Entretien avec Sacha Després

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Amandine Glévarec – Bonjour Sacha, vous êtes Française, alors c’est comment la vie d’expatriée en Suisse ? 

Sacha Després – Je suis une expatriée comblée ! Ma famille me manque évidemment mais ici en Suisse, j’ai pu me réaliser en tant qu’artiste et en tant que femme. Grâce à un entourage bienveillant et beaucoup de travail, j’ai pu trouver mon équilibre – pour enfin accoucher de mes passions.

A. G. – Vous êtes peintre et photographe, pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours créatif ?

S. D. – Je ne suis pas du tout photographe même si j’aime partager certaines de mes images sur les réseaux sociaux (dans les albums « L’œil de Sacha à New-York » ou « L’œil de Sacha à Rome » sur FB). La photographie est un métier requérant beaucoup de technique. Rien à voir avec ce que je fais moi, de manière purement ludique.

J’ai un rapport intime à l’art depuis l’enfance. Du côté de mon père, tout le monde pratiquait le dessin ou la peinture. C’est donc tout naturellement que j’ai réalisé mes premières esquisses à l’âge de 7 ans. Mon sujet de prédilection : le nu féminin. Comme beaucoup d’artistes, j’avais en moi des « obsessions » que j’avais besoin de traduire. Plus tard, ma sensibilité littéraire m’a conduite à d’autres formes d’expressions stimulantes, comme la poésie par exemple. Une fois adulte, tout s’est mis en place : j’ai croisé les mots, les couleurs – et m’en suis servie pour me construire et assumer ma créativité.

A. G. – En avril 2015, vous avez publié La Petite galère chez L’Âge d’homme. Quels rapports entretenez-vous avec l’écriture, avec la lecture ? 

S. D. – Depuis mon premier roman, l’écriture est devenue une véritable addiction. Je passe des journées entières à écrire. Le temps défile sans que je m’en rende compte, c’est à la fois fascinant et incroyablement épuisant. J’y retourne encore et encore avec toujours la même obsession : ton, vocabulaire, style, syntaxe… jusqu’à ce que la « magie » opère. Très peu de temps après avoir su que La Petite galère serait publiée, je me suis plongée dans l’écriture d’un deuxième roman ; laquelle m’obsède tout autant. J’ai bien peur d’être accro !

Adolescente, j’étais beaucoup plus consommatrice de films que de livres. Encore aujourd’hui d’ailleurs. Or, ma filière littéraire m’imposait à l’époque d’ingurgiter beaucoup d’ouvrages différents – jusqu’à parfois saturation. Adulte, c’est l’écriture qui m’a ramenée à la lecture. Et aujourd’hui, les deux se nourrissent mutuellement.

A. G. – Était-ce une étape nécessaire dans votre vie d’artiste d’utiliser des mots ?

S. D. – Complètement. Les mots relèvent pour moi de la magie. Ils nous éduquent, nous construisent, nous bouleversent et parfois nous tuent. Ils sont des outils formidables pour apprendre comment « habiter ce monde » ou comment le « déserter » pour citer Les Lisières de Olivier Adam. Ils sont aujourd’hui un terrain de jeu pour ma créativité.

A. G. – Votre livre est une version très moderne de La Petite Maison dans la prairie, il est bourré de références, quel est votre point de vue sur notre génération née dans les années 80 ?

S. D. – Chaque génération porte son lot de jouissances et d’infortunes. Dans La Petite galère, j’évoque surtout les conséquences des années 80 après les Trente Glorieuses. Au début des années 2000, mes personnages évoluent dans un contexte de crise et de chômage. Ils traînent avec eux leur sinistrose, les espoirs déçus de la gauche et la montée de l’extrême-droite. Je pense que l’expression chiraquienne de « la fracture sociale » résume assez bien cette période.

A. G. – Les deux héroïnes sont toutes les deux très sexuées, parler de sexualité féminine assumée était-il une gageure ? Toujours un tabou en 2015 ?

S. D. – La sexualité des deux sœurs est raccord avec leur époque. Les filles sont très érotisées ; leur désir est ostentatoire à caractère pornographique – à l’image de notre société. Derrière cette apparente liberté, se cachent des névroses importantes semant le trouble dans l’évolution des personnages.

Je ne pense pas qu’il existe de tabous autour de la sexualité des femmes en 2015. Ou alors je ne les connais pas. Il suffit de lire la presse féminine et Virginie Despentes pour s’en convaincre. Personnellement, je m’en réjouis car je trouve le sujet passionnant. Bien sûr il y a l’art et la manière… l’étalage de l’intime peut aussi parfois flirter avec l’agression. Alors prudence !

A. G. – La petite galère a rencontré très rapidement le succès, étiez-vous préparée à cet accueil ?

S. D. – Je suis flattée par votre question mais parler de « succès » me paraît un peu prématuré. Le livre vient tout juste de sortir. Si les premiers retours sont très positifs, ce n’est qu’un début… enfin je l’espère ! Il est vrai qu’émotionnellement, c’est déjà un gros morceau. La publication chez L’Âge d’Homme représente pour moi LE rêve que jamais je n’aurais osé faire. Et c’est arrivé ! Alors tout ce qui viendra ensuite (succès ou pas) ne peut être que réjouissance.

A. G. – Vous serez bientôt au Salon du Livre de Genève. Rencontrer ses lecteurs est-il une expérience différente de celle vécue lors de vos vernissages ? Croyez-vous que le public sera en attente d’autres sortes de réponses, d’explications ?

S. D. – Je suis impatiente de vivre cette première expérience au Salon du Livre. Je pars sans a priori, souhaite profiter pleinement de ces rencontres. J’essaierai de répondre aux attentes le plus naturellement possible ; d’expliciter au mieux mon travail et mes ressentis, comme je le fais pour présenter mes peintures. Ce ne sera pas parfait : je dirai sans doute quelques bêtises (faudra me le dire !) Quoi qu’il en soit, ce sera une expérience enrichissante, j’en suis convaincue.

A. G. – Question subsidiaire mais totalement intéressante : croyez-vous que la Suisse vous permette de vivre une aventure que vous n’auriez pas pu vivre en France ?

S. D. – C’est effectivement mon impression même si je n’ai aucun moyen de le prouver. J’y vois trois raisons principales : d’abord l’échelle du pays (permettant plus de visibilité) ; l’esprit d’ouverture dans le monde de l’art (dû entre autres à la bonne situation économique) et enfin les rencontres décisives que j’ai faites sur place. Il faut toujours quelqu’un qui vous fasse confiance le premier… et la France manque aujourd’hui précisément de confiance pour investir (surtout) dans le domaine de l’art.