Fragile – Ariane Ferrier

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Autour de mon berceau, il y a avait au moins deux fées. L’une qui m’a fait naître nantaise, la seconde qui m’a fait naître femme. Parce que oui, être une femme, c’est le pied. Et ce n’est pas Ariane Ferrier qui me contredira. Être une femme c’est faire de la mécanique : accepter de se prendre la tête sur le fonctionnement d’une imprimante tout en sachant créer la vie. Être une femme, c’est savoir gérer les relations humaines, tout en douceur et en fermeté, aussi bien avec nos petits qui resteront à jamais nos bébés qu’avec nos congénères ou nos amis les hommes. Être une femme, c’est avoir le droit d’aimer aussi fort son esthéticienne que son libraire, et de le leur dire. Être une femme, c’est choisir avec autant de soin son nouveau mascara que le pays dans lequel on prendra une retraite spirituelle bien méritée. Être une femme, c’est accepter d’être multiple, de connaître les complexes de l’adolescence, la satisfaction de mener à bien sa carrière, la joie et les ingratitudes de la maternité, le charme de la séduction. Il y a un peu de magie dans tout cela, et une formule d’Ariane qui résume le tout : « C’est pour ça que le monde tourne rond : les femmes font avec légèreté des choses graves, et traitent avec toute la gravité nécessaire la frivolité. »

Dans Fragile, vous retrouverez de courts textes écrits entre 2005 et 2014. L’élément central, notre étoile : Ariane, saluée par un préfacier de marque : Alexandre Jardin. Une personnalité franche et fraîche, un bagout et un humour sans conteste, l’art de relever les petits détails et de les réintégrer dans un ensemble plus vaste. Ariane est une femme, une vraie, une mère aussi, une amoureuse toujours, une curieuse qui a de la bouteille, une faussement naïve et pourtant si lucide. Une femme qui s’assume, et dans ses contradictions et dans ses failles, dans ses petits tourments et dans ses grandes joies. Jamais elle ne nous cache ses défauts, mais c’est ainsi que nous l’aimons. Ariane s’étonne et s’intéresse à tout. Ses chroniques nous parlent de sa vie, nous intègrent dans son quotidien, nous font nous sentir de la famille. Ni fausse pudeur ni perte de temps, en une page et demie elle sait mettre en scène le sujet qui l’avait interpellée, qu’il soit léger ou grave, ou nous raconter une anecdote. Picorer dans Fragile, c’est prendre le temps de découvrir le monde qui nous entoure, vu par Ariane. Conseils aux jeunes filles, hommages à ceux qui l’entourent, souvenirs émus d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, étonnement sur des tendances un peu trop actuelles, l’auteure sait nous faire passer un bon moment en nous parlant de tout et de rien, sans prétention, sans prise de tête, en toute douceur si féminine.

Il y a un homme dans ma vie
C’est sur le trottoir que la vérité m’est apparue : il y a un homme dans ma vie ! Je ne connais pas son nom, j’ignore son âge, je ne sais rien de ses origines. Eh non, bande de vilains, je ne l’ai pas trouvé sur Internet. C’est un homme dans la « vraie vie », quoi que cela puisse vouloir dire.
Il se trouve que, comme le disait joliment François Mitterrand, j’ai « ce vice impuni : la lecture ». Vice, somme toute, assez convenable. Encore que.
Quand on lit autant et de façon aussi dispersée que moi, c’est un vice qui coûte cher, y inclus en déplacements. C’est que je n’achète pas sur la Toile, sauf cas de force majeure : livre introuvable ou épuisé. Sinon je hante les librairies, les centres commerciaux, les bouquinistes, tout est bon pour nourrir cette passion féroce.
Naturellement, j’ai mes endroits. Par exemple, dans telle grande surface, je sais qu’ils sont très pointus en polars. Oui, parce que je n’aime rien tant que les thrillers bien sanguinolents, avec morceaux de cadavre dispersés dans des sacs à travers la ville sombre. Je les lis avant de dormir, ça me détend.
Dans telle autre librairie, je suis assurée de trouver le livre-dont-on-parle (dommages collatéraux du vice impuni : écouter les émissions littéraires).
Mais lorsque me vient une pulsion, c’est chez Lui que je vais. Lui, l’homme dont je viens de réaliser, là, sur le trottoir, à quel point il est important dans ma vie, est-ce que vous suivez ?
Les pulsions peuvent être de tout ordre. L’autre nuit, car ça se passe toujours la nuit, j’ai eu une envie folle de Dorothy Parker (1893-1967), écrivaine new-yorkaise dont la causticité me réjouit.
Comme j’ai également la sale habitude de donner les livres que j’aime (« Si, si, prends-le, tu ne peux pas vivre un jour de plus sans connaître Dottie Parker ! »), et que je ne peux entreprendre nuitamment des fouilles spéléologiques dans mes centaines de bouquins (classés par ordre d’entrée dans la maison), alors je vais chez Lui.
Cet amour d’homme a l’œil qui frise en m’apercevant. Et « justement, j’ai reçu ce matin une réédition de Miss Parker, en format poche ». Puis, une chose entraîne l’autre, on parle de la reine Christine de Suède. Et d’un roman dont je ne me souviens ni du titre ni de l’auteur, sauf que ça se passe dans le Sud profond de l’Amérique, dans l’ambiance moite du bayou.
Et Lui, imperturbable, consulte son ordinateur, me conseille un biographe plutôt qu’un autre, me retrouve les bayous et leur auteur. Quelques jours plus tard, je reçois ma came. Enfin, ma reine suédoise, la Miss Parker et la moiteur de Louisiane. Et là, en marchant sur le trottoir avec les mains pleines de livres, je me dis que jamais un inconnu ne m’a été aussi proche.
(20 avril 2010)

Éditions BSN Press