Entretien avec Laure Mi Hyun Croset

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Amandine Glévarec – Polaroïds est présenté comme une autofiction, mais à le lire on se dit que la frontière est très mince avec l’autobiographie, peux-tu nous expliquer en quoi cela diffère ?

Laure Mi Hyun Croset – En vérité, il s’agit bien d’une autobiographie, mais comme elle est partielle, je n’y relate que mes hontes, et partiale, je présente mon seul point de vue, j’ai trouvé plus honnête de le rapprocher de la fiction. Ce n’est pas une autobiographie classique. Elle est incomplète et elle ne vise pas l’objectivité.

A. G. – N’est-ce pas trop difficile de s’exposer ainsi au regard des inconnus ? Cela était-il la suite logique d’une analyse ou au contraire une façon de tourner la page définitivement sur tes angoisses ?

L. M. H. C. – Au départ, c’était très difficile de parler de sujets aussi brûlants que mes râteaux ou ma première fois, mais tout le travail de l’écrivain réside justement dans la capacité à prendre du recul par rapport à la matière de son texte. Cela a dû fonctionner, car beaucoup m’ont dit s’être retrouvés dans mon texte. De mon parcours singulier, j’ai pu, semble-t-il, atteindre quelque chose de plus universel.

A. G. – Crois-tu que le fait d’être d’ici et d’ailleurs tout à la fois est à l’origine de ce besoin intense de plaire et de t’intégrer ?

L. M. H. C. – Je pense surtout que c’est le fait d’avoir été abandonnée. J’aurais pu être adoptée en Corée que ce besoin d’appartenir à un groupe, et paradoxalement de mal supporter de m’y trouver une fois que j’y ai été admise, aurait été le même. Mon apparence différente a pu cependant compliquer encore un peu les choses.

A. G. – Tu as écrit On ne dit pas « je » ! qui est aussi un livre biographique mais basé non plus sur ta vie, mais sur celle de Lionel Stéphane Dulex. Comment arrive-t-on à connaître suffisamment bien quelqu’un pour arriver à décrire sa vie ? D’où t’est venue cette idée, comment as-tu procédé concrètement ?

L. M. H. C. – Je devais travailler avec un Coréen adopté, photographe de guerre pour Le Monde et Paris Match, mais il est décédé en Syrie. Lionel, sachant que je n’avais plus de projet littéraire, sans parler du deuil émotionnel, m’a proposé le bilan qu’il a rédigé à la suite de sa dernière cure de désintoxication. Je ne connais pas si bien que cela mon personnage, qui se dérobe d’autant plus qu’il possède toute la complexité de sa propre véritable existence, mais je connais les faits de son existence. Je n’ai fait que les décrire sans le juger ni l’excuser.

A. G. – Ton style est assez unique car il est en même temps distancié, à la manière journalistique, et intime, car chargé en émotions. Écris-tu d’une traite, ou au contraire reprends-tu sans cesse le travail ? La densité et la brièveté sont-elles les buts ultimes de ce que tu attends d’un texte ?

L. M. H. C. – J’écris d’abord en continu, puis j’élague et relis infiniment jusqu’à ce que j’arrive à la quintessence de ce que je veux dire, mais je m’efforce de rendre ce travail invisible. Il faut que le texte semble à la fois singulier et limpide, à la fois original pour être artistique, présenter une vision personnelle, un certain regard, et paraître en même temps couler de source, même si cela représente un immense et fastidieux travail en amont.

A. G. – Question subsidiaire spéciale janvier 2015 : que peut-on te souhaiter pour cette nouvelle année qui commence ? Nous réserves-tu des surprises ?

L. M. H. C. – Je travaille sur deux commandes de petits livres de fiction. J’aimerais trouver un grand éditeur français qui puisse faire le travail de promotion auprès d’un large public afin que je puisse me concentrer sur l’écriture. J’ai encore tant à améliorer.