Amandine Glévarec – Quentin, votre premier livre – Au point d’effusion des égouts – est paru en 2011 alors que vous aviez 22 ans. Quel rapport entreteniez-vous avec l’écriture, et avec la lecture, lorsque vous étiez adolescent ? Le besoin d’écrire s’est-il fait ressentir très jeune ?
Quentin Mouron – J’ai toujours écrit et lu, du moins depuis que je sais lire. Mais je crois que c’est le lot de beaucoup de mômes, si tant est qu’ils aient un semblant d’imagination, de fantaisie. C’est devenu plus conscient entre 15 et 16 ans. J’ai alors commencé à dévorer les classiques, plus ou moins au hasard, avec une prédilection marquée pour les œuvres de Sade, de Flaubert, d’Oscar Wilde. J’ai ensuite découvert Proust et Céline. Ce dernier m’a marqué. J’ai d’abord fait de mon mieux pour m’engouffrer dans son sillage, empruntant maladroitement l’argot célinien et ses phrases en petites lames tranchantes. Le résultat n’était pas terrible ! Pour autant, j’ai eu un aperçu de ce que l’on peut ouvrir comme possibilités, en laissant tomber la phrase « classique ». Je lisais énormément quand j’avais dix-sept ans, sans doute plus qu’aujourd’hui… Mais c’est qu’aussi je m’emmerdais passablement au gymnase, du coup au lieu d’aller en cours j’allais me poser dans la bibliothèque – ou au bistro – avec un livre.
A. G. – Quelles ont été les démarches nécessaires pour permettre à votre premier livre de voir le jour ? Comment avez-vous rencontré Olivier Morattel qui est devenu votre éditeur ?
Q. M. – Je l’ai réécrit trois ou quatre fois, sous ma propre impulsion d’abord, puis sur celle de mon éditeur. La version qui est parue n’a pas grand-chose avoir avec celle d’origine ! Je ne suis pas certain d’en avoir conservé ne serait-ce qu’une seule phrase… Olivier Morattel n’est pas le premier éditeur que j’ai rencontré, ni que j’ai contacté. Mais il a été le premier à me donner sa confiance, à me dire « vas-y ». Nous avons fait connaissance dans un bar, pendant une lecture de Pierre Yves Lador.
A. G. – Au point d’effusion des égouts a rencontré un grand succès en Suisse romande, et le second (Notre-Dame-de-la-Merci) a été publié en France, au Québec et en Belgique. Comment vit-on une telle reconnaissance, quasi immédiate, surtout si jeune ?
Q. M. – Quand vous êtes seul face à votre ordinateur ou à vos carnets de notes, en train de peser et repeser une phrase, ça vous fait une belle jambe de savoir que votre livre s’est vendu à plusieurs milliers d’exemplaires ou que tel ou tel critique voit en vous le « nouveau-je-ne-sais-qui ». Mais la sensation est agréable, je ne le nie pas. L’ego est flatté. Ce qui est étrange, c’est que plus on parlait de moi et plus j’avais l’impression d’être seul. Ça ne me dérange pas d’ailleurs : fréquenter les gens m’est, de fait, de plus en plus pénible. Je suppose que cela a trait avec la nature même de l’écriture. Donner une forme à quelque chose, c’est pénible, il faut beaucoup de concentration, de rage, de haine parfois ; avouez que tout ça s’accorde mal avec les cafés et les petites bières que l’on enchaîne en société, avec les discussions de terrasse à propos du temps qu’il fait ou de l’appartement qu’on aimerait sous-louer…
A. G. – Votre troisième livre – La Combustion humaine, publié en 2013 toujours chez Olivier Morattel Éditeur – offre une vision assez cynique du monde de l’édition genevoise. Avez-vous forcé le trait ou votre personnage offre-t-il une vision assez proche de la vôtre ? N’avez-vous pas appréhendé l’accueil du « milieu » ?
Q. M. – Je n’ai pas forcé le trait. Mais je ne suis pas assez naïf pour croire que le réalisme absolu, au sens de « rendu objectif de la réalité » soit possible. C’est un trait net, pas forcé, mais toujours c’est mon trait. Quant à l’accueil du milieu, non, pas vraiment. Je n’ai jamais d’inquiétude relative à la réception de mon travail, quand j’écris. Les appréhensions viennent plutôt au moment de la sortie, c’est-à-dire quand il est déjà trop tard ! Et puis, entre nous, je n’avais rien à perdre… Je n’étais pas « installé » et je n’ai jamais touché ni bourse, ni prix. La reconnaissance me vient du public, non de je ne sais quelle poignée de spécialistes, de fonctionnaires. Je me débrouille tout seul. Assez mal parfois, il est vrai, mais tout seul quand même !
A. G. – Vous venez d’être publié en France, voulez-vous nous en dire plus sur ce nouveau livre ?
Q. M. – Exact ! J’ai signé à la Grande Ourse. Les choses se passent très bien. Ce nouveau livre est différent des précédents et, à mon avis, bien supérieur. C’est, en outre, le plus accessible de mes bouquins.
A. G. – Pourquoi avoir choisi le genre du roman noir ?
Q. M. – L’idée de ce roman me travaille depuis longtemps… Le personnage de Franck est un vieil ami si j’ose dire, plus encore : une manière d’ombre poisseuse qui me suit et me colle depuis l’adolescence. Il lui fallait une certaine dimension… D’où les États-Unis, d’où l’intrigue, d’où les rebondissements, d’où le sang, d’où l’orgie… Tout procède du personnage de Franck. Je ne sais pas si je suis parvenu à écrire un vrai polar, mais je suis convaincu d’avoir réussi à poser un personnage qui vous hantera longtemps.
A. G. – Vous êtes par ailleurs chroniqueur dans divers quotidiens suisses et désormais billettiste chez BeCurious TV, est-ce que changer de format ou de support modifie le rapport à l’écriture ? Comment travaillez-vous concrètement ?
Q. M. – C’était pénible, au début, d’être limité à un nombre de signes donné… Et puis, j’ai pris l’habitude. C’est vraiment quelque chose que je fais avec plaisir, tant par écrit qu’à la télévision. En plus les retours sont positifs, tant de la part des rédactions pour lesquelles je travaille que de la part du public. Les politiciens que j’égratigne sont un peu moins enthousiastes, bien sûr.