Entretien avec Olivia Lempen

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Amandine Glévarec – Olivia, pouvez-vous nous nous raconter votre parcours et par là-même nous expliquer en quoi consiste l’art-thérapie par l’écriture ?

Olivia Lempen – J’ai d’abord effectué une licence en psychologie à l’Université de Lausanne puis un Master au Centre Anna Freud à Londres. Lorsque je suis rentrée en Suisse, j’ai commencé à travailler comme psychologue en pédopsychiatrie, mais assez rapidement je ne me suis pas sentie à ma place… C’est à ce moment que j’ai découvert les formations pour devenir art-thérapeute et que j’ai vu se dessiner ma voie. En ce qui me concerne, ce qui m’a plu dans cette formation c’est d’aller expérimenter le processus de création artistique et de découvrir toutes sortes de matières de création, d’essayer de comprendre leurs effets sur moi. Parmi ces matières, il y a les mots, la langue. Et c’est lors d’un stage dans les ateliers d’écriture à l’Association PAROLE à Genève que je me suis sentie complétement habitée par l’écriture et son potentiel transformateur.

Plus tard, j’ai pu reprendre l’animation de ces ateliers d’écriture. Par ailleurs, parallèlement à ma formation et ma pratique d’art-thérapeute, j’ai réalisé une thèse en psychologie clinique d’orientation psychanalytique à l’Université de Lausanne sur les processus et fonctions psychiques de l’écriture. Ce travail m’a permis d’explorer en profondeur les enjeux psychiques du processus d’écriture, tant du point de vue de la chercheuse que par l’expérience même de l’écriture d’une thèse. Depuis cet automne, j’ai ouvert mon atelier d’art-thérapie par l’écriture à Lausanne et je débute en janvier 2015 comme enseignante et responsable de formation à l’Institut de formation en art-thérapie L’Atelier à Genève. Cela toujours de manière complémentaire aux ateliers d’écriture à l’association PAROLE que j’ai un plaisir tout particulier à animer !

L’art-thérapie par l’écriture s’appuie sur le statut particulier de l’écriture dans le champ de la création artistique. Nous avons tous une histoire avec l’écriture, elle est parfois douloureuse, marquée par la nécessité de s’approprier les règles et les conventions de la langue. En art-thérapie par l’écriture, on revisite cette rencontre avec les mots puis l’écriture, et tout ce qu’elle porte de la rencontre avec le monde social. Des expériences intimes peuvent prendre forme et trouver du sens par le biais d’une histoire, d’un personnage, etc. L’une des forces de l’approche en art-thérapie c’est le détour par la création, l’imaginaire et la fiction. Il y a aussi la transformation de l’expression d’expériences douloureuses en une activité d’écriture qui peut donner du plaisir. Lorsque des choses ne peuvent pas être dites de manière directe car leur expression est trop menaçante, elles peuvent s’exprimer par le détour littéraire. Cela peut être tant au niveau du contenu que de la forme. Le rythme d’un texte, ses sonorités, peuvent contribuer au partage d’une expérience du monde. En tant qu’art-thérapeute, j’essaie d’accompagner les personnes sur ce cheminement vers l’expression, la mise en forme d’expériences douloureuses et une appréhension plus sereine de leur monde intérieur grâce à l’écriture.

A. – Vous êtes intervenante en art-thérapie à l’association PAROLE de Genève qui aide à la santé et à l’intégration des personnes en souffrance psychique. Que propose une structure telle que l’association PAROLE ? Quel est alors le public concerné ? En quoi avoir accès à la parole – mais aussi à l’écriture ! – peut-il les aider à sortir de leurs problèmes ?

O. L. – L’association PAROLE propose un Espace d’accueil et d’expression ouvert à des personnes pour qui la souffrance psychique a pris le dessus dans leur existence. L’Espace d’accueil et d’expression s’organise notamment autour d’ateliers de création et d’expression qui se déroulent tout au long de la semaine. Dessin, peinture, travail textile, mouvement, chant, écriture – les différentes modalités expressives sont explorées. L’objectif est de soutenir l’expression personnelle dans un cadre rassurant et bienveillant, dans un contexte urbain, économique et social toujours plus exigeant. L’association cherche tout particulièrement à rester en lien avec le monde culturel afin de minimiser l’isolement des personnes concernées en prenant en compte leurs capacités d’autonomisation et de créativité. En leur permettant de prendre la parole dans le monde social et culturel, leur sentiment d’appartenance légitime à ce monde se restaure. En passant par la création, et par l’écriture, pour cette prise de parole, cela les protège en quelques sortes d’une expression brute et violente qui risque de les faire encore plus souffrir et de les confronter au sentiment de ne pas être reconnu dans ce qu’ils vivent. Avec la création, le plaisir de l’expression et du partage peut reprendre le dessus et susciter des rencontres positives.

A. – Comment vous est venue l’idée d’associer le SLAM à l’art-thérapie ?

O. L. – Cela fait quelques années que j’ai découvert le concept des scènes ouvertes de slam. Au début, je me suis sentie plutôt mal à l’aise lors de ces soirées car je ne m’attendais pas à être confrontée à l’expression si vive de vécus parfois dérangeants. Mais en même temps, je sentais qu’il y avait quelque chose de porteur et d’unique. J’ai été frappée par l’atmosphère bienveillante et la tolérance qui permettent à tout le monde de venir lire un texte sur scène. Ce qui me plaît personnellement dans le slam, et tout particulièrement dans les scènes ouvertes, c’est la manière dont l’écriture redevient accessible à tout le monde. Il me semble que le rapport à l’écriture s’ouvre et permet aux slameurs et au public de se réconcilier avec le potentiel créatif et expressif de l’écriture, en se détachant un peu des exigences de la discipline littéraire établie. Le résultat de ce détachement, c’est que tout d’un coup, on entend un texte magnifique, ancré dans la réalité intérieure de son auteur, qui nous donne des frissons. Là, il y a quelque chose du partage avec le public qui est très fort. Je suis aussi admirative de la manière dont certains slameurs manient la langue et les mots. Ils se réapproprient le langage pour en faire quelque chose de positif qui leur permet de se sentir exister. C’est vers ce potentiel que j’ai essayé d’accompagner les participants à l’atelier d’écriture de l’association PAROLE, en les encourageant à oser partager ce qui les habite par le biais d’une forme poétique.

A. – Le résultat de ces ateliers SLAM était visible sur scène au Lausanne Slam 3.0 avec un spectacle très émouvant des participants à votre atelier. Vous avez aussi publié un recueil qui reprend les textes qui ont été écrits. Où peut-on se le procurer ? Comment se tenir informés de vos actualités ?

Le recueil est en vente auprès de l’Association PAROLE à :
Espace d’Accueil et d’Expression
1 rue du Vieux-Billard
1205 Genève
022 781 43 08
admin(@)associationparole.ch