Chaque jour est une vie n’est pas un recueil de nouvelles classique. D’une part, parce que les textes se suivent sans séparation et que j’ai parfois été surprise de constater que je les avais enchaînés sans même m’en rendre compte. D’autre part, parce qu’il ne s’agit pas toujours d’histoires imaginaires, mais aussi de souvenirs, de poèmes, de réflexions personnelles. Philippe Weiss semble être un homme libre. Il écrit car il a des choses à dire, clairement, et semble se moquer de ce que les lecteurs potentiels en penseront. Alors des rêveries oui, des nouvelles non. Et ce n’est pas désagréable, bien au contraire.
Te serrer dans mes bras, et te le dire… mais te le dire avec d’autres mots si possible, pour ne rien galvauder, quand bien même seuls les mots originels viennent spontanément aux lèvres ; sans doute parce qu’ils sont seuls à exprimer si bien le message qu’ils portent, depuis toujours et dans toutes les langues du Monde…
Pouvoir te le dire, le redire encore et encore jusqu’au vertige. Que l’on me donne des mots qui soient aussi forts, aussi beaux, aussi vrais, aussi simples, mais qui n’appartiennent qu’à moi, que personne jamais ne te dira que moi !
C’est bien l’homme que l’on distingue toujours au fil de pages, celui qui sait d’où il vient, où il va, qui parfois se laisse emporter par une songerie érotique ou par une envie de poésie, mais qui jamais ne mâche ses mots. Ses mots d’ailleurs, l’écriture est fluide et directe, sans mystère, limpide, comme lui, sans doute, mais peaufinée tout de même, élégante. J’ai aimé cette franchise, cette mise à nu, ce cachet, et les thèmes abordés. L’amour bien sûr, l’envie de séduire toujours présente chez l’homme vieillissant, le besoin de s’affirmer, parfois au risque de se nuire à soi-même, la filiation, la mort, l’emprisonnement, le cynisme du monde de la finance. Comme vous pouvez le voir, l’écrivain ose et expérimente, mais le tout reste cohérent, bien qu’éclectique, ce qui constitue un véritable tour de force. Le fait d’avancer à tâtons, avec logique, de partir d’une situation donnée pour aboutir à un résultat différent, une démonstration donc, ne paraît pas faire partie de ses prérogatives, ce qui n’est pas un mal. Chaque texte suit son propre parcours, l’effort semble absent, seule l’envie guide et ce que l’auteur dit et la façon dont il le dit.
La quarantaine fraîche, une histoire banale, un divorce, un trou noir ; puis un second souffle, un amour immodéré de cette liberté nouvelle ; un lit dans lequel on se vautre à l’envi, sans contrainte ni partage ; la redécouverte d’une vie avec ses propres yeux ; son corps pour elle ; quelques aventures ici et là, « juste pour le fun », comme dit Marianne ; après chaque fois, cette longue douche qui n’en finit plus : page tournée, pureté retrouvée ; moi, moi et encore moi, aimait-elle à se murmurer parfois, le visage tout contre le grand miroir du hall.
Job à mi-temps, trois sous de côté, ciné, restos, voyages, lecture, piscine, cours de philo, expos… La vraie Vie, quoi !
Que l’homme soit direct n’est donc plus à démontrer. Peut-être que son écriture gagnerait-elle à faire l’objet d’un peu plus de patience, d’un œil extérieur qui pourrait pondérer cette énergie brute et l’affiner pour en faire de petits bijoux ciselés. Une mise en forme, en somme. Car ceux qui ont des facilités à s’exprimer doivent aussi s’aider d’un guide, n’est-ce pas là en partie ce que l’on attend d’un éditeur d’ailleurs ? Enfin, au-delà de ce que je lis, je continue de m’interroger sur ce qui pousse les gens à écrire. Philippe Weiss est libre certes, mais l’un de ses textes (La lettre à l’écrivain) montre bien que l’assouvissement de l’envie de voir ses textes imprimés débouche ensuite sur une nouvelle frustration : la nécessité d’être lu, voire même jugé. Et comment pallier ce nouveau besoin, alors ? J’espère vous avoir aidé, à mon échelle, en tous les cas, cher Philippe.
Lentement, j’ai senti mon corps redevenir normal, j’ai senti cette machine à tuer quitter mes entrailles. J’avais mal de la tête aux pieds, avec la sensation de redevenir moi-même, comme si un être beaucoup plus grand et plus fort que moi quittait mon corps après s’y être introduit.
J’avais froid, aussi. Ma mère restait au sol, prostrée, secouée de gros sanglots à peine audibles.
Sous sa tête, grossissait à vue d’œil la petite flaque de ses larmes.
Je la voyais, mais je ne ressentais plus rien ; ni haine, ni pitié, rien. Absolument rien…
Depuis ce jour, ce fut exactement comme cela que se définirent, à tout jamais, mes sentiments pour elle : rien… Le zéro absolu… L’indifférence parfaite… Le vide sidéral. Depuis ce jour, qu’elle crève, qu’elle devienne nonne ou star porno, plus jamais rien de ce qui la concernera ne me touchera.