Entretien avec Vivienne Baillie

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Amandine Glévarec – Vivienne, je crois que tout a commencé pour vous – littérairement parlant – par la rencontre d’un poète dans une rue de Dublin. Voulez-vous nous en dire plus ?

Vivienne Baillie – Je ne peux pas dire que tout a commencé littérairement parlant par la rencontre d’un poète à Dublin. C’est vrai que cette rencontre a été décisive dans ma vie pour beaucoup de choses, pour des décisions importantes relatives à ma vie de femme en l’occurrence. Le poète en question a été d’un soutien inestimable toutefois quant à mon écriture. Ça, oui.

A. G. – Jusqu’en 2005, quels étaient vos rapports à l’écriture, mais aussi à la lecture ?

V. B. – J’ai toujours écrit. J’ai toujours lu. Sans toutefois dévorer les livres. Dans ma jeunesse, beaucoup de contes et de poésie, et cette littérature typiquement anglo-saxonne qu’est le « nonsense » représenté par Lewis Caroll, Edward Lear et Dr Seuss par exemple.

Le mot a toujours eu une place très importante dans ma vie. Aujourd’hui, c’est une respiration. Une nécessité. En écrivant, je me sens chez moi. Je me sens moi. Au fond, je me sens vivre vraiment. Dans une certaine mesure, d’ailleurs, je peux dire que je vis des mots, de mon écriture, par le biais d’articles de vulgarisation scientifique que je rédige, entre autres formes d’expression de vulgarisation, telles que les contes et les pièces de théâtre.

Il s’est trouvé qu’autour de cette période 2005 que vous mentionnez, il y a eu plusieurs événements dans ma vie – décès d’amis proches, fragilité psychique dans la famille, profonde remise en question personnelle – qui m’ont bouleversée et ont fini par bouleverser ma vie aussi. Il était devenu vital que je mette de l’ordre dans ce chaos, sans quoi j’avais peur de sombrer moi. Cela s’est très naturellement exprimé par les mots. Par le biais de courts récits.

A. G. – Vous avez alors commencé à écrire des nouvelles, avez pris contact avec des éditeurs puis finalement décidé de lancer votre propre maison d’édition – Rouge écarlate. Comment expliquer avec le recul ce parcours et cette décision ?

V. B. – À aucun moment je n’avais songé à la publication de mes nouvelles. Je les écrivais, les partageais avec des amis qui, eux, les partageaient plus loin. Et, le temps passant, des personnes que je ne connaissais pas m’envoyaient des lettres très touchantes, parfois bouleversantes, me faisant part de leurs émotions à la lecture de mes mots. J’envoyais aussi mes nouvelles à la RTS où on les lisait régulièrement.

C’est alors que j’ai décidé d’en envoyer aux principaux éditeurs ici en Suisse romande. Tous m’ont encouragée à continuer à écrire. Un éditeur a même proposé de me publier mais les choses ont tourné autrement. Cette même année, j’ai écrit un conte en anglais, The Poet, en ai fait un livre qui a été vendu en Irlande où il a été remarqué par un libraire. Peu après, en septembre 2007, il a été sacré livre de la semaine dans le Galway Independent. Une année plus tard, j’ai gagné un prix pour la nouvelle, lancé par le magazine féminin suisse romand Profil.

Tous ces signes autour de mes mots étaient pour moi très encourageants. En même temps, je sentais bien cette réticence des éditeurs. C’était sans aucun doute cet étrange écart d’appréciation pour mon écriture entre les éditeurs et mes lecteurs, ainsi qu’une saine, je crois, méconnaissance de ce qui « se fait » dans le milieu littéraire qui, en 2009, m’ont poussée à fonder une maison d’édition par le biais de laquelle je publie mes propres écrits. Chose que j’ai pu faire grâce à un petit héritage et la généreuse somme gagnée pour le prix de la nouvelle.

A. G. – Être éditrice comporte des responsabilités bien différentes de celle d’un écrivain, comment gérez-vous toutes les étapes de la production d’un livre ? Quels sont les aspects qui vous enchantent le plus, et ceux qui vous ennuient ? 

V. B. – J’ai un immense plaisir à suivre la publication d’un livre, et je le fais du début jusqu’à la fin. C’est sans aucun doute aussi pour cette raison que fonder une maison d’édition me semblait être une étape relativement naturelle. J’aime le livre en tant qu’objet et je m’entoure de professionnels, surtout de personnes qui aiment leur travail, avec qui j’ai beaucoup d’échanges tout au long de la « production ».

Une personne s’occupe de la relecture de mes textes. Un graphiste crée chaque couverture ; dans le cas de Rouge écarlate, chacune est dessinée à la main. Puis je suis de près le travail avec l’imprimeur – le choix du papier pour l’intérieur du livre et pour la couverture, le choix de couleurs, les premiers essais d’impression. Les livres Rouge écarlate ont des reliures cousues… Tout cela est coûteux – surtout en Suisse. Mais je tiens à ce que ce soit des gens d’ici qui travaillent avec moi. Pour l’heure, pour des histoires de coût justement, je m’occupe de la mise en page de l’intérieur du livre.

Rouge écarlate est, en effet, une maison d’édition à part entière. Elle a son numéro ISBN et déclare ses publications à Prolitteris. Il y a des règlements auxquels chaque maison d’édition doit se tenir et auxquels Rouge écarlate se tient bien sûr aussi, comme par exemple l’envoi de livres aux bibliothèques cantonale et nationale dès la sortie d’un nouveau livre. Elle a une comptabilité qu’il faut tenir, aussi petite soit-elle. Et tous les mouvements doivent être déclarés chaque année. Il faut bien sûr s’occuper des commandes qui parviennent par le biais du site, le « mailing list », les librairies ou le distributeur. Il faut alors préparer les paquets, établir des factures, envoyer les livres… C’est la partie administrative qui manque cruellement de créativité et qui est, pour moi, forcément ennuyeuse.

Là où Rouge écarlate peine un peu est la communication… L’envoi des nouveaux livres aux quotidiens, la participation à des salons du livre, etc. Il m’est très difficile de trouver l’énergie, voire même le sens à ça, surtout lorsque c’est moi qui signe les livres… On découvre Rouge écarlate petit à petit. Chaque année un peu plus. Essentiellement par le bouche à oreille ou alors par le biais d’émissions à la radio auxquelles j’ai eu la chance d’être invitée et par quelques rares articles dans la presse écrite.

A. G. – Après avoir assuré la diffusion de vos parutions vous-même, en faisant le tour des librairies, vous avez décidé de faire appel à un distributeur, est-ce que cela change tout ?

V. B. – Non, cela ne change pas tout. J’ai fait appel à un distributeur en 2012, pour la publication d’un livre destiné aux enfants – Zooïne, sur les sentiers de la vie – qui faisait partie d’un projet de vulgarisation scientifique d’envergure avec une école d’art, et un musée qui accueillait une exposition que j’avais conçue. J’estimais que ce livre méritait une distribution professionnelle pour ceux, surtout, qui le créait avec moi. Quelques grandes librairies, par exemple, ne traitent que par le biais des distributeurs. Depuis cette publication, le même distributeur s’occupe de mes autres livres.

Aujourd’hui, être diffusé par un distributeur reconnu m’évite la rencontre avec les libraires, qui pouvait être très difficile, pour ne pas dire humiliante. Un auteur qui s’auto-publie n’est, en général, pas bien vu. Aucune librairie indépendante, par exemple et sans exception, ne s’est intéressée à ma démarche. Et si je peux nommer une librairie, c’est la librairie Payot à Lausanne qui m’a spontanément soutenue après s’être intéressée à ce que je proposais et avoir lu, le soir-même de notre rencontre, mon premier livre.

Un diffuseur offre donc un fonctionnement auquel les libraires s’attendent et sont habitués. Dans ce sens-là, avoir un distributeur me facilite la vie.

A. G. – Outre vos différentes casquettes d’écrivain et d’éditrice, vous avez aussi monté en 2012 l’exposition MADE IN UTERO, en lien avec votre formation de biologiste. Comment avez-vous organisé ce projet, auriez-vous envie de réitérer l’expérience ?

V. B. – Depuis quelques années déjà, je tentais d’expliquer différents thèmes scientifiques par le biais de l’expression artistique, essentiellement par des contes et des pièces de théâtre. J’avais envie de concevoir quelque chose d’une certaine envergure. L’idée de raconter de manière aussi poétique que possible le développement humain – de la fécondation jusqu’au moment de la naissance – me titillait depuis des années. Et j’étais arrivée à un point de ma vie où je pensais avoir l’expérience nécessaire pour entreprendre un tel projet.

Par ailleurs, mes enfants arrivant à l’âge où la sexualité les concernait, je me suis rendue compte que la société leur avait dit comment éviter, voire même se débarrasser, d’une vie mais avait omis de leur dire à quel point la vie est étonnante, belle et à respecter, sans vouloir toucher aux débats autour de l’avortement et de la procréation assistée. J’ai donc entrepris tout ceci en pensant à eux et tous ceux de leur âge.

Une fois les fonds récoltés pour le projet, j’ai travaillé avec une école d’art à Genève pour les illustrations du conte. Ces mêmes illustrations ont constitué le décor pour une exposition au Musée de Zoologie de Lausanne, durant laquelle un comédien disait une adaptation du conte – presque quotidiennement – à des classes et des visiteurs. En parallèle, le conte illustré a été publié.

Je songe, oui, à un autre projet. Cette fois-ci adressé aux jeunes adultes et concernant le VIH, parce que je me rends compte qu’on ne parle plus assez de cette maladie sexuellement transmissible. Du coup, ces dernières années, il y a eu une recrudescence de personnes infectées par le virus du sida. Pour l’heure, je n’ai pas récolté tous les fonds. Mais c’est un beau projet d’exposition et de livre à nouveau. Reposant sur les témoignages de personnes nouvellement infectées par le virus. Mon idée est qu’ils me parlent des circonstances qui ont mené à leur infection ; chose dont on ne parle pour ainsi jamais et qui, je crois, pourrait toucher d’une manière assez poignante les jeunes. Leurs témoignages seront alors transcrits sous forme de nouvelles.

De très belles personnes se joignent à ce projet. Notamment le photographe Matthieu Gafsou, le slameur Narcisse, et Adrien Rovero qui s’occupera de la scénographie de l’exposition. Et il se fera en collaboration avec le Dr Matthias Cavassini, infectiologue au CHUV et SID’Action Lausanne. Si tout va bien, l’exposition comme le livre verront le jour à la fin de l’été 2016.

A. G. – Question subsidiaire à l’éditrice : envisagez-vous de donner la parole à d’autres auteurs par le biais de la structure que vous avez créée ?

V. B. – Ça peut paraître étrange, mais je ne me sens pas éditrice. Et je ne prétends pas avoir la connaissance littéraire qui me permettrait de juger l’écriture de qui que ce soit ni même de la défendre, si ce n’est pas pure subjectivité. Par ailleurs, il faudrait tout de même faire partie des réseaux littéraires suisse romands pour promouvoir ne serait-ce qu’un minimum un auteur que l’on édite. Et ce côté-là de l’édition ne me ressemble pas. Mener une véritable maison d’édition serait, à vrai dire, un travail à plein temps. Et je préfère écrire.

Ceci dit, il y a une personne d’ici dont j’ai découvert l’écriture il n’y a pas si longtemps. Une personne dotée, à mes yeux, d’un rare talent. Un magnifique tisseur de mots et de pensées. Une écriture à la fois universelle et très personnelle. J’ai proposé Rouge écarlate pour la publication d’un ouvrage parce que je sais que d’autres aimeraient avoir ses écrits rassemblés en un livre. Mais ce n’est pas simple. Nous verrons…

A. G. – Question subsidiaire à l’écrivain : votre dernier livre – Te souviens-tu de moi ?– s’intéresse à l’enfance. Comment présenteriez-vous cet ouvrage à nos lecteurs ?

V. B. – Sans doute suis-je arrivée à un âge où je me rends compte à quel point l’enfance nous définit dans notre vie. Peut-être la meilleure réponse à votre question serait-elle le texte écrit au dos du livre :

Te souviens-tu de moi ?
Comment t’oublier… L’enfance nous porte, nous sculpte. Fait de nous des êtres uniques. Qu’elle ait été heureuse ou malheureuse, sans grande saveur ou marquée de souvenirs qui restent gravés, elle ne peut nous laisser indifférents. Elle vit en nous à partir de l’instant-même où nous la quittons. C’est alors que, silencieuse, elle nous accompagne, ou parfois nous poursuit, et ne cesse de murmurer, comme elle seule sait le faire, qu’il ne faut pas la perdre de vue puisque, tôt ou tard, quel que soit le chemin que nous prenons, c’est vers elle que nous nous retournons.

A. G. – Question subsidiaire à la femme bi-nationale (britannique et suisse) que vous êtes : vous écrivez me semble-t-il en français, qui n’est pourtant pas votre langue maternelle, pourquoi ce choix ? 

V. B. – J’ai fait ce choix en 2007. Jusqu’alors, j’écrivais essentiellement en anglais. Le choix du français m’est venu comme une révélation. Une petite voix qui m’a demandé pour quelle raison j’écrivais en anglais alors que je vivais dans un pays francophone. La réponse m’a semblé évidente. Au début, c’était étrange. Puis, comme un muscle que l’on entraîne, écrire en français devenait, pour moi, de plus en plus naturel. Et, aujourd’hui, écrire en anglais, du moins l’écriture « créative », semble un acte presque anormal. Je ne m’y reconnais plus. Ce n’est plus moi. Mais je sais aussi que ce n’est qu’une question d’habitude.