Le risque majeur d’un recueil de nouvelles ne tient pas forcément à une absence de thème commun – ce qu’un lecteur curieux peut supporter sans trop de peine – mais plutôt à un style non uniforme, assez courant chez bien des auteurs débutants. L’ordre retenu est donc primordial. Patrick Chambettaz a choisi pour son recueil – Randonnée de nuit – de classer ses nouvelles en cinq sections : Éveils, Épopées, Émois, Étrangetés, Épilogues. Cette décision toute personnelle ne permet pas de cacher que certains textes sont soit plus anciens (c’est en forgeant que l’on devient forgeron), soit moins inspirés, soit moins retravaillés (ah le délicat usage du passé simple). Toujours est-il que, dans l’ensemble, certaines nouvelles laissent à penser que l’auteur devrait persévérer et – pourquoi pas – s’essayer à des formats plus longs.
L’école se trouvait à une demi-heure de marche de chez Claire. Plantée sur un monticule, elle se composait de deux bâtiments en bois disposés de part et d’autre de la cour de récréation. L’institutrice, Mlle Tissard, avait dû être sorcière ou quelque chose d’approchant avant d’enseigner. Visage disgracieux, cheveux en boucles incolores, elle lançait des regards torves aux infortunés du fond de la classe et, armée d’un bâton dur et flexible, s’appliquait à leur faire payer sous le moindre prétexte la vacuité de son existence.
C’est quand il parle d’amour ou d’enfance que l’auteur se montre le plus doué, quand il quitte une histoire bien trop tortueuse pour une épure simple, quand il ose la noirceur et quitte les bons sentiments, alors oui le ton se fait juste. Que chaque auteur parle le mieux – du moins dans un premier temps – de ce qu’il a vécu, je n’en doute pas. Exploiter les failles et gagner en profondeur, réalité paradoxale mais réalité tout de même. Pour en revenir à notre recueil, que nous raconte Patrick Chambettaz ? Les moments où la vie se fracture. Passant allègrement de nonnes ayant caché des enfants pendant la guerre à l’injustice ressentie par une petite fille punie sans raison, d’elfes farceurs se moquant de jeunes gens perdus au suicide d’un fils délaissé, de la surprise d’un homme auprès de qui ses proches osent tout avouer aux regrets d’une vieille dame qui a fait fuir son amant aimé bien des décennies auparavant, l’auteur expérimente les styles, les genres, les approches et tutti quanti. Les personnages se tiennent, bien que les femmes ne soient souvent réduites qu’à des couleurs d’yeux et de cheveux, les histoires sont cohérentes, malgré l’homme fraichement remis d’un œdème à la jambe et qui d’un coup se met à courir comme un galopin, le tout se lit vite et bien, proprement.
Épicurienne accomplie, Sylvie savoure une gorgée de porto. Son récent veuvage ne l’a pas affectée plus que le puritanisme de sa belle-famille ne l’y contraignait. Feu son époux est parti un matin bruineux, sans jamais avoir été vraiment là, lui léguant un nom – « de Quelque Chose » – et une fortune – de quoi naviguer à l’abri des écueil jusqu’au terminus.
Le liquide pourpre se répand en elle. Son visage de grand-mère sereine – quoique aucun enfant ne soit né de sa chair – se fige sous une nappe de nostalgie. Seule la vivacité de ses yeux myosotis trahit la vie qui l’anime.
Je reste néanmoins sur ma faim car si je regrette certaines tournures, je suis surtout curieuse de savoir ce qu’écrirait cet auteur soumis à ses tourments. Écrire, n’est-ce pas gratter là où ça fait mail ? Torturer et ses mots et son être ? Utiliser l’ensemble pour mettre au monde un nouveau monde ? Les gens heureux n’ont pas d’histoire, la formule n’est pas de moi mais je la fais mienne, voilà. Il ne suffit pas d’une idée pour se lancer, la taille de la plume est primordiale. Lectrice exigeante, toujours. Me rêvant relectrice ? Parfois. Confiante dans les nouvelles voix ? Souvent.
Le dépôt d’alcool dans sa graisse l’empêche de penser qu’elle pourrait fermer les doubles rideaux. Au surplus, penser ne fait pas partie de son vocabulaire, elle dont le souci quotidien se réduit à éviter l’épuisement de son stock de vinasse. Son organisme est au point dans ce domaine : elle tiendrait un siècle ! Quoiqu’elle n’ait aucune notion de temps. Aucune notion de quoi que ce soit, d’ailleurs. Elle ingère la boisson, son organisme la digère. C’est tout. L’origine de cette inextinguible soif se perd dans le tréfonds de sa conscience. C’est un soir sans issue que cela a dû la prendre, inonder ses doutes. Puis, d’impasse en impasse, le naufrage a débuté.