Les Maux du prophète aurait pu s’appeler Messie malgré lui. C’est qu’il n’a pas choisi, le bougre – Gérard Cruchon de son petit nom – d’être l’envoyé de Dieu sur Terre, et à vrai dire il n’a pas l’air très emballé par sa mission. Déjà parce qu’il n’a pas forcément l’esprit pratique – à chaque fois qu’il tente un miracle tout ne se passe pas « exactement » comme prévu – ensuite parce qu’il ne sait pas par où commencer – c’est vrai qu’il y a du boulot à notre époque troublée – et enfin parce que – quand même ! – qu’est-ce qu’on est bien dans son canap’ à se siroter un petit verre ! Mais quand faut y aller, faut y aller. Surtout quand le secret divin se retrouve éventé, et par un fâcheux quiproquo avec un guitariste chevelu, et par la résurrection d’un chaton qui, bizarrement, traumatisera durablement sa jeune maitresse.
Il regardait la petite qui semblait disparaître de douleur. Le chat n’avait pas l’air d’être tout cassé. Il était blanc, avec une petite tache brune au bout de la queue et une expression figée sur la face, les yeux verts mi-clos, ne voyant plus rien du tout.
— Tu crois qu’il est parti au ciel, si vite ?
— Non, il n’est pas parti. Il ne savait pas pourquoi il avait répondu une telle banalité, mais il était trop tard. Et la petite le regardait, les yeux en points d’interrogation. Cruchon, troublé, se sentit obligé de faire quelque chose.
— Comment t’appelles-tu, petite ?
— Samantha, et j’ai six ans, et j’ai très mal. Où est-il parti, si tu dis qu’il n’est pas au ciel ?
Et là, Gérard Cruchon fit une chose qu’il n’aurait jamais dû faire. Il se redressa, regarda intensément la petite Samantha, puis baissa son regard vers ce qui avait été un petit animal qui n’avait rien demandé à personne et dit :
— Lève-toi et miaule.
Il y a du monde et du beau monde dans ce roman. Vous allez y croiser Michel et Gabriel, ainsi que le prince Lulu venu en visite depuis les Enfers, quelques mortels bien sûr, et un requin, voire un container parti à la dérive. Il vous faudra garder la foi, et ne pas vous décourager, quand vous vous retrouverez empêtrés dans les nombreuses histoires parallèles qui se coupent et se recoupent (si, c’est possible), englués dans une chronologie fantaisiste, absorbés dans des questions d’ordre métaphysique, incrédules devant la multiplication des Gérard Cruchon. Car les voies du Seigneur sont impénétrables, et nous avons bien du mal à comprendre son dessein, lui le Grand Invisible, avant d’arriver à la dernière page. Mais laissons-nous porter, ayons confiance, mes Frères.
— Ah çà, c’est vrai que ça a aussi fait l’objet de pas mal de controverses. Mais où donc envoyer le nouveau Prophète ? Nous avions pensé à l’Inde, mais quelqu’un a dit que l’impact aurait probablement été nul. Gérard Cruchon n’aurait été qu’un Dieu de plus, après tout. Pas franchement l’idéal pour remettre l’humanité sur la voie. Relancer les actions en Palestine a été suggéré, mais alors là, il n’y avait rien de plus risqué. Point de vue sécurité, d’abord, et puis, comment ne pas déclencher de nouvelles passions partisanes ? Il aurait été de quel bord ? Comment aurait réagi l’autre bord ? Trop délicat. Comme les États-Unis, d’ailleurs. On voyait d’ici le reste du monde soupirer « encore les Ricains ». L’Afrique avait nos faveurs, au début du projet. Et puis on a compris que l’impact aurait été local et minime. Une nouvelle religion serait sûrement née, et Gérard Cruchon condamné à réaliser miracle sur miracle pour sauver des millions de gens oubliés. Finalement, Genève n’est pas mal. On a hésité avec Estavayer-le-Lac, mais la cité de Calvin présente quelques atouts.
Peut-on rire de tout ? Ce roman laisse à penser que oui, quand c’est bien fait, avec esprit et légèreté. Rien de vulgaire ou de franchement paillard dans Les Maux du prophète. Juste une idée délirante – qui nous a tous frôlés un jour – menée jusqu’au bout de sa logique, farfelue. Un roman léger pour nous confirmer ce que nous dit la sagesse populaire : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pauvre Cruchon, attachant, emprunté, niquedouille, pied nickelé au grand cœur. Chou. Tellement chou, que je ne peux que vous encourager à découvrir ses aventures rocambolesques. Et à y croire.
Cruchon marchait sur l’eau. Mais franchement, l’Atlantique, c’est tout de même long. Le premier homme à traverser l’Atlantique à pied, voilà l’idée débile qui avait inondé son cerveau malade dans ce petit salon de la rue des Vollandes. Traverser l’océan, espérer qu’il se ferait voir par quelques navires, et qu’ainsi se diffuserait la légende. De là, il pourrait participer à des talk-shows, restaurer la crainte de Dieu, redonner l’espoir, permettre aux hommes de reconnaître leurs erreurs et, tel le Phénix, la civilisation renaîtrait de ses cendres. Mais bon Dieu que l’eau était froide. Et les embruns qui l’aspergeaient tout le temps, ce n’était pas une sinécure. La traversée de l’Atlantique à pied. En plein hiver…
Éditions Cousu Mouche