Amandine Glévarec – Tu as été journaliste. Ton héros – Michel Rod – est journaliste. Il y a donc un raccourci que je m’empresse de prendre : dis donc, le métier de journaliste, pour de vrai, c’est comme ce que tu racontes dans tes livres ?
Daniel Abimi – Jamais de la vie. Enfin, je ne sais pas. Peut-être… Mais à une autre époque, en tout cas… Comme j’ai débuté dans le métier à la fin des trente glorieuses, j’ai tout juste eu le temps d’y goûter. Avant que tout ne se frelate. L’argent n’était pas un problème, les journaux faisaient du tirage, vendaient des montages de pub et tout le monde était content. La relation entre les éditeurs et les journalistes était en somme assez comparable à celle de ces industriels du 19e siècle qui entretenaient leurs danseuses dans ces salons particuliers : des emmerdements en série mais beaucoup de plaisir… Et puis c’est vrai aussi que ça picolait pas mal. Tout le monde se retrouvait pour l’apéritif, mais il y avait celui de midi et celui de fin de journée. Et pas de repas, sans vin… Comme je travaillais souvent le soir, je terminais tout aussi souvent au petit matin et profitais du week-end pour me reposer… Indiscutablement, tout cela créait un climat de travail. Aujourd’hui, le monde a changé. Les éditeurs sont des comptables, propres sur eux. Du coup, on ne boit plus à midi et le bar de l’entreprise a été remplacé par une cafétéria…
A. G. – Au-delà du fantasme, les relations avec les policiers se passent-elles vraiment comme ça ? Donnant-donnant ?
D. A. – Oui et non… Forcément, cela dépend de la relation de confiance entre le policier et le journaliste. Cette relation repose souvent sur un transfert assez simple, celui du journaliste qui aurait voulu être flic et celui du policier qui aurait rêvé d’écrire… Cela dit, quand ça se passe, les motivations sont souvent plus terre-à-terre. Quand un journaliste obtient une information sensible d’une source, c’est quand même rare qu’il n’y ait pas un intérêt particulier qui se cache derrière… Maintenant, celui-ci peut être de nature très variée…
A. G. – Force est de constater que souvent dans les bons romans policiers, le héros est au mieux divorcé, au pire un peu porté sur la bouteille. Il me semble que ton Michel Rod, très attachant au demeurant, n’échappe pas à la règle…
D. A. – Je ne sais pas si c’est propre au bon roman. Peut-être tout simplement parce la vie est toujours un peu sale… C’est vrai aussi que mon écriture porte plutôt à chercher la vie telle qu’elle est, pas comme elle devrait être. Y a peu de place pour le rêve dans mes bouquins. Maintenant, j’aimerais beaucoup dessiner un personnage dont la vie serait exemplaire. Comme ça j’aurais vraiment l’impression d’écrire une fiction… Je l’imagine marié depuis quinze ans mais toujours aimant, vivant son temps libre avec ses trois enfants, pratiquant du sport… Après, il y aura forcément quelque chose qui va clocher, un point de rupture…
A. G. – La légende dit que tu as écrit ce premier livre « comme ça », et puis les choses se sont enchaînées, tu l’as fait lire à un copain qui t’a présenté à son éditeur. La légende dit-elle vrai ?
D. A. – Oui. C’est vrai. Je l’ai écrit en m’amusant. Jamais, jamais, je n’ai pensé le finir et encore moins le voir publié. Je sais que ça peut paraître faux-cul, mais le moment le plus intense, celui qui m’a procuré un plaisir que j’assimilerais presque à une forme de vertige, c’est quand je suis arrivé au bout du roman. Tout le reste, tout ce qui a suivi, c’était bien, mais pas aussi fort, je n’ai plus ressenti ce vertige…
A. G. – Ton second roman a eu beaucoup de succès, peux-tu nous en toucher un mot ?
D. A. – En écrivant Le Dernier échangeur, je suis parti d’une série de mots, les tout premiers. Pour Le Cadeau de Noël, je voulais partir d’un endroit, construire à partir de là… En l’occurrence, le lieu s’est imposé facilement, une station essence en bordure de ville. Puis j’ai imaginé au fur et à mesure l’histoire. En démarrant, la seule chose qui était claire dans ma tête, c’était où je voulais amener les principaux personnages, sur un plan personnel. L’intrigue, je n’en avais juste aucune idée.
A. G. – Écrire un roman, et écrire pour des journaux, en fait ça change quoi ? Es-tu plutôt du genre à écrire d’une traite ou à reprendre sans cesse ton manuscrit ?
D. A. – D’abord la liberté créative. Sinon, je pense que ma manière d’écrire un reportage ou un roman comporte quelques similitudes. Une en particulier, celle du détail, celle d’extraire du décor le petit élément qui fait la différence, qui marque une rupture avec l’harmonie apparente des choses, et qui dans le meilleur des cas donne un sens au tout…
Au début, je reprenais sans cesse mon texte. À force de tout recommencer, presque à zéro, j’ai fini par comprendre que si je voulais finir un jour, il fallait lâcher le texte. Et merde si ce n’est pas parfait ! Depuis, j’écris d’une traite, mais je prends mon temps.
A. G. – Finalement, pourquoi t’être orienté vers le polar ? Aurais-tu – as-tu – envie d’écrire autre chose, dans un autre domaine ?
D. A. – Mais en écrivant des polars j’écris précisément autre chose. Le genre permet tout, et surtout il nous invite à ne pas nous prendre trop au sérieux. Pour moi, écrire, raconter une histoire, ça doit être un plaisir. C’est peut-être prétentieux, mais il m’est arrivé de rire en écrivant, et ça c’est bon.
A. G. – Question private joke : un petit mot à nous dire sur le film Merci pour le chocolat, Daniel ?
D. A. – Des cinéastes comme Chabrol m’ont probablement beaucoup influencé dans ma manière de voir la société et de tenter de la décrypter, de faire sauter le vernis tout en gardant une distance amusée. Regarder, observer, disséquer, sourire, mais ne jamais juger.
Quant à ce film, il se déroule à Lausanne. Que Chabrol ait planté le décor de l’un de ses films à Lausanne, ben ce n’est pas rien ça…