C’est incroyable ce qu’un livre, et d’autant plus un auto-édité qui nécessite autant d’investissements de la part de son auteur, peut révéler sur celui qui l’a mis au monde. Le Paquet surprise de Catherine Gaillard-Sarron n’a rien à envier à une édition classique, la couverture brillante est élégante, l’ensemble très professionnel. L’écrivain a visiblement effectué un travail de relecture, de correction, voire de pré-presse pour aboutir à ce résultat. Rien n’a été laissé au hasard, rien ne manque. De la quatrième à la préface, en passant par les crédits photos, l’ISBN, la biographie, tout est là. Voilà pour l’aspect livre-objet.
Dissimulé derrière la haie, Pietro observait les trois personnes qui s’activaient sur le trottoir d’en face. Quand la porte de l’immeuble se referma sur elles, il attendit encore cinq minutes que s’éteignit la minuterie, puis il sortit de l’ombre. Court, trapu, il s’approcha prestement des objets qui débordaient sur la chaussée. La nuit était glaciale. Un halo de vapeur flottait autour de son visage emmitouflé d’une écharpe. Dans le ciel clouté d’étoiles, la lune, ronde et lumineuse, éclairait d’un éclat métallique le tas hétéroclite qui s’entassait devant lui. Pietro inspecta les alentours. Sous ses habits de lumières, la rue était déserte. En cette veille de Noël, se dit Pietro en soufflant dans ses mains, les gens avaient mieux à faire qu’à traîner dans la rue. Une chance pour lui que le dépôt des objets encombrants ait quand même lieu ce mercredi 24 décembre 2003. Peut-être trouverait-il quelque chose d’intéressant cette fois.
L’écriture proprement dite a manifestement bénéficié du même investissement personnel. Le style est assez classique, pas de vocabulaire compliqué ni de tournures alambiquées. Les nouvelles sont particulièrement bien construites, selon un schéma narratif qui a fait ses preuves : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution et dénouement. Les thèmes abordés sont proches et toujours en lien avec le titre, ce qui donne au recueil une cohérence bienvenue. Voilà pour la forme.
Ils passèrent devant le restaurant et Roger se dirigea vers le parking pour garer la voiture.
— Eh bien, dit-il, c’était pas la peine de se presser autant. Toi qui pensais qu’on trouverait pas de place ! On sera au moins cinq puisqu’il y a trois bagnoles !
Et il se mit à rire.
— Il n’est pas encore 20 heures, dit Élisabeth contrariée, peut-être est-ce encore un peu tôt pour un soir de réveillon.
— Ouais ! reprit Roger, mais c’était depuis 19 heures, et pour le moment on peut pas dire qu’il y ait foule. Je sais pas, mais j’le sens pas, moi, ce bistrot ! Si tu veux mon avis, j’suis pas sûr que t’aies fait le bon choix avec ce chinois.
Élisabeth pensait exactement la même chose mais elle ne pipa mot. Voilà ce que c’est, songeait-elle agacée, les hommes ne veulent jamais rien organiser, ils s’en remettent complètement à leur femme parce que ça les arrange, et quand ça tourne mal ils leur mettent tout sur le dos. D’un geste sec, elle remonta le col de son manteau et marqua son irritation en sortant brusquement de la voiture. Roger en fit autant et claqua la portière de la Mercedes derrière lui. Mince, se dit Élisabeth, attristée par la tournure que prenaient les choses, même le soir du réveillon il faut qu’on s’engueule ! Ça commençait mal.
Reste le fond. Catherine Gaillard-Sarron a fait son travail, rien à dire, tout est propre, lisse, à sa place. Et moi, je lambine. Le fameux risque de la chronique est de résumer son ressenti à quatre petits mots. Sauf que c’est toujours plus compliqué que ça. Pourquoi certains univers, qui n’ont absolument rien à voir avec mon vécu, m’ont maintenue des nuits entières, les yeux écarquillés, limite fébrile, le cœur palpitant de se sentir bien vivant, en pleine communion avec mes semblables et pourtant seule dans mon lit ? Qu’est-ce qui a fait qu’en lisant Kerouac, en relisant Kerouac, en feuilletant Kerouac, je me suis dit que j’avais raté une sorte d’âme sœur spirituelle de quelques dizaines d’années (et de quelques bons milliers de kilomètres) ? Ça reste la question épineuse de tous les amoureux de la littérature car, en matière de sensibilités, certaines choses ne s’expliquent pas. On tombe en amour, point. Et le coup de foudre de l’un ne sera (heureusement hein) pas le coup de foudre de l’autre. Bref. L’univers qui existe dans Paquet surprise n’est tout simplement pas le mien. Les sentiments sont bons, les chutes optimistes, les couples se délitent, se trompent, pour mieux se retrouver les mains liées à nouveau au-dessus du berceau de leur enfant, les pauvres qui rêvent de retour au pays découvrent miraculeusement un ticket de loto gagnant la veille de Noël, ce sont des exemples. Je reste persuadée que ces histoires raviront le cœur de lecteurs en quête de douceur (et dans ce monde de brutes, c’est honorable et bien compréhensible) mais en ce qui me concerne (ça me perturbe de vous l’avouer) j’aime ce qui torture, qui blesse, qui détraque, qui tourneboule. Visiblement, certains auteurs n’ont pas toujours les lecteurs qu’ils méritent.