu se passer d’elle, de sa jeune sœur qui – visiblement – n’est pas prête à suivre le même chemin que son aînée, comprendre qu’au final tout ce petit monde tournerait très bien même si elle n’en faisait plus partie. Pas évident. Et surtout, surtout, subir cette frustration (sexuelle, oui, oui) alors que ses géniteurs s’envoient en l’air aussi souvent que bruyamment, et que sa cadette confie à son journal ses premiers émois amoureux. L’horreur.

Encore aujourd’hui, en repensant à cette histoire, à mon histoire, la seule histoire que j’ai eue, celle qui aurait pu changer ma vie, j’ai le cœur qui tremble. Il m’était impossible de dire oui, pourtant je l’aimais, je l’aimais comme je n’aimerai plus jamais, je le sais, je l’ai senti à l’instant même où je suis partie en courant.
Je ne pouvais pas laisser ma famille. Fantine avait besoin de moi pour s’occuper de Diane, en quelques mois elle était devenue ma petite fille, mon bébé ; Virgile avait besoin de mon aide pour tenir la boutique : partir, c’était les trahir, je ne pouvais pas l’imaginer, je n’aurais pas pu le supporter.

Charlène éveille en nous des sentiments contradictoires. D’un côté, elle est clairement à plaindre, cette vie sacrifiée au nom d’on ne sait trop quoi, cette vie de solitude et d’abandon, ce besoin éperdu de reconnaissance. Mais comment ne pas la trouver pathétique, voire agaçante, à la voir jouer sa despote avec cette famille qui – incapable de lui fournir toute la dose d’amour dont elle a besoin – s’en prend plein la tête pour pas un rond. Les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires, on le comprend vite, d’un sentiment louable de renoncement peut naître une frustration destructive, on l’apprend vite. C’est la vie, et celle de Charlène nous est plutôt bien décrite par Anne-Frédérique Rochat.

Une fois le baiser donné, rapide, mécanique, elle rentre dans la maison. « Des baiser, des baisers » quémandait-elle tout le temps en tendant les lèvres. Quelqu’un m’aurait-il volé ma Diane pour la remplacer par une autre ? Et puis les chatouilles, comme elle aimait les chatouilles ! Elle riait tellement fort qu’elle finissait par attraper le hoquet. Je me souviens aussi des belles nuits d’orage où elle venait se réfugier dans mon lit, elle s’agrippait à moi, je lui soufflais sur les cheveux, elle frottait ses pieds contre mes mollets, nerveusement, je lui chuchotais des mots réconfortants.
Aujourd’hui, elle n’a plus peur de l’orage.
C’est peut-être un peu grâce à moi, ou à cause de moi. Mais on n’enferme pas les gens qu’on aime dans la peur, juste pour les garder auprès de soi. Ça ne se fait pas.
En tous les cas, ça ne s’avoue pas.

Comment va réagir notre maîtresse-femme sans amant quand sa petite sœur adorée, sa presque fille, va vouloir en prendre un, d’amant ? Comment Charlène ripostera-t-elle quand son petit monde, le seul qu’elle connaît, le seul qu’elle croit contrôler, va risquer de s’effondrer ? Mal, on s’en doute. La tension dramatique est respectée, tout en finesse, la rigolade tourne bientôt au psychodrame, le comique des vacances ratées en famille vire au portrait psychiatrique, et c’est là tout le charme de ce roman. Un simple regret, pour ma part, pour cette fin un peu too much dont je vous laisse le plaisir (l’angoisse ?) de la découverte.

Éditions Luce Wilquin